Et si le « Brexit » n’avait pas lieu ?
La souveraineté populaire peut paradoxalement avoir des raisons que la tradition constitutionnelle d’un pays serait tentée d’ignorer à angle droit. Finalement, si le « Brexit » n’avait pas lieu ? Ce jeudi, la Haute Cour de justice (High Court of Justice) devait statuer sur le refus du Premier ministre, Teresa May, de saisir le Parlement préalablement à la mise en œuvre de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne.
Aux termes de cette disposition, « tout État membre [de l’UE] peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ». Bien décidés à prendre une certaine revanche post-référendaire, des citoyens britanniques ont introduit des recours visant à faire respecter les droits constitutionnels du Parlement. « L’issue du référendum n’est pas juridiquement contraignante en elle-même et, pour l’actuel ou futur Premier ministre, invoquer l’article 50 sans l’accord du Parlement est illégal », a affirmé Kasra Nouroozi, un des associés de Mishcon de Reya, un gros cabinet d’avocats d’affaires britannique.
Le 23 juin dernier, les Britanniques se sont prononcés par référendum, à 51,9 % en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Dans les heures qui ont suivi, une pétition en ligne réclamant la tenue d’un nouveau référendum sur la sortie de l’Union européenne était supposément demandée par trois millions et demi de sujets de sa Gracieuse Majesté.
Bien que dénué de Constitution formelle, le Royaume-Uni n’en revendique pas moins une solide tradition constitutionnelle enracinée dans la souveraineté du Parlement (« sovereignty of Parliament »). Cette conception que l’on peut qualifier, sans peine, d’absolutiste, va jusqu’à considérer que, bien que non écrite, la Constitution existe nonobstant et se situe au même rang que la loi. Vue de chez nous, une incongruité, aussi singulière que la conduite à gauche ou les huitres à la confiture de menthe.
Il revient au grand juriste Dicey d’avoir théorisé cette souveraineté illimitée du Parlement anglais par cette formule célèbre : « le principe de souveraineté parlementaire implique ni plus ni moins qu’aucune personne, aucun groupe de personnes ne peut, sur la base de la Constitution britannique, créer des règles qui outrepassent ou dérogent aux lois » (An introduction to the Study of the Law of the Constitution, 1959).
Jeremy Bentham estimait même que l’obéissance civique suffisait à fonder l’existence de la souveraineté de son détenteur sans recours à d’autres sources de légitimité, quand Hobbes, s’adossant à la fiction du contrat social, en concluait que le citoyen déléguait toutes ses prérogatives entre les mains du souverain. « Ce que le Parlement fait ne peut être défait par aucune autorité humaine » insistait encore le jurisconsulte Blackstone (Commentaries on the Laws of England, 1765).
À cette enseigne, il est aisé de comprendre que la souveraineté britannique, d’essence parlementaire, ne pourrait s’accommoder, en pratique, d’une légitimité concurrente, de nature supra démocratique, tirée du peuple. Logiquement, l’issue d’un conflit entre le peuple et le Parlement ne pourrait être que politique, le Premier ministre ne pouvant le dénouer qu’en provoquant de nouvelles élections législatives par dissolution préalable de la Chambre des communes.
On rappellera, pour mémoire, le référendum du 5 juin 1975, par lequel les Britanniques, à l’invitation du gouvernement travailliste d’Harold Wilson, s’étaient prononcés à 67,2 % en faveur du maintien du Royaume-Uni dans la Communauté européenne. Or, à l’époque, cette consultation populaire était une façon de s’opposer au premier référendum organisé par les conservateurs en 1972, par lequel ils obtinrent des Britanniques l’adhésion de la Grande Bretagne au Marché commun. Mais Wilson devait composer avec une frange de sa majorité hostile au maintien du Royaume-Uni dans l’Europe. Malgré la victoire du « oui », il démissionna quelques mois plus tard.
La démission de David Cameron, au lendemain du « Brexit », alors même que son initiative référendaire était fortement décriée par sa majorité, va sans doute inaugurer une série de crises institutionnelles qui ajourneront sine die le processus de retrait de l’île de l’Union européenne. La décision de la Haute Cour devrait, en outre, contribuer à jeter de l’huile sur le feu.
En 1975, un député conservateur osait pronostiquer que « le référendum européen doit être le premier et le dernier ».
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