Les atomisations de villes nippones à l’été de 1945
Chaque année au début du mois d’août, les journalistes, quelque peu désœuvrés par l’état de vacances quasi généralisé, y vont de leurs commentaires sur la destruction des cités d’Hiroshima et de Nagasaki par le seul usage guerrier connu jusqu’à présent de l’extraordinaire énergie libérée par la fission nucléaire.
Ces commentaires, fortement teintés de considérations morales, mais généralement non dépourvus d’arrière-pensées géopolitiques, sont rarement intéressants du point de vue de l’historien.
En réalité, le drame – celui de l’utilisation déraisonnable de la recherche technico-scientifique – s’est joué en deux temps, s’étalant sur plus de six années. Et le plus curieux dans cette (triste) affaire est que les « méchants nazis » se sont infiniment mieux comporté que les gentils chevaliers de noble Dame Démocratie : les savants, techniciens et politiciens des USA.
Premier acte : De la « Maison des virus » au « Projet Manhattan »
En décembre 1938, à Berlin, Otto Hahn et Fritz Strassmann réalisent la première fission nucléaire expérimentale, ce qui consterne tous les physiciens de la planète : ce sont des Allemands et, pire encore, des chimistes, qui ont réussi les premiers ce que toutes les équipes cherchent à faire depuis des années.
Dans un article, paru le 28 janvier 1939, les deux chimistes signalent que la réaction qu’ils ont observée doit dégager de nombreux neutrons, ce qui permet d’envisager l’hypothèse d’une réaction en chaîne. Cette hypothèse est vérifiée au Collège de France, en mars, par Frédéric Joliot, qui fait breveter « sa » découverte dans les registres « production d’énergie » et « charge explosive ».
La physicienne juive Lise Meitner, réfugiée à Stockholm depuis juillet 1938, a estimé au contraire, dans une lettre condescendante adressée à Otto Hahn en janvier 1939, que « l’on peut difficilement envisager que le noyau ait été brisé par l’afflux de neutrons »… lorsqu’il s’avèrera qu’elle s’est ridiculisée, elle trouvera l’expression de « fission nucléaire » pour qualifier la découverte, ce qui permettra à certains propagandistes de hurler, en 1944, lorsqu’elle ne sera pas associée – de façon fort logique – au prix Nobel de chimie décerné aux savants allemands.
Comme l’a écrit Otto Hahn, « les physiciens n’ont fait que retarder la découverte ». Il est exact, en outre, que les physiciens allemands ont ensuite tout fait pour éviter que l’expérience de Hahn et Strassmann ne débouche sur l’élaboration d’une arme de destruction massive.
Divers chercheurs allemands pensent en effet à utiliser l’uranium 235 pour créer une bombe d’un nouveau type. Au service des recherches de l’artillerie, le projet est confié à Karl Diebner qui construit, l’été de 1941, la première pile atomique infra-critique jamais réalisée, dans une dépendance de l’Institut de Physique de Dalhem (Berlin). Pour écarter importuns et curieux, le modeste bâtiment est officiellement voué à la biologie : on l’appelle la « maison des virus ». En 1942, une pile produisant des neutrons fonctionne à Leipzig. En 1944, on construit sous la « maison des virus » un énorme Bunker, contenant une grande pile utilisant l’eau lourde comme modérateur, et, au printemps de 1945, une autre, en Souabe, à Haigerloch.
On l’a compris : du côté allemand, la recherche est éparpillée et s’intéresse surtout aux travaux « sans rapport avec la conduite des hostilités » (Irving, 1968), singulièrement l’utilisation à des fins médicales des isotopes radioactifs. Les plus grands expérimentateurs et théoriciens du Reich, tels Max V. Laue et Werner Heisenberg, refusent d’envisager la mise au point d’une arme utilisant l’énergie atomique, par souci d’éthique. En outre, si Adolf Hitler n’est pas, par principe, opposé à l’élaboration d’une arme d’exception, il déplore l’activité de « ces physiciens qui risquent de mettre le feu à la planète » (cf. Speer, 1971).
Ce n’est guère ce scrupule qui inhibe Leo Szilard et Albert Einstein lorsqu’ils poussent Franklin Delano Roosevelt à créer un Comité consultatif de l’uranium pour obtenir un explosif nouveau, en octobre 1939. Le « projet Manhattan » débute en juin 1942, sous une direction militaire, et aboutit à la première explosion atomique, une bombe au plutonium, le 15 juillet 1945, dans le désert d’Alamogordo. Les physiciens du « projet Manhattan », de grands humanistes, déplorent alors que cette bombe « n’ait pas été prête à temps pour atomiser des Allemands ». Ni Einstein, ni Robert Oppenheimer ne s’en consoleront.
Deuxième acte : Pourquoi le président Truman a-t-il atomisé Hiroshima et Nagasaki ?
Mi-juillet 1945, explose la première bombe atomique. En dépit de l’insistance de nombreux physiciens, ex-compagnons de route du défunt Komintern (Einstein, Szilard, Oppenheimer et quelques autres), le secret de fabrication de la bombe n’est pas communiqué aux Soviétiques.
Lors de la Conférence de Potsdam, les 23 et 24 juillet, « Staline »-Dougashvili, croyant encore avoir à faire à un individu aussi malléable que FDR, tente d’intimider Harry Truman. Il a tort : l’épicier du Missouri est d’une autre trempe que le riche héritier de lignées de négociants internationaux. Ce sont les Japonais qui vont assumer les frais de la démonstration de force du président des USA.
Au début de juillet, l’empereur du Japon a demandé à Staline de jouer les intermédiaires auprès des Alliés occidentaux. Effectivement, les gouvernements du Japon et de l’URSS sont unis par un pacte de non-agression qui a évité aux Soviétiques d’être défaits en 1941. Truman et Churchill répondent en exigeant la capitulation sans condition. Le gouvernement japonais rejette, le 28 juillet, cette proposition jugée déshonorante dans un pays à très forte tradition guerrière.
Truman n’attendait que cela pour faire d’une pierre deux coups : clore rapidement la guerre en Asie et dans le Pacifique, longue et coûteuse en hommes, plutôt impopulaire dans l’opinion publique comme dans la troupe, et donner un coup de semonce à l’homme du Kremlin. Hiroshima est atomisée le 6 août et Nagasaki le 9. Le 10 août, le gouvernement nippon fait savoir, par l’entremise du gouvernement suisse, qu’il accepte de capituler, alors que les forces US ont utilisé l’ensemble de leur arsenal atomique : ils n’ont plus de bombe atomique en réserve !
Malgré l’apport de Frédéric Joliot, alors membre du PCF, informé par Hans Halban des principaux éléments théoriques du mode de fabrication, les Soviétiques devront attendre l’effet des trahisons de l’après-guerre pour mettre au point leurs armes atomiques et faire entrer, en 1949, les nations dans « l’équilibre de la terreur », principal résultat durable de la IIe Guerre mondiale.
Bibliographie sommaire :
- Irving : La maison des virus, Laffont, 1968.
- Plouvier : Hitler, une biographie médicale et politique, volumes IV et VI, Dualpha, 2008.
- Powers : Le mystère Heisenberg. L’Allemagne nazie et la bombe atomique, Albin Michel, 1993.
- Speer : Au cœur du Troisième Reich, Fayard, 1971.
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