La fine fleur de la chevalerie française
Certains historiens interprètent les victoires de l’armée anglaise pendant la guerre de Cent Ans comme le triomphe de l’armée « démocratique », donc gentille, toute anglaise qu’elle fût, composée notamment des archers gallois, sur la méchante armée « aristocratique » des chevaliers français.
Cette interprétation bouffonne concerne notamment la bataille de Crécy (1346), qui fut en effet un désastre. On dit que c’est au cours de cette bataille que l’artillerie fut employée pour la première fois en rase campagne. Mais il n’existe aucun témoignage contemporain de cet événement sensationnel. Ce qui ne plaide pas en faveur de l’usage de canons, c’est qu’une pluie battante s’est mise à tomber, et que la pluie mouille la poudre ! Mais la pluie a aussi distendu les cordes des arbalètes, qui étaient en crin, et tendu davantage celles des arcs, qui étaient en corde.
Quant aux fiers chevaliers, ils se présentèrent en effet en cohue sur le champ de bataille. Mais était-ce l’effet de l’indiscipline ? L’armée, qui sortait de la ville, était en mouvement et se trouva prise dans les accidents du terrain. Le roi, impatient, et ne voyant pas ce qui se passait devant lui, ordonna de pousser en avant, et les chevaliers, obéissants, bousculèrent la piétaille. En face, l’armée commandée par le Prince noir, ayant campé sur place, était fraîche et dispose et avait eu tout le loisir de se déployer à son avantage en trois corps de bataille.
S’ils chargeaient sur un terrain favorable, les chevaliers constituaient une force de percée redoutable car les flèches étaient incapables de percer leurs armures. Ainsi, à Azincourt, le maréchal Boucicaut (qui, soit dit en passant, avait déconseillé d’engager le combat), chargea en tête et fut fait prisonnier après avoir traversé le champ de bataille et les lignes anglaises de part en part. Il n’avait pas une égratignure !
On raconte souvent que si un chevalier tombait de cheval, son armure l’empêchait de se relever. Cette conclusion découle de l’observation des splendides, mais pesantes armures de parade et de tournoi qu’on voit dans les musées. Or, dans ses mémoires, le même Boucicaut raconte en détail son entraînement, qui comprend toutes sortes d’exercices, des courses d’obstacles, et aussi l’art de sauter en selle tout armé. On lisait déjà dans la Chronique des comtes d’Anjou (XIIe siècle) que le chevalier à peine adoubé bondissait « tout armé » à cheval « sans l’aide d’étriers ».
C’est depuis les invasions des Huns et des Arabes que la cavalerie, jusqu’alors simple corps auxiliaire, était devenue la force principale d’une armée. L’invention de l’étrier avait permis aux cavaliers de s’armer lourdement et de charger frontalement sans tomber au premier choc. Par contre, il était plus difficile d’entraîner les cavaliers aux savantes manœuvres qui faisaient la force des légions romaines.
Croire les chevaliers assez fous pour se présenter sur le champ de bataille sous une grêle de flèches, sans être sûrs que leur armure y résiste, et sachant en outre que s’ils tombaient de cheval, ils étaient morts, c’est pousser un peu loin l’esprit démocratique !
Du reste, on pourrait supposer qu’au bout de cent ans, les Français auraient tiré, au prix de leur propre sang, les leçons de leurs erreurs. Or, à Azincourt où, 60 ans plus tard, périt « la fine fleur de la chevalerie française », ils combattirent de la même manière, et ainsi jusqu’à la fin de la guerre. Mais ce furent eux qui gagnèrent !
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
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