Depuis que jâavais quittĂ© le service, je nâouvrais plus un livre traitant de lâarmĂ©e française contemporaine, persuadĂ© de nây trouver que du « militairement correct ». Quant Ă la « grande » presse elle ne sâintĂ©ressait briĂšvement au sujet que pour annoncer des pertes, et plus longuement pour se rĂ©galer des « scandales » (i.e. « abus sexuels » en Afrique subsaharienne).
Et puis, un camarade, officier supĂ©rieur des Troupes de Marine en retraite, mâa mis entre les mains un ouvrage de 464 pages Ă la prĂ©sentation peu attractive, sans photos, mĂȘme sur la couverture : Paroles de Soldats, sous-titrĂ© « Les Français en guerre 1983-2015 ». Je pourrais mâarrĂȘter lĂ , car pour une fois le titre du livre correspond au contenu. Et je lâai lu trĂšs vite malgrĂ© son volume, car il est dĂ©coupĂ© en neuf parties correspondant aux engagements de lâarmĂ©e française durant la pĂ©riode considĂ©rĂ©e ; chacune prĂ©sentĂ©e avec clartĂ© et objectivitĂ© (ce qui mĂ©rite dâĂȘtre signalĂ©) par le binĂŽme Hubert le Roux (officier supĂ©rieur dâactive) et Antoine Sabbagh (historien et Ă©diteur). Chaque engagement est illustrĂ© par un ou plusieurs tĂ©moignages recueillis par les auteurs, soit un total de vingt-quatre, donnant la parole depuis le militaire du rang jusquâĂ lâofficier supĂ©rieur, et enfin le dernier â poignant â Ă la veuve dâun pilote dâhĂ©licoptĂšre « mort en service commandĂ©. ».
Mes impressions, au vol, subjectives :
Un certain malaise en relevant que des tĂ©moins se prĂ©sentent comme « professionnels » et parlent de « mĂ©tier » : si risquer sa vie fait partie de certains mĂ©tiers (pompiers, secouristes en merâŠ), donner la mort est une autre affaire. Et il est Ă craindre que lâon rentre ici dans le jeu de la banalisation de la fonction militaire, intervenue depuis la suspension du Service national, et le « ils sont payĂ©s pour ça ». Le soldat français deviendrait-il insensiblement un « contractor » (sous payĂ©) ?
La surprise Ă la lecture du tĂ©moignage des capitaines, qui semblent sâexprimer comme nâimporte quel « jeune » dâaujourdâhui (mais câest peut-ĂȘtre ici la rĂ©action dâun reprĂ©sentant dâune autre gĂ©nĂ©ration pour laquelle un officier Ă©tait supposĂ© ĂȘtre un homme cultivĂ© â au moins un minimum).
Lâautre surprise (qui nâen est pas vraiment une) est de constater que lâarmĂ©e française ne semble pouvoir ĂȘtre engagĂ©e Ă distance quâen faisant appel Ă des avions de fabrication russeâŠ
A priori, la tentation de se dire « Ce nâest tout de mĂȘme pas Verdun » (ni mĂȘme Dien Bien PhuâŠ) : ainsi, lâengagement en Afghanistan nâa entraĂźnĂ© « que » une centaine de morts en huit ans. Oui, mais les « Poilus » ont Ă©tĂ© hĂ©roĂŻsĂ©s, les « Anciens dâIndo », mĂȘme vilipendĂ©s par les « anticolonialistes », restaient assez nombreux pour « en parler entre eux », or qui sâintĂ©resse Ă nos morts dans ces prĂ©tendus « combats pour la Paix » ? La lecture du premier tĂ©moignage, celui des survivants de lâattentat du « Drakkar » Ă Beyrouth, est Ă ce titre Ă©clairant â et dĂ©rangeant, car on leur a mĂȘme initialement imposĂ© le silence.
Enfin, ce qui nâĂ©tait certainement pas dans lâintention de la publication, le lecteur est amenĂ© Ă rĂ©flĂ©chir au nouveau type de conflit, dit « asymĂ©trique », auquel les Occidentaux se trouvent confrontĂ©s, et surtout aux mĂ©thodes employĂ©es par lâadversaire non-europĂ©en et qui commencent Ă sâimporter sur notre sol : au fond les « djihadistes » qui dĂ©capitent au sabre pourraient passer pour des humanistes comparĂ©s Ă nos « alliĂ©s » libyens qui le faisaient Ă la tronçonneuse, et montraient fiĂšrement les vidĂ©os de leurs exploitsâŠ
Je terminerai, mais câest peut-ĂȘtre un parti pris de mĂ©diĂ©viste, en disant que la guerre dâaujourdâhui â et probablement de demain â est beaucoup plus proche des Croisades que des tranchĂ©es de 14-18. Lire ce livre pour sâen faire une idĂ©e.
Paroles de Soldats, Tallandier, 2015 – 20,90 euros
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