29 novembre 2017

La beauté du diable

Par Pierre de Laubier

Avec Philippe le Bel, la royauté va se faire envahissante, brutale, cynique, spoliatrice. C’est ce que Lavisse appelle avec délicatesse : « les progrès de la puissance royale ». Saint Louis avait fait de la justice l’attribut principal de la fonction royale. Mais il ne s’agissait alors que d’une justice subsidiaire : on ne faisait appel à la justice du roi qu’en dernière instance.

Philippe le Bel entreprit de pervertir ce principe, tant dans l’esprit que dans la manière. Pour cela, il mit à profit le zèle des légistes, experts en droit qui avaient proliféré dans l’entourage du roi une fois que sa fonction judiciaire s’était affirmée, et qu’on croirait décidés à illustrer l’adage de Dostoïevski : « Là où il y a la loi, on peut toujours trouver le crime. »

Quand on connaît la loi mais qu’on fait partie de l’entourage d’un roi, n’est-il pas plus profitable de se mettre à la solde de ce roi qu’à demeurer au service du droit ? Ces légistes vont donc déterrer dans l’ancien droit romain un principe selon lequel « si veut le roi, si veut la loi ». Ce qui revient à abolir le droit féodal et à supprimer toute limite au pouvoir du roi. Ces limites n’existaient pourtant pas en vertu d’une simple tradition barbare, obscure et contestable. Ils étaient garantis par écrit, comme par le traité d’Andelot (843) ou le cartulaire de Quierzy (877), signés l’un et l’autre par Charles le Chauve, qui garantissaient notamment l’hérédité des fiefs, autrement dit, de la noblesse. Alors même que la monarchie demeurait élective !

Mais, chaque fois qu’un confit opposera le roi à l’un de ses vassaux, les légistes, qui n’ont que ça à faire, se débrouilleront pour interpréter le droit romain, jugé supérieur au droit féodal, en faveur du roi. Ce principe d’un pouvoir royal sans limite a beau être tiré du droit romain, il cadre mal avec l’organisation réelle de l’Empire romain lui-même, dans lequel chacun était d’abord jugé selon la loi de son propre peuple (comme le procès de Jésus en offre un magnifique exemple, puisque l’accusé comparaît d’abord devant le sanhédrin avec d’être déféré au gouverneur romain).

Le Sanhédrin était la grande cour du peuple juif qui se sont assis en permanence à partir de l'époque de Moïse jusqu'à ce qu'il a été démantelée au 4 e siècle.

Le Sanhédrin était la grande cour du peuple juif qui se sont assis en permanence à partir de l’époque de Moïse jusqu’à ce qu’il a été démantelée au 4 e siècle.

Ce principe était tout aussi difficile à concilier avec le caractère électif de la royauté. Mais la formalité de l’élection avait cessé d’être observée depuis Philippe Auguste, qui fut le premier à se croire dispensé de faire élire et sacrer son fils de son vivant.

Ce caractère électif n’en demeurait pas moins, et l’élection précédait le sacre. Mais on garda le second, qui faisait joli, et on omit la première, qui faisait désordre. Notons au passage que le droit canon ne connaît pas plus de monarchie de « droit divin », notion extirpée de manière vicieuse de la philosophie de Thomas d’Aquin, que de « guerre sainte », expression fautive pour désigner une guerre juste.

Philippe le Bel interdit les « guerres privées », qui n’avaient rien de privé, et fut le premier à lever des impôts royaux (tout en trafiquant les monnaies). Il monopolisa ainsi une souveraineté qui était autrefois partagée et s’arrogea des pouvoirs qu’on ne lui avait pas conférés. Ce qui devait arriver arriva : les grands féodaux se soulevèrent pour réclamer le respect de ce que Lavisse appelle avec mépris « les anciennes coutumes », mais qui n’étaient autres que les lois.

Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.

Vous avez aimé cet article ?

EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.

Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

Partager :