Fontevraud, le souffle perdu de la culture contemporaine
Une fois n’est pas coutume ! J’aimerais aujourd’hui vous parler d’un monument magistral que les cultureux contemporains s’épuisent à faire vivre par des « animations ». On sait que le mot vient de anima, le souffle, l’âme aussi, mais la sémantique est cruelle, point de souffle et point d’âme, juste de l’animation bien pauvre, de l’agitation plutôt.
Par cette belle journée de novembre tout ensoleillée, je décidais de me rendre à l’Abbaye royale que je n’avais pas visitée depuis quelques années après sa désaffectation carcérale. Là, installée dans son vallon, l’abbaye royale est comme sertie comme un joyau par les collines et les forêts qui l’entourent dans une vision immémoriale. Rien à dire sur la restauration monumentale, la pierre est magnifique, le tuffeau rayonne au soleil d’automne, la nef, de facture angevine, comble son visiteur, et les gisants d’Aliénor et d’Henri II Plantagenet sont toujours aussi beaux, d’une facture médiévale hiératique et émouvante de simplicité.
Même s’il y a débat entre architectes sur les modalités de la restauration, on ne saurait entrer dans ce débat tant le monument rayonne de splendeur, du XIIIe au XVIIIe siècle.
Est-ce la pierre ou plus encore l’harmonie commune à ces époques ? Grand Moûtiers, cloître, bâtiments conventuels, salle capitulaire, infirmerie et prieuré Saint-Lazare, la succession des styles se conjugue harmonieusement sans véritable rupture.
Fondée en 1101 par Robert d’Arbrissel, Fontevraud, nécropole des Plantagenet, fut un monastère mixte accueillant femmes et hommes ; de très grandes abbesses le dirigèrent, dont certaines de sang royal, Renée de Bourbon, puis Louise de Bourbon (abbesse durant 41 ans), Gabrielle de Rochechouart (qui fit jouer Esther de Jean Racine) et la dernière Julie-Juliette de Pardaillan, toutes femmes de forte personnalité et de grande culture (l’une d’entre elle fut la traductrice du Banquet de Platon).
Aujourd’hui, pour connaître ces femmes et ces hommes, le visiteur ne pourra le faire que parcimonieusement, tout se passe comme si leur marque devait être non pas effacée – c’eut été trop gros – mais amenuisées.
C’est ainsi qu’on en prend connaissance, au détour d’une salle, sans fil conducteur, de ces femmes admirables. Des correspondances de Bossuet, de Racine et de Louis XIV, sont pareillement évoquées, par accident, au détour d’un petit jardin aux allures ludiques, en apparence destiné aux enfants, où sont reproduites les signatures de ces illustres personnages sur des panneaux prosaïques et anodins.
Point de chronologie (comme à l’école d’ailleurs), mais épars, les signes du passé ! Aucune pédagogie de l’œuvre royale et monacale !
Stérilité contemporaine
En revanche le XXe siècle y a imprimé sa marque ; le XXIe suit, pour l’heure, sa trace, celle d’une rupture. C’est désormais le Centre Culturel de l’Ouest (financé à 90 % par la Région socialiste en 2010) et non plus l’État qui gère l’édifice, quoiqu’il en reste propriétaire.
La marque en est surtout celle de la stérilité d’une génération, au pouvoir depuis 50 ans et qui commence singulièrement à lasser… il est temps qu’elle s’efface.
Les griefs du visiteur, s’il a quelque jugement critique, porteront d’abord sur une impression d’ensemble, la modernité a vidé le monument non seulement de sa substance spirituelle, mais encore historique, pourchassée, édulcorée ; les cultureux en charge du monument font dans le négationnisme plouc. Passons sur les innombrables maquettes de l’abbaye, non sans intérêt, mais une seule eut suffi, mais ludique oblige, le visiteur se promène dedans, ou fait actionner les machines (coûteuses), tandis que les enfants la reconstituent en lego plastique. Pardon ! Me dira le stipendié culturel de service, mais on peut voir une exposition sur le thème de l’enfermement, puisque l’abbaye fut transformée après la Révolution en prison jusqu’en 1963.
Une première chose fort désagréable dans cette exposition est le rapprochement fait entre l’enfermement carcéral et la vocation monacale, les documents qui figurent dans cette exposition ne sont pas sans intérêt, mais le fil conducteur repose sur un énorme contresens, le choix du couvent relève du libre arbitre, en dépit de quelques cas « familiaux ».
Manifestement, ce qui inspire le thème de l’enfermement (quoique non cité), c’est la sociologie soixante-huitarde de Michel Foucault dans son livre Surveiller et Punir (1975). Plus loin, encore sur le thème carcéral, une salle est consacrée à Jean Genet, qui fut un temps enfermé à Fontevraud. Bien sûr, ce personnage sulfureux a quelque chose de pathétique et d’émouvant dans son errance, mais on pourra trouver qu’après M. Foucault, cela fait beaucoup d’homosexuels à l’honneur.
Bref, le beau soleil déclinant sur l’abbaye, en la quittant on se prenait à songer que décidément le contenu culturel ne valait pas son contenant. Une sourde impression qu’on nous avait volé quelque chose dominait.
La plus grande cité monastique de l’Occident classée au patrimoine mondial de l’humanité méritait mieux que ces tableaux étriqués et idéologiques, que ces parcours ludiques, que cette désertion assumée du sacré. Sans doute est-ce là une des explications au déclin de l’Occident.
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Philippe Randa,
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