La Grande Illusion
Dans une chronique précédant les élections présidentielles, j’avais évoqué comme plausible le spectacle d’un tout nouveau président, une lanterne à bout de bras, en quête d’une majorité parlementaire, tel le maréchal de Soubise cherchant son armée au soir de la bataille de Rossbach.
C’était méconnaître les réels talents de l’Enchanteur Emmanuel, le nouveau David Copperfield des scènes politiciennes, l’illusionniste des plateaux de télévision. Car depuis cette évocation aussi nocturne que fantomatique, Monsieur Macron s’est installé dans ses aîtres élyséens et s’il a eu recours à une quelconque lampe c’était bien celle d’Aladin, celle qui fait des merveilles. Comme le réalisent les enfants à partir d’une solution savonneuse, il a soufflé ces bulles dansantes et ensorcelantes dont l’irisation fascinante, mais aussi lénifiante, voire hypnotique, fait oublier au spectateur ravi leur totale vacuité.
L’art de transformer les cauchemars en rêves iréniques, vous connaissez ? Détendez-vous… Oubliez les difficultés quotidiennes et les menaces qui pèsent sur vous… Tout va changer, se transformer, pour vous permettre d’atteindre enfin cette harmonie propre au Nirvana du vivre ensemble… Dormez, je le veux !
Comparaison malveillante ? Propos de chansonnier montmartrois ? Un politologue distingué peut-il aujourd’hui détailler le vrai programme du nouveau Président ? Une table sommaire des matières à traiter semble suffire pour satisfaire votre curiosité et encore. D’ailleurs, est-ce bien indispensable ? Depuis Monsieur Macron s’est installé dans les ors élyséens. À défaut de grive on mange du merle, soit, et les observateurs devront s’en contenter.
Par manque de denrées plus roboratives, la presse « habilitée » en est en effet réduite à louanger l’Être suprême qui tient ses promesses en se rendant par exemple à Oradour sur Glane ou qui redonne à la fonction sa vraie grandeur en recevant Poutine dans les ors versaillais. N’est-ce pas déjà méritoire ?
Mais revenons à l’habileté de l’artiste dans l’utilisation de ses accessoires. Auriez-vous oublié les « Cars Macron » ? Et pourtant ! Il arrive que, selon les circonstances, l’accessoire devienne le principal. C’est ainsi que, « relookant » le concept, il propose un véhicule capable de vous amener gratuitement jusqu’au Palais Bourbon sans autre obligation que de vous faire connaître auprès de l’organisateur. Ce n’est pas tout à fait la citrouille transformée en carrosse, mais presque. Bien évidemment des milliers de candidats au voyage se pressent au guichet. On en retiendra environ 550 et… roule ma poule !
Hormis leur bonne volonté, ont-ils quelque autre qualité ? Qu’importe, on verra plus tard. Il faut simplement une majorité de conviction regroupant et métissant les origines les plus diverses.
Majorité de conviction ? Surtout ne pas s’attarder sur le sujet ! Les candidats à l’excursion parlementaire sont déjà unanimement convaincus que, à ce jour, le plus court chemin de l’anonymat à une notoriété d’élu de la Nation, est celui emprunté par ce véhicule improbable. Que leur demander de plus ? C’est vraiment pour eux l’occasion de sauter sans grand risque dans un autobus… en marche.
Majorité plurielle ? Les morceaux de tissus de récupération aussi disparates que multicolores, astucieusement assemblés dans un patchwork chatoyant feront l’affaire. Ils permettront de confectionner un habit d’arlequin qui suffira à satisfaire le spectateur convié à goûter aux pantalonnades de la Comedia del Arte, le vrai fonds de répertoire du TNP (Théâtre National Politicien).
Et que les festivités de l’État de Grâce commencent. Notre habile président saura les conclure en tirant un inoubliable feu d’artifices. Mais pourquoi ce pluriel inattendu ? Ne doit-on pas écrire « feu d’artifice » ? Non, car c’est là que réside toute la créativité du Ruggieri élyséen. Les artifices sont, si l’on en croit des sources on ne peut plus académiques, « des moyens ingénieux d’agir pour sortir de la difficulté » ou bien, c’est encore moins rassurant, « des moyens habiles visant à cacher la vérité, à tromper sur la réalité. »
Quoi qu’il en soit, les fumerolles du bouquet final à peine éteintes, on renverra une population ravie se blottir dans les bras de Morphée avant qu’un réveil pâteux ne lui fasse vivre une sévère gueule de bois.
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Philippe Randa,
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