Du mauvais esprit des lois
Alors que dans les coulisses des plateaux de télévision, les postulants à la candidature suprême polissent leurs argumentaires, aiguisent leurs dialectiques et s’adoucissent la voix au sirop apaisant du vivre ensemble, dans les locaux techniques leur main-d’œuvre hautement spécialisée farfouille dans les boîtes à outils pour bricoler quelques gadgets susceptibles de crédibiliser les propos de leurs patrons.
Parmi eux, des ébauches d’esquisses de projets d’hypothétiques lois qui permettaient de redresser à coup sûr et en quelques semaines des décennies de distorsion et de fléchissement des poutres maîtresses de l’État.
C’est curieux, ce vertige législatif périodique qui s’empare soudain des prétendants à l’exercice suprême… de l’exécutif. Le plus navrant, c’est que l’électorat y croit : « Il faudrait une loi qui… Il faudrait une loi que… »
Sait-il qu’une panoplie juridique est déjà à disposition de nos ministres pour traiter bien des carences ? Il suffirait qu’ils veuillent s’en servir.
Loin de moi l’idée de mésestimer la place et la valeur de la loi, mais encore faut-il mesurer en toute objectivité la latitude laissée à notre législateur pour œuvrer en toute indépendance.
En 1988, Jacques Delors prophétise que « dans dix ans, 80 % de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, émaneront de Bruxelles. »
Les faits lui ont largement donné raison puisque aujourd’hui, le plus clair du travail des parlementaires consiste à voter des lois transcrivant en droit français des textes venus de Bruxelles. Et cela n’est pas si simple.
Pour illustrer ce propos, quoi de mieux que le constat établi par l’honorable John Benham : « En langue anglaise, la prière du Seigneur, le Notre Père, comprend 56 mots, les dix Commandements 297, la déclaration américaine d’indépendance 300 et la directive européenne fixant les normes du caramel 26 911. »
Et quand les routes incertaines de Maastricht, de Schengen et de Lisbonne emmêlent leurs lacets, les voies de Thémis sont aussi impénétrables que celles du Seigneur. Le GPS du réseau européen reste à inventer.
Autre constat édifiant, le déséquilibre existant entre les projets de lois concoctés par l’exécutif et ceux rédigés par les parlementaires. Un curieux pâté d’alouette ! L’Assemblée Nationale et le Sénat seraient-ils devenus de simples bureaux d’enregistrement ? Certains élus, juristes de formation (il y en a de moins en moins) sont d’ailleurs consternés par le manque de rigueur dont font preuve les petites mains ministérielles en charge de leur rédaction. Les imprécisions qui en découlent multiplient les recours à des décrets d’application quasi interprétatifs, indispensables à une compréhension effective du texte initialement voté.
Qui plus est, le citoyen curieux serait étonné de découvrir le nombre de ces lois dont les fameux décrets d’application n’ont toujours pas été pris, des années après leur parution, au journal officiel. Ce qui permet à l’humoriste d’affirmer que « les vides juridiques emplissent les poches des avocats. »
Une autre dérive résulte de ces approximations : non pas le renforcement du « pouvoir judiciaire », mais celui « des juges » autrement plus dangereux car « quand les lois sont obscures, les juges se trouvent naturellement au-dessus d’elles en les interprétant comme ils veulent. »
En son temps, l’ineffable Jean Auroux se félicitait d’avoir augmenté par son avalanche de lois, le poids du Code du travail. Il confondait le muscle et la graisse et n’avait pas été capable de diagnostiquer l’obésité dudit code.
N’oublions jamais que l’harmonie d’un corps législatif implique qu’un texte nouvellement voté se substitue, autant que faire se peut, à la précédente loi, si elle existe bien sûr, devenue caduque. On parle du millefeuille administratif, mais les super-lasagnes normatives ne sont pas plus digestes. Qui se réfère encore au pertinent constat de Joseph de Maistre : « Pourquoi tant de lois ? C’est parce qu’il n’y a point de législateur. »
Une autre tendance caractérisera le quinquennat de François Hollande, celle du « suivisme » du législateur. Certes, elle n’est pas nouvelle puisque déjà, en son temps, André Frossard l’avait dénoncée : « Une loi tout juste capable de suivre les mœurs est exactement le contraire d’une loi. »
Mais avec les lois sur la famille et la bioéthique, elle ne les suit même plus, elle les précède. Qui se souvient de l’adage romain qui « interpelle » immanquablement l’étudiant en 1re année de faculté de droit : « Les hommes font les lois, les femmes font les coutumes » ?
Pour conclure ce billet de mauvaise humeur, il convient de laisser la parole à ce « ronchon-en- chef » de Jean Dutourd qui synthétise on ne peut mieux notre préoccupation de ce jour : « Un pays dont les lois changent constamment, sous prétexte d’améliorer quelque chose, de simplifier, de rendre telle situation plus logique ou plus raisonnable, devient fou, c’est-à-dire anarchique. » CQFD !
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Philippe Randa,
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