ĂlevĂ© dans une famille de gaullistes inconditionnels, Ă©tant personnellement fort respectueux de la mĂ©moire du marĂ©chal Philippe PĂ©tain, lâunique stratĂšge français de la Grande Guerre et son meilleur tacticien, je nâavais a priori aucune affection pour Pierre Laval, le seul Gitan Ă sâĂȘtre fait un nom dans lâhistoire de France, par ailleurs remarquable homme dâaffaires (plutĂŽt honnĂȘte si on le compare Ă ses pairs politiciens-affairistes).
Toutefois, lâĂ©quitĂ© sâavĂšre indispensable Ă qui prĂ©tend Ă©crire sur lâhistoire, singuliĂšrement la contemporaine, oĂč la narration ressemble trop souvent Ă de la polĂ©mique, et la plus hideuse.
En outre, juger ce personnage sur des apparences, en passant Ă la trappe les paroles et les actes du sujet pour les dĂ©cennies antĂ©rieures aux annĂ©es dâOccupation, donner trop dâimportance aux calomnies dâun procĂšs, scandaleux parce que bĂąclĂ©, câest Ă la fois pratique (on dĂ©douane simultanĂ©ment de Gaulle et le marĂ©chal) et parfaitement illusoire.
Tant que lâon accablera Laval au moyen de demi-vĂ©ritĂ©s et surtout dâomissions, la routine universitaire de lâĂ©criture historique sur la France des annĂ©es 1933-1945 continuera dâĂȘtre une grotesque source de dĂ©sinformation, dans le droit fil des propagandes gaulliste et rĂ©sistancialiste, de la Deception britannique (soit, la tromperie systĂ©matique et volontaire de la Political warfare, si utile lors du conflit et pour en rĂ©aliser ensuite lâĂ©criture dans un registre iconique), enfin dans la tradition de la saga marĂ©chaliste. Plus dâun demi-siĂšcle aprĂšs les faits, il serait bon de commencer une cure de dĂ©sintoxication.
Toute sa vie, Laval fut viscĂ©ralement attachĂ© Ă la glĂšbe auvergnate. Le paradoxe, pour un descendant de ces nomades qui sillonnent la France depuis des siĂšcles, nâest quâapparent : il nâa jamais su dĂ©chiffrer lâhĂ©rĂ©ditĂ© inscrite dans les traits de son visage et dans son teint, que lâon retrouvait chez sa charmante fille, JosĂ©e de Chambrun.
En faire « un traĂźtre au service de lâAllemagne » est un non-sens : il ne fut jamais que farouchement français. Il nâaimait ni les Britanniques ni les Nord-AmĂ©ricains (Ă la diffĂ©rence, sur ce point, du MarĂ©chal) et haĂŻssait, non pas les Russes, mais le bolchevisme.
Le 22 juin 1942, en rĂ©ponse Ă des journalistes qui viennent le taquiner Ă lâoccasion de lâanniversaire de Barbarossa, il sâĂ©crie : « Je crois en la victoire de lâAllemagne parce que, sans elle, le bolchevisme lâemporterait partout en Europe ». Le texte de lâinterview est soumis au MarĂ©chal qui fait rectifier le « Je crois » en « Je souhaite », au prĂ©texte que Laval, nâĂ©tant pas militaire, nâa pas Ă croire quoi que ce soit Ă propos dâune campagne guerriĂšre.
Laval, bien avant 1914, était pacifiste et, avocat au barreau de Paris, il défendit avant la Grande Guerre des anarchistes et des insoumis au service militaire. Le Maréchal méprisera toujours ce cÎté anti guerrier.
Nationaliste et socialiste, Laval lâest bien avant 1914, donc avant la naissance du parti nazi. Il le fait de façon originale : jamais, dans aucun discours ni aucune note Ă©crite, il nâa fait preuve de racisme â soit la mention dâinĂ©galitĂ© entre races prĂ©tendument supĂ©rieures et infĂ©rieures (Ă la diffĂ©rence dâun LĂ©on Blum, entre bien dâautres exemples possibles) â ni mĂȘme de xĂ©nophobie : il respecte tout travailleur et ne mĂ©prise que le parasite.
PrĂ©sident du Conseil des ministres en 1931-1932 (13 mois) et en 1935-1936 (7 mois), il rĂ©agit Ă la crise Ă©conomique par une compression des dĂ©penses de lâĂtat : il gĂšre les finances de lâĂtat comme il le fait des siennes, en bon pĂšre de famille. Pacifiste viscĂ©ral, mais nullement aveugle aux pĂ©rils, il tente de se rapprocher de Mussolini que des politiciens sectaires avaient inutilement insultĂ©. Lors de la Guerre dâĂthiopie, quâil nâa nullement encouragĂ©e, il concocte avec le chef du Foreign Office, Samuel Hoare, un plan fort intelligent qui laissait son indĂ©pendance Ă lâĂthiopie, lâamputant des territoires dĂ©jĂ occupĂ©s par lâarmĂ©e italienne. Une haine, gĂ©nĂ©ralisĂ©e dans les mĂ©dias, empĂȘche seule son application.
