17 janvier 2019

Citoyens européens : certains sont plus égaux que d’autres

Par Euro Libertes

par Nathalie Joron.

Pour mémoire : l’accord de Schengen, comme son nom l’indique, a été conclu en 1985 entre des pays de l’Union européenne, mais c’est un accord intergouvernemental. L’objectif était alors la création d’un espace sans contrôle pour les citoyens des États signataires à l’occasion de leur circulation à l’intérieur de l’espace géographique des États signataires, dont la France. Il s’agissait de rapprocher l’Europe de ses citoyens : le citoyen européen est une personne qui a la nationalité d’un État membre.

Rappelons qu’en 1985, le principe de libre circulation ne s’appliquait qu’aux travailleurs, aux prestataires de services et à ceux (personne morale ou physique) qui souhaitaient s’établir dans un autre État membre. Bref, le principe de libre circulation ne valait que dans une perspective économique.

Ces accords ont fait l’objet d’une Convention d’application signée en 1990, afin de les intégrer au bloc réglementaire de l’Union européenne et ayant également pour finalité le renforcement des contrôles à l’extérieur du territoire Schengen. Ladite Convention d’application est entrée en vigueur en 1995 au sein de l’union européenne, obligeant par là même les États signataires et ceux ayant accepté d’adhérer à la Convention d’application (cliquez ici).

Le Département d’outre-mer est une catégorie territoriale créée par la Constitution de la Ve République. Ce dernier texte donne, rétroactivement, une base constitutionnelle à la loi du 19 mars 1946, loi dite de départementalisation, qui consacre le nouveau statut de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion (et, depuis le 31 mars 2011, de Mayotte également).

Ces territoires, soumis au principe d’assimilation, se voient appliquer, par principe, la réglementation en vigueur en France métropolitaine. Des règles dérogatoires ou différentes peuvent y être appliquées, tenant compte de l’intérêt de ces territoires.

Ainsi, à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2008, l’article 73 rappelle le régime de l’identité législative, le principe de l’application de plein droit des lois et règlements en vigueur en France métropolitaine, sous réserve de l’adoption par le législateur français, de textes d’adaptation tenant compte des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités… et serait-on tenté de dire, dans leur intérêt (cliquez ici).

Comment expliquer alors que l’article 138 alinéa 1 de la Convention d’application de l’accord de Schengen exclut les collectivités ultramarines de la France du territoire Schengen (de même que pour certains territoires des Pays-Bas), à la demande même de la France, entraînant pour les citoyens français en provenance de ces territoires (autochtones ou pas) le passage dans une zone spécifique entraînant un contrôle à l’entrée du territoire français, alors qu’ils viennent d’un territoire français intégré à la République par la force de la Constitution actuellement en vigueur ?

Lorsqu’il a été question d’introduire la Convention d’application dans le droit positif français, des parlementaires ont posé au Conseil constitutionnel la question de la compatibilité de cette disposition avec le principe de l’indivisibilité de la République.

Dans sa décision du 31 décembre 1997, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur le fait que la suppression des contrôles étant limitée aux « frontières communes » du point de vue géographique, des États signataires, l’exclusion des territoires ultramarins pouvait tout à fait se justifier.(1)

Il reste que, cependant, cette approche au regard du droit communautaire est contestable. En effet, l’UE définit la frontière d’un État membre à l’intérieur de la Communauté comme, notamment, leurs aéroports pour les vols intracommunautaires. Ces derniers sont définis comme « le déplacement d’un aéronef entre deux aéroports communautaires, sans escale entre ces deux aéroports et n’ayant pas commencé ou ne se terminant pas dans un aéroport non communautaire » (ce qui est plutôt le cas entre les DROM et la France).(2)

Enfin, le § 3 d’introduction du Protocole relatif à l’intégration de l’acquis de Schengen dans le droit de l’UE rappelle que « les dispositions de l’acquis de Schengen sont applicables uniquement si et dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union européenne et de la Communauté ».

La France a cru bon de rappeler, dans une déclaration annexée au Traité d’Amsterdam, que l’intégration de l’acquis de Schengen dans le cadre communautaire « n’affecte pas le champ d’application géographique de la Convention d’application de la Convention d’application de l’accord de Schengen […] tel qu’il est défini à l’article 138 alinéa 1 de cette Convention ».

