Câest le propre des sociĂ©tĂ©s libĂ©rales que de vouloir dissocier lâidĂ©e du beau dans un relativisme tel quâil faut paradoxalement le qualifier de relativisme absolu. « à chacun son idĂ©e du beau ». VoilĂ le mot dâordre des sociĂ©tĂ©s libĂ©rales depuis Jack Lang et ses continuateurs. De maniĂšre logique, la disparition de lâidĂ©e du beau, la disparition de lâidĂ©e dâune beautĂ© qui pourrait sâenseigner, que lâon pourrait apprendre Ă aimer, cette disparition est concomitante de la disparition de lâidĂ©e de bien commun. Si on peut dire « A chacun son beau » alors on peut dire « à chacun son bien ». LâinconvĂ©nient est alors quâil nây a plus de sociĂ©tĂ©. Le commun disparaĂźt. LâidĂ©e de bien commun est remplacĂ©e par celle de « sociĂ©tĂ© du respect » (Najat Vallaud-Belkacem reprend bien sĂ»r le terme).
La sociĂ©tĂ© du respect est le stade ultime de la dĂ©construction dâun peuple et de son atomisation. Câest le contraire de la fraternitĂ©. LibĂ©raux-libertaires (de « gauche »), et productivistes croissancistes forcenĂ©s (de « droite ») se retrouvent, ici comme ailleurs, sur lâessentiel : la destruction des racines, de la transmission, de lâidĂ©e de bien commun. Il se produit alors ce que Robert Redeker appelle une « dĂ©finalisation de lâexistence collective ». Sans bien commun, il nây a plus (ou pas) de culture commune.
Câest pourquoi la culture gĂ©nĂ©rale est progressivement vidĂ©e de son contenu et balayĂ©e des concours. CondamnĂ©e pour son « élitisme », la culture gĂ©nĂ©rale est remplacĂ©e par des capacitĂ©s dâ« expertise » (des compĂ©tences microsectorielles) sans vision dâensemble. « CompĂ©tences », « talents », « aptitudes » et savoir-faire remplacent les savoirs (tout court) et le niveau gĂ©nĂ©ral de culture.
Puisque tout est culture (la façon de se moucher ou de tenir sa cigarette) rien ne relĂšve dâune culture qui pourrait sâapprendre et ĂȘtre notre horizon partagĂ© â ce que lâon appelait les humanitĂ©s. Le culturel a tuĂ© le cultivĂ©, comme lâa remarquĂ© Alain Finkielkraut. Il nây a plus de culture, il nây a plus que des « champs » culturels. Dans ces « champs » culturels, tout Ă©gale tout. Et le meilleur Ă©gale le moins que rien (câest « question de goĂ»t »).
La « sociĂ©tĂ© du respect » â qui est en fait une « dyssociĂ©té » â oblige Ă respecter autant le beau travail, patient et exigeant, que la « production culturelle » dâun quelconque imposteur sponsorisĂ© par une mairie ou une DRAC. La nouvelle clĂ©ricature « bobo » (bourgeois-bohĂšme) a fait de lâantinormativisme la nouvelle norme.
Ce qui caractĂ©rise lâantinormativisme de rigueur â la nouvelle norme â câest quâil se meut dans la stricte horizontalitĂ©. Toutes les transgressions sont Ă louer â Ă applaudir, car nous sommes dans une Ă©poque applaudissante â sauf celles qui nous Ă©lĂšveraient. Sauf les transgressions qui nous rappelleraient lâexistence dâune autre dimension, la verticalitĂ©.
Nous vivons une « dĂ©finalisation de lâexistence collective dans laquelle il convient de repĂ©rer une suite inĂ©vitable de la libertĂ© des Modernes », note Robert Redeker. LâhorizontalitĂ© qui domine nâest pas la culture gĂ©nĂ©rale, qui Ă©lĂšve, mais ce nâest pas non plus la culture populaire, qui relie. Câen est la perversion, le dĂ©tournement. La culture de masse nâest pas lâhabitus du peuple, de la classe laborieuse. Câest bien autre chose. Câest une culture qui vise Ă lâĂ©galisation des intĂ©rioritĂ©s. Ă leur abaissement mĂȘme. Une Ă©galisation par le bas, un affaissement, une rĂ©duction Ă la rigolade, Ă la dĂ©rision, ou Ă la petite compassion. Câest lâhomo festivus tempĂ©rĂ© par un peu de sentimentalitĂ© niaise. Au moment oĂč les Ă©carts matĂ©riels sâaccroissent, un riche nâest plus quâun pauvre avec de la thune.
La communication a tuĂ© le professorat, les Ă©lĂšves ont cĂ©dĂ© la place aux apprenants. LâĂ©cole nâest plus une institution. « Ses missions, transmettre lâhĂ©ritage du passĂ©, autrement dit fabriquer des hĂ©ritiers, amalgamer Ă la Nation, instituer lâĂąme et conduire au pays de la pensĂ©e â ont sombrĂ© dans lâoubli ». Il reste un fantĂŽme â celui dâune Ă©cole nationale et rĂ©publicaine, celle qui donnait un hĂ©ritage culturel, mĂȘme et surtout aux plus pauvres, aux plus modestes des enfants de notre patrie. Câest un fantĂŽme qui appelle Ă une renaissance.
Robert Redeker, LâĂ©cole fantĂŽme, DesclĂ©e de Brouwer, 204 pages, 18 âŹ.
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