En 1938-1939, le sĂ©nateur Laval tente de convaincre lâindĂ©cis Daladier de jouer la carte italienne contre le Reich. Il est trĂšs estimĂ© de « Staline » pour avoir soutenu, en 1935, une alliance militaire franco-soviĂ©tique, purement dĂ©fensive.
RĂ©publicain et nullement partisan dâune dictature, mais effarĂ© de la faiblesse du rĂ©gime lâĂ©tĂ© 40, il est le plus efficace nĂ©gociateur dans les coulisses du CongrĂšs, qui confie au marĂ©chal PĂ©tain la rĂ©daction dâune nouvelle Constitution. AppelĂ© au gouvernement, il veut finasser avec lâOccupant (comme lâavait fait Stresemann, face Ă Raymond PoincarĂ© et Ă Briand) et permettre Ă la Nation de survivre jusquâĂ la conclusion de la paix.
Sa collaboration Ă©conomique est faite de deux Ă©lĂ©ments bien pensĂ©s : il laisse les Allemands prendre ce quâil ne peut dĂ©fendre et il procure du travail aux Français. On oublie trop souvent quâil rĂšgne en France â toutes zones confondues â, lâĂ©tĂ© et lâautomne de 1940, un chĂŽmage effarant, pire quâen 1935 ou 1936.
De la mĂȘme façon il tentera de faire revenir un maximum de prisonniers de guerre en Ă©change de travailleurs volontaires (mais lâOccupant ne lui octroiera quâun retour pour trois dĂ©parts vers les usines du Reich, oĂč les travailleurs volontaires jouiront des mĂȘmes salaires et lois sociales que les travailleurs allemands). Le STO (Service du Travail Obligatoire) ne fut que la consĂ©quence de lâĂ©chec de cette politique de coopĂ©ration qui revenait Ă donner avec contrepartie plutĂŽt que de se laisser prendre pour rien : la haine gaulliste et communiste est la raison de cet Ă©chec, coĂ»teux pour la Nation.
Certes, Laval a cautionnĂ© la lutte contre les « rĂ©sistants communistes », mais on oublie trop souvent quâĂ partir de lâĂ©tĂ© 41, beaucoup de ceux-ci se comportent en terroristes assassinant des soldats allemands dĂ©sarmĂ©s et faisant payer la note par des otages innocents (il nâest toutefois pas membre du gouvernement qui a créé les Sections spĂ©ciales de lutte contre le terrorisme). Son soutien Ă la Milice, en 1943-1944, ne porte que sur la rĂ©pression de ce type dâactes, jugĂ©s dangereux pour la Nation mĂȘme par de Gaulle jusquâĂ lâapproche du DĂ©barquement. Laval nâa jamais ordonnĂ© lâexĂ©cution dâadversaire politique, et surtout pas celle de Mandel-Rothschild quâil frĂ©quentait de longue date.
Il nâa pas participĂ© Ă la rĂ©daction des deux Statuts des Juifs (octobre 1940 â il est membre du gouvernement et se dĂ©sintĂ©resse ouvertement du projet ; juin 1941, il nâen est plus membre). En 1943, il refusera les dĂ©naturalisations massives des Juifs admis Ă la qualitĂ© de citoyen français depuis 1927 et cette « rĂ©sistance » sera trĂšs vivement critiquĂ©e par Karl Oberg, le chef des SS et des polices allemandes en France. Il a vainement tentĂ© dâobtenir des diplomates nord-amĂ©ricains des visas en grand nombre pour les enfants juifs nĂ©s de non-citoyens français et dâapatrides⊠quelques dizaines de visas furent octroyĂ©s juste avant lâinvasion de lâAfrique du Nord et ne servirent donc Ă rien !
Sa politique juive a Ă©tĂ© fort simple, reposant sur un faux postulat : Laval croyait que les dĂ©portations de Juifs « vers lâest » correspondaient Ă un regroupement de travailleurs pour lâeffort de guerre allemand, en attendant leur refoulement plus loin encore, Ă la fin de la guerre. Câest pour cette raison quâil a insistĂ© pour quâon ne sĂ©pare pas les enfants de leurs parents. Il a cru Oberg et son discours lĂ©nifiant et non les plaintes alarmistes des rares Juifs qui avaient cru aux rumeurs â vagues et parfois trĂšs bizarres â dâextermination.
Pacifiste, anticommuniste, croyant aux vertus dâun parlementarisme dans le style des Clemenceau, PoincarĂ© ou Briand, il sâest effectivement trompĂ© durant les annĂ©es 1940-1944. Il a payĂ© ses erreurs de sa vie et en avait acceptĂ© le principe. Mais il nâa pu sâexpliquer devant des juges haineux, partiaux, assoiffĂ©s de sang. Il serait inconvenant de poursuivre lâĆuvre de cette parodie de justice, de ne pas examiner objectivement ce que fut lâhomme et de refuser lâanalyse honnĂȘte de sa politique.
Pour en savoir plus :Â Pierre Laval de lâarmistice au poteau de Michel Letan (cliquez ici).
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