25 novembre 2017

Néron fut-il un dictateur populiste efficace ?

Par Bernard Plouvier

Tout le monde croit connaître ce personnage, calomnié par Suétone, mais notre jugement sur cet Imperator n’aurait-il pas été défavorablement influencé par une propagande chrétienne, aussi erronée que peu charitable, et totalement déformé par les péplums-nanars hollywoodiens ?

Tiberius Claudius Nero.

Tiberius Claudius Nero.

Né en 37, c’est un descendant de Caius Julius Caesar et de Marc-Antoine, par son père, de Germanicus, neveu de Tibère, par sa mère. Claude, dont l’héritier naturel est fort peu doué, l’adopte après avoir épousé sa mère. Néron est un jeune homme extraordinairement brillant, instruit par Sénèque, l’excellent auteur de tragédies et le philosophe stoïcien d’une hypocrisie gigantesque : il prône le détachement des biens matériels, mais se bâtit une fortune grâce aux largesses de son impérial élève.

Tout naturellement, Néron succède à Claude en octobre 54, devenant Princeps senatus, titre auquel il ajoute, avec l’accord du Sénat, celui d’Imperator en 66. Il se suicide en juin 68, à l’occasion d’une révolte sénatoriale, dirigée par le richissime patricien Servius Sulpicius Galba, et s’ensuit une année de guerre civile jusqu’au triomphe de Vespasien.

Comme Caius Julius Caesar, Néron s’en prend aux fonctionnaires corrompus – il fait révoquer et juger, pour ce motif, douze gouverneurs de provinces – et lutte contre l’attribution frauduleuse des charges publiques par l’effet du favoritisme et du népotisme. Cela lui aliène la sympathie des très nombreux sénateurs et chevaliers.

Il réforme la Justice, la rendant gratuite (son coût passe à l’État) et accroît les peines à l’encontre des escrocs et des faussaires. Il diminue diverses taxes à la consommation dans l’Urbs (Rome), ce qui améliore le pouvoir d’achat des moins riches, mais il instaure, dans toute l’Italie, un impôt universel sur les revenus et la richesse (l’impôt sur la fortune)… là encore, il ne se fait pas que des amis.

Il finance divers travaux d’adduction d’eau potable. Il combat le luxe tapageur des aristocrates, et s’en prend personnellement aux fêtards noctambules, ce qui lui sera longuement reproché par Suétone et Tacite, issus des castes riches, et qui rédigeront leurs textes respectivement 75 ans et deux siècles après les faits, d’après des racontars transmis par ouï-dire… Historia s’écrit encore en partie de cette façon ; si l’on préfère, il n’y a pas que les historiens antiques qui se moquent du monde !

Sa politique de grands travaux urbains et ruraux procure du travail aux chômeurs : l’économie qui stagnait sous ses prédécesseurs redevient florissante.

En outre, il unifie les monnaies entre les deux parties, occidentale et orientale, de l’Empire, ce qui aboutit de fait à une dévaluation de 5 % pour la monnaie d’or, de 12 % pour celle d’argent. Les exportations en sont stimulées, mais les produits de luxe, importés du Proche et du lointain Orient, reviennent plus cher aux aristocrates, d’où un regain de fureur en 67-68, ce qui met en branle le dernier complot du règne et sa fin.

Cet érudit est un admirateur fanatique de la civilisation hellénistique, ce que l’on ne reprochera nullement à son lointain successeur Hadrien. Ce dont les chroniqueurs lui ont surtout fait grief est d’avoir exempté la Grèce, pays pauvre, d’impôt direct.

Bien que pacifique, il a ordonné quelques mesures militaires en Bretagne (l’Angleterre) et en Judée (en perpétuelle rébellion), pour les pacifier. Son règne étonne tellement les rois parthes qu’il s’ensuit un demi-siècle de paix entre les deux empires. Cela ne se renouvellera pas.

Ce petit rouquin dodu, fort myope – il est donc peu probable qu’il ait pris part à de nombreux combats ou à de nombreuses courses de chars –, est un bon poète et un médiocre chanteur, quelque peu cabotin… comme le sont nos politicards contemporains. C’est surtout un pacifique, n’aimant guère voir répandre le sang : il interdit d’achever les gladiateurs vaincus, ce qui fait contraste avec l’attitude de son prédécesseur et père adoptif, Claude, érudit, ivrogne et débauché, fort cruel au demeurant. Néron est un homme aimable et fort sociable, d’accès aisé aux justiciables… après tout, il approuve la libération de l’agitateur Saül de Tarse-Paul, en 60.

Totalement innocent du grand incendie de Rome, en juillet 64, il rentre dans l’Urbs pour y activer la lutte contre l’incendie, car il est, de droit, le premier édile de la Cité, et n’ordonne aucune persécution systématisée des chrétiens, ce qui n’exclut nullement que quelques esclaves chrétiens aient pu être condamnés avant la première persécution qui eut lieu en 68, alors que l’Imperator était en Grèce, s’occupant du tracé du canal de Corinthe. Il fait rebâtir Rome, selon des critères de sécurité urbaine, dépensant l’essentiel de son immense fortune non seulement pour sa Maison dorée, mais aussi pour aider les pauvres ruinés par l’incendie.

De la même façon, il contribue aux travaux de reconstruction de Lyon, victime d’un incendie en août 64… et nul n’a jamais osé lui reprocher une quelconque responsabilité dans ce dernier incendie, quasi-concomitant du romain. Jusqu’au XIXe siècle, les incendies urbains furent une plaie constante de l’histoire humaine.

Si Néron est impitoyable dans la répression des complots fomentés contre lui – il y va de sa survie –, il n’a nullement fait empoisonner Britannicus, fils épileptique et quasi-imbécile de Claude. La mort brutale de l’adolescent, à qui l’on a fait boire un liquide au décours immédiat d’une crise d’épilepsie, évoque soit une syncope à l’occasion d’une fausse route alimentaire, soit une rupture de malformation vasculaire cérébrale… en tout cas, il n’existait sur le marché romain de l’époque aucun poison à effet instantané.

Néron est mort prématurément pour ne s’être pas montré assez rude avec l’aristocratie… soit l’inverse des légendes colportées depuis deux millénaires. La postérité humaniste et chrétienne l’a agoni pour des crimes qu’il n’a pas commis. Elle encensa, au contraire, un médiocre Imperator, mari et père lamentable : Marc-Aurèle, pour avoir laissé des sentences stoïciennes dégoulinantes d’autosatisfaction. Il est plus utile, pour obtenir une bonne réputation auprès des « historiens », de se congratuler pour n’avoir pas repris du gâteau, que d’avoir bien administré son Empire.

Texte tiré, pour l’essentiel, de Bernard Plouvier : Le populisme ou la véritable démocratie, Éditions , collection « Les Bouquins de Synthèse », 2017, 292 pages, 22 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.

Populisme véritable democratie

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Philippe Randa,
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