17 octobre 2017

Europe : vers un modèle autrichien ?

Par Nicolas Gauthier

 

(Propos recueillis par Guillaume Mansart).

Les médias ont tendance à comparer Sebastian Kurz et Emmanuel Macron. Hormis leur jeune âge et leur ambition assumée, sont-ils si semblables que cela ?

Oui et non. Non, parce que Sebastian Kurz, au contraire d’Emmanuel Macron, fait de la politique depuis sa quasi-adolescence : directeur des jeunes du Parti populaire autrichien à 23 ans, secrétaire d’État à l’Intégration deux ans plus tard, puis ministre de l’Intégration à 27 ans, patron de l’ÖVP et Chancelier à 31 ans, ce n’est pas rien. Oui, parce que chacun à leur manière, ils ont tous deux tiré la nappe et renversé la table. Macron en reléguant Parti socialiste et Républicains au placard, Kurz en dynamitant l’ÖVP de l’intérieur. Il n’y a pas qu’à Paris que le « dégagisme » a frappé ; à Vienne aussi. Ces deux hommes ont bien compris que les étiquettes de naguère n’avaient plus cours aujourd’hui. Pareillement, ils sont tout deux parfaitement décomplexés par rapport à leur culture politique d’origine. Emmanuel Macron bouscule les derniers fondamentaux de gauche en prenant objectivement fait et cause pour cette « France qui réussit » et Sebastian Kurz fait de même en tirant le Parti populaire, traditionnellement prudent en toutes choses, vers une ligne à la fois sécuritaire et identitaire. Bref, les deux ont coupé l’herbe sous les pieds de la droite et de la gauche d’antan ; voire des nationalistes du FPÖ pour le second, et du Front national pour le premier, lequel a en quelque sorte réussi à le faire passer pour un parti désormais dépassé…

Sebastian Kurz

Sebastian Kurz

Une éventuelle coalition droite conservatrice-populistes en Autriche pourrait-elle montrer la voie d’une future coalition Les Républicains-Front national en France ? De même, puisqu’une coalition socialistes-populistes en Autriche n’est pas totalement exclue (et qu’elle s’est déjà produite), une entente France Insoumise-FN serait-elle si invraisemblable que cela dans l’avenir ?

Dans l’absolu, tout est évidemment possible. Mais la vie politique autrichienne n’a que peu à voir avec la vie politique française. Pour commencer, le FPÖ, malgré un ADN autrement plus « sulfureux » que celui du Front national, n’est pas là-bas frappé du même opprobre médiatique. Déjà parce que les médias ne sont pas les mêmes : de grands journaux conservateurs soutiennent le FPÖ ; un peu comme si chez nous, Marine Le Pen avait son rond de serviette au Figaro ou à TF1 ou que nous soyons tous deux invités à discourir chaque semaine au JT de France 2… De plus, les Autrichiens ont la culture des grandes coalitions, du fait de leur mode de scrutin proportionnel. Une future et possible entente ÖVP/FPÖ est donc là-bas parfaitement envisageable, alors qu’en France, c’est un peu moins le cas ! Bien sûr, certains électeurs et élus des Républicains la souhaitent ; nombre de dirigeants lepénistes l’appellent de leurs vœux. Mais pour s’unir, au moins faut-il être deux, et il ne vous aura pas échappé que Laurent Wauquiez ne voit pas pour l’instant cette hypothèse d’un bon œil, tel qu’en témoigne le traitement réservé aux naïfs imprudents de Sens commun.

Quant à une alliance qui irait au-delà de la droite et de la gauche, vous évoquez à raison l’ancienne et éphémère alliance entre le FPÖ et les sociaux-démocrates du SPÖ ; mais en 1983, le FPÖ n’était que simple force d’appoint et non pas un mouvement qui, tel que vu récemment, est susceptible d’emporter la présidence. Depuis, les dynamiques électorales ont changé. Le SPÖ n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. De telles alliances transcourants, et désormais à contretemps, nécessiteraient une culture révolutionnaire qui n’est plus vraiment celle de l’Autriche. En France, ce serait, d’un point de vue intellectuel, beaucoup plus plausible et envisageable, mais les réflexes électoraux semblent là encore être pour le moment les plus forts.

C’est ce qu’a fort bien analysé Aquilino Morelle, ancienne plume de Lionel Jospin. En France, si le peuple du « Non » au référendum sur la constitution européenne en 2005 est largement majoritaire, il s’est présenté désuni à la dernière élection présidentielle. Alors que celui du « Oui », amplement minoritaire, a montré un front uni, front qu’Emmanuel Macron incarne à la perfection. En bonne logique politique, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon auraient dû faire bloc, se tendre la main entre patriotes des deux « rives », emblématiques qu’ils sont de cette France abandonnée aux marges des grandes métropoles et de la vie politique tout court.

Cela ne s’est pas fait, même si certains le voulaient manifestement, d’un côté comme de l’autre ; les deux principaux intéressés aussi, peut-être. Il y avait une ouverture. Il n’aurait pas été incongru de s’y ruer. Voilà qui aurait été révolutionnaire, bien plus que ce même « dégagisme » consistant à « dégager » des vieux pour mettre à la place des jeunes destinés et décidés à mener à peu près la même politique.

L’éventuel futur chancelier Sebastian Kurz n’a pas caché qu’il pourrait envisager de rapprocher l’Autriche du groupe de Visegrád ? Qu’elles en seraient les conséquences ?

Voilà qui serait une autre véritable révolution. Car ce groupe, composé de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie, incarne cette Europe ayant quitté le joug communiste pour tomber sous la férule libérale. Derniers invités au « banquet » européen, ils n’ont pas véritablement leur mot à dire. En revanche, qu’un pays tel que l’Autriche puisse rejoindre ce groupe, voilà qui lui donnerait un tout autre poids, une tout autre stature. Mieux, l’Autriche est un pays symbolique à plus d’un titre, étant celui de la fameuse « neutralité ». « Neutralité » géographique, il est pont entre Europe de l’Ouest et de l’Est. Et « neutralité » politique, il n’a jamais adhéré, du temps de la Guerre froide, ni à l’OTAN ni au Pacte de Varsovie ; tout comme à celui du conflit israélo-palestinien, il possédait des contacts privilégiés avec Tel Aviv et l’OLP. On pourrait même y ajouter une sorte de « neutralité » civilisationnelle remontant à l’empire austro-hongrois, période durant laquelle il sut faire cohabiter en plus ou moins bonne harmonie des communautés ne partageant pas toujours les mêmes mœurs, la même langue, les mêmes croyances. Ne reste plus qu’à savoir si le jeune Sebastian Kurz sera à la hauteur des enjeux qui s’annoncent, car une Autriche qui sortirait de cette « neutralité », voilà un événement qui serait tout, sauf « neutre »…

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Philippe Randa,
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