Même si une déclaration n’emporte pas d’effet juridique, sa seule existence témoigne de l’ambiguïté de la position de la Communauté.(3)

Certes, les autorités chargées du contrôle de ces citoyens ont une attitude plutôt bienveillante et pas forcément très inquisitrice dans la pratique. Cela rend la pilule moins difficile à avaler quand on sait que, par principe, certains citoyens sont plus égaux que d’autres et que, provenant des territoires en question, on n’est citoyen européen que si on l’a prouvé alors que l’on vient d’une partie du territoire du pays dans lequel on débarque. En outre, une possible grève du zèle peut rendre la situation à l’arrivée assez insupportable et clairement « questionnante ».

Alors, essayons de trouver une explication à cela :

Les DROM (Départements et régions d’outre-mer depuis la réforme constitutionnelle de 2008) sont certes dans le territoire douanier de l’Union, mais hors de son territoire fiscal. Cela signifie que les marchandises à l’entrée de ces territoires ou en sortant, à destination d’autres parties de l’UE ne peuvent être soumises à des droits de douane.

Cela signifie également que les produits entrant dans ces territoires ultramarins sont soumis à une fiscalité différente de celle applicable sur le territoire métropolitain et bien sûr dans le reste de l’UE (hypothèse de l’harmonisation de la fiscalité), exception faite des produits destinés à l’usage personnel et dans des quantités limitées par la loi (hé oui ! il y a un duty free un peu bâtard applicable entre ces territoires et la mère patrie).

Alors, on pourrait dire que c’est pour les besoins d’un tel contrôle à visée fiscale que persiste ce contrôle particulier. Soyons cependant sérieux… La très grande majorité des voyageurs ne transporte que des effets personnels et la mise en œuvre de la Convention d’application des accords de Schengen permet des contrôles ponctuels pour des raisons de sécurité.

Jusqu’à ce que l’UE cofinance l’extension des pistes d’atterrissage d’au moins 3 200 mètres dans ces territoires, il était nécessaire pour les avions en partance ou à destination de ces territoires (surtout en partance) de faire des escales techniques (faire le plein de kérosène). Depuis plus de 10 ans, les vols s’effectuent par principe sans escale. En conséquence les contrôles à l’arrivée dans les DROM ou sur le territoire de l’UE ne se justifient plus pour les citoyens de l’UE, les contrôles s’effectuant au départ.

Alors quid de la porosité de certaines frontières ? On pense au Surinam avec la Guyane, des Comores avec Mayotte ou La Réunion. Mais enfin, est-ce que cela doit avoir pour conséquence l’impression pour certains citoyens de l’UE un tel déclassement ? De devoir prouver leur nationalité, en l’occurrence.

À rappeler que dans ses conclusions (4) l’Avocat Général Cosmas précisait « qu’en mettant en œuvre le concept de citoyenneté européenne, le Traité de Maastricht indique que le droit de libre circulation a changé de nature. En effet, si les dispositions de l’article 18 TCE (Traité sur la Communauté européenne) constituaient un simple rappel de ceux déjà reconnus par le Traité et le droit dérivé, il serait vidé de sa portée. De plus, une telle approche ne justifierait pas la position de ce texte dans le corps du Traité. L’effet principal de ce changement de perspective, devrait être que les contrôles aux frontières intérieures cessent d’être le principe, pour devenir une exception, justifiée par des raisons impérieuses proportionnées à l’objectif à atteindre » (5).

Notes

(1) Directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour, Journal officiel n° L 180 du 13 juillet 1990 p. 0026 – 0027.

(2) Directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour, Journal officiel n° L 180 du 13 juillet 1990 p. 0026 – 0027.

(3) Pour tous ces développements voir la Thèse Nathalie Bueb « Les régimes douaniers et fiscaux dérogatoires dans la Communauté européenne », pp 288 et s. http://www.theses.fr/2009STRA4026.

(4) Sous l’arrêt CJCE 21 septembre 1999 Wijsenbeek, (CJCE 21 septembre 1999 Wijsenbeek aff. C-378/97 Rec. I-6207)

(5) Voir également la Thèse de Nathalie Bueb, pp 288 et s.

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