La soumission des insoumis
Lorsque le talent se met au service de l’immonde, il ouvre des horizons mystérieux sur la puissance du mal. Léon Blum, paraît-il, avait des accents incantatoires, quand il s’agissait pour lui, en 1936, de désarmer la France et de détruire la famille.
Georges Clemenceau l’avait précédé dans le projet de la destruction de l’Église et allait jusqu’à justifier les atrocités de la Terreur, car disait-il, « la révolution est une ! ».
Nous avons aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon, fondateur de La France Insoumise et président de groupe à l’Assemblée nationale, qui est exceptionnellement doué pour défendre ce qui échoua en Russie, après 70 ans de crimes sans nombre ; avec son projet de l’union mondiale des gauches, il ne fait que tenter de réhabiliter, ce dont avait rêvé Trotski.
J’admire la sûreté de sa langue dans le mensonge, et cette façon de faire passer l’outrance comme un acte de foi populaire. Je jalouse presque les nuances de son ton qui semble moduler l’émeute comme un procédé rédempteur.
Je suis même sensible à sa prestance physique qui semble celle d’un guerrier, alors que ce repu du Régime ne fait du « hors-piste » civique que pour étonner et séduire. C’est que, dans la morale laïciste du Système, un mensonge répété avec l’apparence de la conviction devient une vérité républicaine.
Il lui arrive cependant de parler trop vite. Ainsi il avait préjugé, craignant l’opinion publique, que les casseurs qui s’étaient produits à Paris en marge des manifestations syndicales ne pouvaient appartenir qu’à l’extrême droite. Le procédé était un peu usé, mais il avait l’avantage d’un effet d’annonce, tandis que le démenti serait très chichement accepté par les médias.
C’était cependant trop gros, et Mélenchon a tenté de rattraper cette bourde le lendemain, face au journaliste Jean-Jacques Bourdin, en soutenant que la révolution, ce n’était pas cela, qu’elle ne nécessitait pas la violence, et que la violence verbale n’était pas incitatrice de la violence physique !
Certes la République n’a pas retenu les massacres des septembriseurs, ni les goulags, ni les cent mille paysans vietnamiens exécutés par Ho-Chi-Minh, ni le génocide de la moitié de la population Khmer par les Pol-Pot et d’autres détails de l’histoire.
Mais ces monstruosités ont eu lieu ! Et malgré son désir de les gommer de son propos, Mélenchon m’a paru un peu gêné aux entournures. Sous son apparence même de fort des halles, le vernis révolutionnaire avait craqué. Il n’était plus qu’un avocat, que le gauchisme avait bien payé, et dont le verbalisme cachait mal sa volonté d’entourloupe.
Il reste que les « Insoumis » existent, alors qu’ils sont éperdument soumis à une utopie qui ne peut que devenir sanglante. C’est une constante historique. Nul n’imaginait, lors de la fête de la Fédération en 1790, que la légalisation du crime prendrait le relais des « cahiers de doléances ». Et tous les révolutionnaires – et Robespierre lui-même – allaient reconnaître qu’ils étaient tous emportés par une sorte d’autorité sans visage qui les obligerait le lendemain de faire ce qu’ils avaient désavoué la veille !
Seul Marat jetait à tout vent le prurit de ses ulcères en réclamant chaque jour plus d’hémoglobine. Et c’est ce monstre que les « insoumis » de l’époque allaient glorifier à l’égal d’un Dieu !
Je laisse à Guy Breton l’art de conter, dans Les cabarets de l’Histoire, jusqu’où peut aller l’insoumission révolutionnaire : « Un soir, aux Cordeliers, des orateurs le comparèrent au Christ. Dans son enthousiasme l’un d’eux prétendit même que Marat était supérieur à Jésus : “Le fils de la citoyenne Marie, dit-il, était un faux prophète. Marat était un Dieu”. Devenu dieu, l’Ami du Peuple fut honoré comme tel. On brisa les statues des Saints dans les églises, pour les remplacer par son buste, et l’on enseigna aux enfants à faire le signe de croix en disant, “Au nom de Marat !” ; le Credo ne commençait plus par “Je crois en Dieu”, mais par “Je crois en Marat”. Enfin, on fit imprimer des images de piété ornées de ces mots : “Cœur de Jésus, cœur de Marat ayez pitié de nous”. À Paris, Montmartre devint Montmarat, et quarante-deux localités se débaptisèrent pour prendre le nom du “Saint homme”. Il y eut des Marat-sous-bois, Marat-sur-Loire, Marat-sur-Oise, Marat-sur-Marne, Marat-sur-Seine, Marat-la rivière… »
On voudrait que le fondement de la République soit autre. Mais il est cela. Il est, au nom de la vertu, la justification du meurtre.
