8 octobre 2022

Un homme à fables

Par Euro Libertes

Travaillez, prenez de la peine… La Fontaine me fatigue avec ses morales à deux drachmes. Pour la plupart, il les a en effet piquées à Ésope sans lui verser le moindre louis de droit d’auteur, alors pourquoi me gêner. Victime d’un harcèlement rédactionnel pesant, mais avant tout promoteur d’une économie d’énergie raisonnée, j’ai donc décidé de pondre une chronique fabuleuse en pillant mes glorieux aînés, le plus élégamment possible comme il se doit.

Alors que notre Président appelle de ses vœux une réforme de l’élevage du bombyx énarcus, et une rationalisation du droit fil de son cocon, le recours aux services d’un ancien maître des eaux et forêts semble particulièrement judicieux pour en faciliter l’exploitation. Un ver à soi vaut mieux qu’un ver à l’autre (celle-là, elle est de moi).

Cet insecte revivifié serait nourri non plus de feuilles de laurier ou de chêne (laissons le mûrier à son bouseux de cousin) mais de fleurs de rhétorique issues de la germination de la pensée en arborescence et du souci du bien public. C’est là que l’onde pure de La Fontaine interviendrait pour tempérer leur exubérance de son goutte-à-goutte bienfaisant.

Pour ceux qui, avant même de voler de leurs propres ailes, ambitionneraient une brillante carrière politique et se détourneraient déjà d’un cheminement préfectoral laborieux, qu’ils ruminent l’enseignement donné par « Le lion, le loup et le renard » : « Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire : faites, si vous pouvez, votre cour sans nuire. Le mal se rend chez vous au quadruple du bien. Les daubeurs ont leur tour, d’une ou d’autre manière : vous êtes dans une carrière où l’on ne se pardonne rien. »

Les futures poutres maîtresses de l’Hôtel de la rue de Grenelle méditeront ce vieux pieux de notre société laborieuse : « … mais le père fut sage de leur montrer avant sa mort que le travail est un trésor. »

Leurs homologues de la Place Beauvau, devront lancer l’avis de recherche d’un exemplaire poussiéreux de « La lice et sa compagne » pour en étudier un principe pourtant intemporel : « Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette. Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête, il faut que l’on en vienne aux coups ; il faut combattre. Laissez-leur un pied chez vous, ils en auront bientôt quatre ». D’aucuns prétendent même que « la méfiance est mère de sûreté », surtout quand elle est nationale

Que les apprentis diplomates sachent que les engageantes voies pacifiques peuvent être trop souvent illusoires. Que « Les loups et les brebis » les inspirent : « Nous pouvons conclure de là qu’il faut faire aux méchants une guerre continuelle. La paix est fort bonne de soi, j’en conviens, mais de quoi sert-elle avec des ennemis sans foi. »

Certains peuvent plus que jamais contester les sentences du fabuliste au nom d’un rationalisme triomphant… Comment un corbeau pourrait-il transporter un brie bien trop large pour son bec ou un camembert trop fait pour ne pas couler piteusement par son entame. Et pourtant, qu’ils admettent au moins que « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » … notamment en campagne présidentielle ou pour l’attribution d’un poste ou du siège suprême d’un parti.

La Fontaine est un vieux chnoque réactionnaire et Ésope joue aux osselets avec Ramsès II, soit… Ne les importunons pas davantage.

Anouilh, cela ne vous dit rien ? Il a pourtant fabulé un brin, lui aussi. Avant une affectation souhaitée à l’Hôtel combien prestigieux de la place Vendôme, lisez « Le procès » et sa chute édifiante : « Ne jouons pas à la justice quand nous n’avons pas le cœur pur. Sur un crime, le monde glisse. Un procès n’est jamais sûr. »

N’est pas le premier Dupont qui veut.

À découvrir les turpitudes qui émergent à longueur de temps du bourbier politicien et les réactions qu’elles suscitent dans la France profonde (il y a peu, elle somnolait encore béatement), jamais la morale de sa fable « Le renard jugé par un autre » n’a été aussi actuelle : « Mais on ne peut tromper tout le temps tout le monde – pas plus chez nous que chez eux. On s’en aperçoit tôt ou tard. On croit la ruse féconde ; L’honnêteté paie à la longue… Messieurs, j’ai essayé les deux. »

Anouilh pratiquait parfois le jeu du personnage caché. « Par son air de bravoure et pour sa haute taille la girafe un jour voulut être roi. Elle n’avait pas gagné de bataille mais elle avait en maint endroit, du haut de son haut col dominant la mêlée, par des ruses bien calculées, donné l’impression de diriger la guerre ». Soixante ans après la parution de « La girafe et la tortue », je n’ai toujours pas compris quel haut personnage était visé. Certes, je reste un grand naïf… Pourtant en relisant sa morale une question m’est venue. Notre dramaturge ne voulait-il pas aborder le genre prophétique : « Gardons-nous bien pour un empire (c’est vraiment le cas de le dire) de confondre à jamais gigantisme et grandeur ».

Qui osera redonner vie à la fable, aujourd’hui délaissée, pour en tirer des morales adaptées à notre société déboussolée ?

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