Tu parles, Charles !
À la mort de Louis le Pieux, la France n’existe toujours pas. Mais l’empire, l’empire, lui, est toujours là. Sa couronne repose sur la tête de Lothaire. À sa mort, la coutume franque exigea qu’il partageât à son tour ses états. Cette fois, le problème ne fut pas l’abondance des descendants, mais leur rareté. Lothaire eut trois fils : l’aîné, Louis II, devint empereur après son père, mais il n’eut que deux filles ; Lothaire II eut un fils, mais illégitime ; Charles enfin, roi de Provence, mourut sans enfant. La question se posa alors : qui hériterait de la Lotharingie ? Et de la couronne impériale ? Pour les contemporains, c’est la seconde question qui fut la plus importante.
À la longue, il est vrai, l’empire est devenu « germanique », quoique le titre soit resté « empereur des romains » (en français dans le texte). Mais à la longue seulement, car la balance pencha d’abord du côté de la Francie. En effet, à la mort de Louis II, c’est Charles le Chauve qui ceignit la couronne impériale. Las ! il mourut dès son retour de Rome, en 877. Comme ses successeurs ne parvinrent à assurer ni la défense, ni l’unité de la Francie occidentale, encore moins à reconstituer l’unité de l’empire, la couronne repassa le Rhin et échut en 881 à Charles le Gros, fils de Louis le Germanique. Mais ce qu’on oublie, c’est qu’en 885, peu après la mort de Louis II le Bègue, Charles fut proclamé roi de Francie occidentale par les grands du royaume en lieu et place de Charles le Simple, jugé trop jeune pour régner.
On voit donc que, en dépit du partage de Verdun, la distinction entre Francie et Germanie n’est pas encore entrée dans les têtes, ni dans les mœurs. L’empereur peut régner sur la Francie occidentale, et le « roi de France » peut être choisi parmi les descendants de Louis le Germanique. Ce fait est capital. Mais chose curieuse, les historiographes qui ont dressé la nomenclature des rois de France, tout comme les historiens qui, par la suite, ont raconté l’histoire à l’envers, ont tout bonnement omis Charles le Gros. En fait, Charles III le Simple aurait dû porter le numéro quatre, et le dernier roi de France aurait dû s’appeler Charles XI.
Rappelons que, de toute manière, c’est par un abus de langage qu’on a qualifié après coup Clovis, Charlemagne et les rois mérovingiens et carolingiens de « rois de France ». Pour une simple et bonne raison, c’est que la France n’existait pas. Elle n’existe toujours pas à l’époque dont nous parlons, puisque les grands de la noblesse franque ne voient aucun inconvénient à déposer un descendant de Charles le Chauve au profit d’un descendant de Louis le Germanique, qui n’est pas plus germanique que vous et moi.
Lavisse, amoureux des raccourcis trompeurs, écrit benoîtement : « La Lotharingie dans la suite s’est appelée la Lorraine. Elle est depuis dix siècles le champ de bataille de l’Allemagne et de la France, qui commencèrent à se la disputer au lendemain même du traité de Verdun. »
Donc, comme l’élection de l’empereur Charles III le Gros comme « roi de France » ne cadrait pas avec la fable de l’affrontement entre les « ennemis héréditaires », on a passé le fait sous silence ; et on a négligé le titre d’empereur porté par Charles le Chauve. Comme s’il valait moins que celui de roi d’une France qui n’existe pas encore !
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
Vous avez aimé cet article ?
EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.
Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.