Le nouveau martyre arménien
Par Etienne Defay.
2020 annus horribilis
On pensait que l’année 2020 allait se conclure sans autre mauvaise nouvelle. On pensait que l’Union européenne n’aurait pas d’autre occasion de se ridiculiser et de se dédire ou encore que la Turquie ne rajouterait pas d’avanie supplémentaire à sa longue liste. Et pourtant, rallumant un conflit à la fois méconnu et couvant sous la cendre, Bakou appuyé par Ankara déversait à nouveau ses soldats dans la République d’Artsakh, enclave azérie peuplée d’Arméniens ayant proclamé son indépendance.
Des centaines de mercenaires syriens convoyés par la Turquie et l’armée azérie ont écrasé les armées arméniennes et d’Artsakh en un mois, plongeant les habitants de cette petite république dans l’exode causé par la terreur de nouvelles persécutions. Las. Meurtres de civils, profanations d’églises, tronçonnages de croix, exécution et humiliations de prisonniers de guerre… Les quelques vidéos émises par les soldats azéris sur les réseaux sociaux ont ému et scandalisé. Exit les promesses du dictateur azéri Aliev concernant la sauvegarde du patrimoine chrétien. Envolées les illusions d’une diplomatie européenne aux fraises, coincée entre ses devoirs, ses intérêts économiques mais aussi ses nations prises en otages par leur diaspora turque. Cette dernière qui n’a pas manqué d’organiser dans quelques villes de France des démonstrations de force qui se sont muées en ratonnades anti-arméniennes.
Derrière ce conflit, évidemment, la main gantée d’Erdogan qui, fidèle à la tradition ottomane, s’est semble-t-il juré d’éradiquer la présence arménienne du Caucase. À Erevan, on compte les morts et on a le cœur serré en écoutant les plaintes des familles sans nouvelles de leurs enfants disparus au front. On écoute les nouvelles désespérantes de tel ou tel village tombé aux mains des islamistes, on regarde vers l’Occident, attendant un secours qui ne viendra jamais hormis une poignée de combattants non arméniens venus comme pour honorer une promesse que nos dirigeants ont reniée. Hormis quelques voix, dont celle remarquablement audible et claire du journaliste Jean-Christophe Buisson et les cris d’alarme lancés par l’association SOS Chrétiens d’Orient, la France est restée muette.
À quelques milliers de kilomètres de nous, les Arméniens meurent en défendant leur terre. Ils tombent sans plainte ni regret et donnent une terrible leçon à un vieil Occident au courage plus que déclinant. En lisant, écoutant, se renseignant sur ce conflit à la fois lointain mais terriblement proche, on peine à réaliser que la France représente encore quelque chose pour les Arméniens. Mais le vieil allié s’est détourné. A peine se contente-t-il d’être un refuge pour ceux qui fuient Turcs et Azéris. Tout en accueillant Turcs et Syriens.
Erdogan s’est joué de l’Europe, il se joue de toute règle internationale et de toute obligation. Jusqu’à quand allons-nous tolérer les provocations d’un adversaire qui n’a en tête qu’un seul objectif, restaurer la Turquie de 1914. Espérons que quelqu’un dans un ministère comprendra que ce sera fatalement à nos dépens.
Article paru dans les colonnes du quotidien Présent.
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