L’Âge d’or de la comédie musicale américaine
Entretien avec Nicolas Bonnal, auteur (avec Tetyana Popova-Mozovska) de L’Âge d’or de la comédie musicale américaine
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul, publiés sur le site de la réinformation européenne Eurolibertés).
Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
C’est d’abord un livre de couple écrit avec mon épouse Tetyana, musicienne et traductrice, qui a découvert le sujet avec moi. Car c’est en effet un sujet que je connaissais mal, à part deux ou trois comédies légendaires et quelques numéros de claquette de Fred Astaire. Mais je savais qu’il y avait eu un âge d’or, comme on dit, une Amérique heureuse avant les années soixante (Kennedy, Vietnam, Amérique woke, pseudo-libération sexuelle, etc.). Or j’aime la nostalgie et le culte de la nostalgie est fort en Amérique, et depuis longtemps. Il s’éteindra avec le dernier petit blanc. On appelle ce cinéma nostalgique Americana (voyez ou découvrez Henry King), et il s’est illustré dans la comédie musicale. Voyez Belle de New York ou l’admirable Chanson du Missouri de Minnelli. C’est l’Amérique d’avant les guerres, l’armée, les impôts, la Fed et toutes horreurs. C’est le monde d’avant les guerres, d’avant la grande crise aussi. On y célèbre le progrès technique (chansons sur le trolley, sur les trains, etc.), on n’en a pas peur comme aujourd’hui. Voilà pour les raisons psychologiques.
Et quels films vous ont enchanté ?
Pour les raisons artistiques, j’ai découvert, émerveillé, vers quarante ans les Sept fiancées pour sept frères et Brigadoon, dont j’ai parlé dans mon livre sur le paganisme (Plutarque, l’Autre Monde, l’Écosse mythique…). Et de fil en aiguille j’ai acheté et vu presque tous les films de cette belle époque du cinéma. Elle n’a duré que trente ans et en particulier, quinze de 1945 à 1960. Après ce sont le déclin et la perte du goût. West Side Story signe la fin du rêve américain : conflits raciaux, conflits sexués (rien à voir avec la savoureuse guerre des sexes de Lubitsch ou Donen), criminalité et sottise massifiée. Il y a pléthore de films admirables et méconnus : le Pirate de Minnelli avec un Gene Kelly au mieux de sa forme. C’est un film sur l’hypnose dans une île coloniale espagnole.
Avec votre épouse, vous insistez beaucoup sur les onirismes, les symbolismes et toute une poésie qui semble décalée dans un spectacle grand public.
Tout cela n’était pas décalé à l’époque. On a Brigadoon, grand film onirique (changer de réalité et revenir aux temps anciens), on a Yolande et le voleur, film que nous adorons avec Tetyana et qui montre une Amérique du Sud hispanique, idéale, chrétienne et fantaisiste. Les grands moments de Chantons sous la pluie avec Cyd Charisse relèvent du pur onirisme. On a Oz bien sûr et cela ouvre d’autres horizons : le totalitarisme que nous vivons aujourd’hui avec la technologie et les médias. Oz est une parabole sur le pouvoir et ses illusions. D’autres films évoquent le cauchemar comme Les 5 000 doigts du Dr T ou Chitty-Chitty Bang-Bang où un prince fou confine les enfants… Il y a aussi une belle présence de Leslie Caron dans le film Lily qui offre une belle méditation sur la réalité ontologique des marionnettes. Nous insistons aussi sur l’hypnose car il y a une séduction qui s’opère à partir du chant et de la danse : d’où mes références à la Bible et au Zarathoustra de Nietzsche.
Vous aimez le côté caustique de la comédie musicale ?
