Allemagne : « Le nouveau Nous »
Après seize années hégémoniques d’Angela Merkel, les élections du 26 septembre en Allemagne marquent un nouveau tournant, même si la perspective d’une classique coalition « à l’allemande » ne change guère la politique de l’Allemagne. Les deux « vainqueurs », SPD et CDU-CSU, avec un SPD légèrement en tête d’un peu plus de 1 %, réclament la chancellerie avec force de rodomontades pour planter le décor de leurs futures négociations avec les Verts et les Libéraux pour former une nouvelle majorité.
Les Verts font une percée importante avec 14,8 %, gagnant 6 points par rapport à 2017 (8,9 %) ; Die Linke (équivalent de la France Insoumise) s’effondre à moins de 5 %, au profit du SPD.
Quant à l’AfD, elle est en léger recul de deux points, avec 10,3 %, mais conserve 83 députés. Elle arrive en tête en Thuringe et en Saxe-Anhalt et réalise 21 % en moyenne dans les Landers de l’est de l’Allemagne. Une Allemagne encore coupée en deux…
Ces résultats interrogent, dans un contexte d’ébullition des idées en Europe, et de questions existentielles, identitaires et civilisationnelles. L’Allemagne en effet semble connaître un développement séparé ou à contre-courant, ou plus exactement comme un dernier gardien du progressisme « à l’ancienne », avec ses vieilles luttes droite/gauche, pourtant si proches l’une de l’autre, avec un zest de vert bienséant, de repentance éternelle, et comme objectif unique de demeurer la superpuissance économique européenne.
S’y greffent plaisamment les notions de « cancel culture » et de « woke culture », comme pour se démarquer encore davantage des démons du passé récent de l’Allemagne et rejeter toute suspicion de défense des valeurs européennes.
À tous ces égards, l’Allemagne donne le visage d’une nation en pleine déliquescence, encore plus avancée qu’en France. Un peuple soumis – servitude volontaire – à l’abandon des valeurs civilisationnelles européennes et prêt à accélérer sa fin historique, pour peu qu’elle puisse rester une championne économique à tout prix. Ce qui n’est même pas sûr. Sa dénatalité catastrophique ajoute une dernière touche à cette sorte de suicide collectif d’un peuple en perdition qui ne s’est jamais remis de 1945. De la honte politique il est passé à la haine de lui-même en tant que peuple et nation.
Emblématique en est l’historien allemand, d’origine tchèque, – de gauche bien sûr – Jan Plamper, qu’il faut citer pour comprendre ce qu’est l’Allemagne d’aujourd’hui. Il applaudit à la « Willkommenskultur » inaugurée splendidement en 2015 avec l’accueil d’un million d’immigrés ; il écrit un livre, « Das neue Wir » (« le nouveau nous », qui en réalité devrait s’appeler « La fin du Nous »), qui encense et appelle de tous ses vœux une nouvelle identité allemande fondée sur les mixités culturelles, nouvelle identité qui reçoit un écho certain chez une majorité d’Allemands : sous les années Merkel, « L’Allemagne a manqué l’occasion de s’attaquer plus vigoureusement au changement climatique, de changer de modèle économique et de promouvoir une identité civique de la nation, prenant en compte le fait qu’elle est devenue un pays d’immigration » ; « Au moins un quart des Allemands, soit environ 20 millions de personnes, sont aujourd’hui d’origine étrangère récente, avec au moins un parent né en dehors de l’Allemagne ».
« Le modèle du “saladier”, une société où il n’est pas nécessaire de renoncer à son héritage culturel pour être considéré comme citoyen à part entière, semble le plus viable ». Le « saladier » de Plamper remplace le « melting-pot » américain, mais avec des mélanges civilisationnels qui en changent complètement le sens profond et durable.
« Les grandes questions des prochaines années sont le changement climatique… l’immigration, le modèle socio-économique et ses alternatives, la pandémie de Covid-19 et d’autres sujets comme la politique identitaire, les guerres culturelles, la “cancel culture” ».
Jan Plamper a de nombreux équivalents en France, Jean-Luc Mélenchon ouvertement et beaucoup d’autres plus discrètement. Il n’y a plus qu’à espérer que la France, malgré Emmanuel Macron, autre champion du tout économique mondialisé contre les préoccupations civilisationnelles, ne suive pas l’Allemagne et que les élections d’avril prochain en France ne refléteront pas les résultats catastrophiques, sur le fond et le long terme, en termes existentiels, d’une Allemagne majoritairement moribonde et heureuse de son doux suicide mélancolique. À l’allemande.
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