Si, dans les Convents du Grand Orient on trouve parfois exalté « Notre Grand Robespierre », ce sera tout de même un démocrate chrétien, le Garde des sceaux Pierre-Henri Teitgen, qui, répondant à l’accusation communiste d’être trop clément, à la Libération, osera dire qu’à côté de lui les révolutionnaires de 1793 étaient « des enfants ! ».
Et c’est vrai qu’une certaine Résistance qui n’avait rien à voir avec les d’Estienne d’Orves ou les Gabriel Péri, avait montré plus de subtilité que la guillotine dans l’exécution de ses ennemis. Sur les quelque 100 000 assassinats de l’époque, selon le colonel Passy, il faut mentionner, par exemple, rapporté par Raymond Aron, le traitement de l’Amiral Platon qui après avoir été quelque peu grillé à la lampe à souder, fut écartelé entre 4 véhicules justiciers ! Les Nazis torturaient les résistants pour les faire parler. Les résistants marxistes torturaient pour le plaisir.
Et les exécutions de cet ordre furent telles que de nombreux résistants authentiques protestèrent, mais sans obtenir que les monstres fussent jugés.
Ainsi, Jean Paulhan éminent homme de lettres, et grand officier de la Légion d’honneur au titre de la Résistance, put écrire : « D’être Résistant, je n’en tire aucune fierté : Plutôt de la honte… Tout ce que je me propose de dire, c’est que ni Maurras, ni Brasillach, ni Pétain n’ont jamais été jugés ! C’est qu’il n’est pas un des 400 000 Français qui se sont vus par la Libération, exécutés, envoyés au bagne, révoqués, ruinés, taxés d’indignité Nationale et réduits au rang de paria, c’est qu’il n’est pas un seul de tous ceux-là qui n’ait été frappé au mépris du droit et de la justice ! ».
On pourrait dire des Révolutions ce que Malraux disait de la guerre : « Il y a des guerres justes, il n’y a pas d’armée juste ! ».
Et c’est profondément vrai que toute action violente laisse surgir au-delà des actes héroïques, une incroyable bestialité. Le peuple français n’échappe pas à ce qui vient de la populace, car tout homme porte en lui une guerre civile, dont ne triomphe pas toujours la vertu.
Je crains que la politique du président Macron ne donne prétexte au camarade Mélenchon d’élargir sa base d’insoumis. Lorsque les discours de Charles de Gaulle devinrent équivoques au point de remettre en cause son serment de garder l’Algérie française, le Maréchal Juin déclara : « De Gaulle a ranimé l’espérance au cœur de la rébellion ! ».
Une grande partie des électeurs de Macron, espérait que la politique férocement inégalitaire de « la république des Histrions », ainsi que l’a dénommée Malraux, serait remise en cause, et qu’outre les salaires indécents de certains citoyens, et les extrêmes faveurs envers les étrangers indésirables, on rembourserait mieux les accidents de la vue et de la dentition !
Or, le petit peuple ne peut que le constater : pour l’instant, il est le perdant de l’affaire, et ce que le pouvoir semble accorder d’une main, il le reprend de l’autre ! Mais les privilégiés de la misérable ancienne présidence, ne sont point touchés ! Autrement dit, le président n’est-il pas en train de fabriquer des insoumis avec ses plus humbles électeurs ?
Je connais de bons citoyens qui, dans de grandes difficultés, et sans avoir quelque sympathie pour Mélenchon, se retrouvent tout de même dans les rangs des contestataires les plus sévères. Lénine disait qu’il fallait « canaliser la colère du peuple ! »… Dans quelle mesure les spoliés de la république ne se sentiront-ils pas ouverts à l’insoumission ?
Certes, la situation n’est point celle de mai 1968. Les étudiants n’ont plus le spectacle d’une certaine misère ouvrière pour justifier leur turbulence. Et l’opinion générale ne croit pas que les cheminots soient le secteur des travailleurs le plus à plaindre. Il n’y aura pas de nouveaux accords de Grenelle, car le potentiel révolutionnaire s’est résolu à devenir ce qu’est devenu Cohn-Bendit : une sorte de gras-double verbeux, qui s’est aménagé dans le fromage qu’il contestait, une place aussi douillette que celle dont peuvent rêver tous les rats opportunistes du Système.
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