Tout à fait ; il y a une critique marrante et constructive, un goût de la satire sociale dans la tradition de Molière ou d’Aristophane. Drôle de frimousse en met plein la gueule au parisien et au sartrien, à l’intello prétentieux (et le film se termine par une danse devant une chapelle !). C’est un spectacle pour jeunes qui aime se moquer des vieilleries et des icônes du jour, avec un Fred Astaire époustouflant qui frôle alors la soixantaine ! Les films de Donen sont plus critiques que ceux de Minnelli (encore que…). La Belle de Moscou avec Cyd et Fred se moque des élites soviétiques qui vont trahir car elles veulent le confort ! Beau fixe sur New York aussi dénonce le rôle à venir de la télé qui détruit alors le cinéma classique hollywoodien et abrutit les masses avec la pub et le direct. Ici la critique de la télé est plus percutante que celle de Debord ou d’Adorno. Un Américain à Paris aussi est très critique sur le monde de l’art, des riches, sur la déception dans la vie. Tout cela doit beaucoup au génie de Lerner, qui est mon scénariste préféré (My Fair Lady). Les Juifs ont été omniprésents dans cette affaire ; j’ai d’ailleurs insisté dans mon livre sur le génie juif sans qui la comédie musicale n’aurait pas existé. Découvrez le prodigieux chorégraphe Michael Kidd qui a réglé d’incomparables ballets, comme celui des frères et de leurs fiancées dans la construction de la grange (événement mythique dans l’Amérique ou l’Europe rurale traditionnelle).
Vous insistez beaucoup sur la marine et la guerre…
Oui. 12 millions de mobilisés, des gars angoissés, des fiancées abandonnées, et la conquête du monde par la marine (cf. Spykman et la thalassocratie). Tout cela succède à la crise qui a permis de révéler le génie de Busby Berkeley et de l’extraordinaire, de la génialissime artiste portugaise Carmen Miranda qui triompha à Hollywood comme au Brésil. Cela donne des opus comme Une Journée à New York de mon Donen ou l’incomparable Anchors aweigh (Escale à Hollywood) de Sidney. Sinatra, si beau et si charmant jeune, y chante avec le chef d’orchestre espagnol Iturbi, Gene Kelly y danse avec la souris animée Jerry et on a dans ce film géant de grands moments de musique classique ; la très belle Kathryn Grayson y est sublime. Même Hair finira par une évocation de la guerre du Vietnam, puisque l’empire ne se repose jamais et qu’il navigue toujours. Le symbolisme de la navigation est très présent dans le cinéma américain de l’époque : on succède aux Anglais et on prend le contrôle du monde avec le dollar, la cigarette et Rita Hayworth. Cette dernière est d’ailleurs très bonne chanteuse et danseuse, et pas que dans Gilda.
En un mot, qu’est-ce qui fait le génie de cette époque vernie du cinéma ?
L’amour. Comme on a dit à l’époque, c’est l’amour de la femme, de la vie, du pays, et de l’activité humaine ! Sans compter la danse et la musique et le technicolor ! Amen…
L’Âge d’or de la comédie musicale américaine de Nicolas Bonnal & Tetyana Popova-Mozovska, éditions Dualpha, collection « Patrimoine du spectacle », dirigée par Philippe Randa, 274 pages, 29 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.
Nicolas Bonnal est l’auteur de monographies (Tolkien, Mitterrand, Annaud,…) et d’une dizaine de livres sur l’histoire et les grands noms du cinéma (Hitchcock, Kubrick, Ridley Scott). Son épouse Tetyana, musicologue et traductrice de Pouchkine et Boris Pasternak, le guide ici dans son approche de la symbolique des grandes danses hollywoodiennes.
Du même auteur
chez le même éditeur
Ridley Scott et le cinéma rétrofuturiste, 2014
Les mystères de Stanley Kubrick, 2014
Le paganisme au cinéma, 2015
Donald Trump, le candidat du chaos, 2016
La chevalerie hyperboréenne et le Graal, 2016
Littérature et conspiration, 2017
Hitchcock et les femmes, 2020
L’Âge d’or de la comédie musicale américaine (avec Tetyana Popova-Mozovska), 2021
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