Alexandre del Valle, essayiste et gĂ©opolitologue franco-italien, a Ă©crit plusieurs ouvrages traitant de la problĂ©matique de lâislam. Lionel Baland lâa rencontrĂ© pour EurolibertĂ©s en prĂ©sence du dĂ©putĂ© belge Ă©lu sur les listes du Parti Populaire Aldo Carcaci.
Selon vous, lâobjectif principal de la guerre en Irak est la crĂ©ation dâun Kurdistan indĂ©pendantâŠ
Alexandre del Valle : Oui, en dĂ©truisant lâĂtat irakien du parti Baas.
La Turquie nâa pourtant pas intĂ©rĂȘt Ă voir naĂźtre cet Ătat indĂ©pendant. Pourquoi la Turquie a-t-elle combattu en Syrie le rĂ©gime de Bachar el-Assad alors que cela peut conduire Ă lâindĂ©pendance du Kurdistan syrien ?
Alexandre del Valle : La Turquie depuis Recep Tayyip ErdoÄan nâest plus celle dâautrefois. Erdogan veut que la Turquie redevienne un peu lâEmpire ottoman et il est une sorte de sultan qui dĂ©fend les musulmans sunnites du monde entier. La Turquie dĂ©sire jouer, Ă lâinstar du Pakistan et de lâArabie Saoudite, le rĂŽle de leader des sunnites.
Si vous ĂȘtes le leader des sunnites, vous ĂȘtes contre la pĂ©nĂ©tration iranienne en Irak et contre le pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie, car cela constitue lâaxe chiite que vous combattez. Cela suit donc une certaine logique. Mais cela semble contradictoire par rapport Ă la situation passĂ©e car autrefois la Turquie, Ă lâĂ©poque kĂ©maliste et militaire, ne rĂ©sonnait pas en tant que pays sunnite. Avant, la Turquie Ă©tait lâalliĂ©e de Bachar el-Assad, car, Ă lâĂ©poque, les militaires ne raisonnaient pas en tant que sunnites, mais comme des nationalistes. Et beaucoup Ă©taient Alevis ou francs-maçons. Ils nâĂ©taient pas du tout religieux.
Depuis que les militaires ont Ă©tĂ© renversĂ©s et que les gĂ©nĂ©raux sont devenus islamistes, la Turquie nâa plus du tout la mĂȘme politique internationale quâauparavant. Elle avait une diplomatie laĂŻque et nationaliste qui sâentendait mĂȘme avec Bachar el-Assad ou son pĂšre ou lâIran chiite. Aujourdâhui, la Turquie est pan-islamiste et se veut le chef du monde sunnite et, par consĂ©quent, elle soutient les sunnites, donc les rebelles en Syrie.
Recep Tayyip ErdoÄan est-il un nationaliste grand turc ou un islamiste ?
Alexandre del Valle : Les deux. Ce qui caractĂ©rise lâidĂ©ologie, intitulĂ©e « vision nationale » (MillĂź GörĂŒĆ), qui a formĂ© Erdogan lorsquâil Ă©tait jeune, câest un islamisme Ă la turque. Câest un vrai islamisme, mais au sein duquel la Turquie serait le concurrent des Arabes. Elle serait le vrai noyau de lâislam mondial alors que les Arabes, eux, prĂ©tendent ĂȘtre le cĆur de lâislam. Câest un mĂ©lange de nationalisme turc trĂšs arrogant et trĂšs impĂ©rial, pan-turquiste et islamiste. Erdogan fait la synthĂšse national-islamiste, alors que les militaires kĂ©malistes Ă©taient contre lâislamisme. Ils Ă©taient nationalistes laĂŻques.
Erdogan sâinspire-t-il malgrĂ© tout de Mustafa Kemal AtatĂŒrk ?
Alexandre del Valle : Non. Si ce nâest Ă lâenvers.
Comment expliquez-vous lâĂ©volution des relations entre la Russie et la Turquie ?
Alexandre del Valle : Cela montre que le monde multipolaire ne relĂšve pas du manichĂ©isme ou du moralisme. La Turquie a agressĂ© la Russie en abattant un avion russe. Une crise en a rĂ©sultĂ©, ainsi que des reprĂ©sailles Ă©conomiques et diplomatiques. Tout Ă coup, Erdogan est ennuyĂ©. Il y a une tentative de le renverser. Le prĂ©sident russe Vladimir Poutine, qui est un grand stratĂšge et qui est patient, sâest dit « VoilĂ une occasion de faire en sorte quâErdogan revienne dans mon giron, afin dâennuyer les Occidentaux. Ceux-ci ont créé la Turquie pour endiguer la Russie, donc en tant que Russe, je nâai pas intĂ©rĂȘt Ă me brouiller longtemps avec les Turcs. Jâai intĂ©rĂȘt Ă ce que les Turcs me mangent dans la main ». Il a donc averti Erdogan et lui a sauvĂ© la mise et ce dernier est venu le remercier. Il est devenu le copain de la Russie. Ils nâont pas les mĂȘmes intĂ©rĂȘts, mais ils se sont dit quâils en ont ras le bol des Occidentaux qui les ont déçus et ont dĂ©cidĂ© de sâentendre, mĂȘme sâils ne sont pas dâaccord sur la Syrie. Ils se sont partagĂ© pragmatiquement le gĂąteau en Syrie : « Toi, tu peux aller lĂ . Et moi, je peux aller là  ». Ils se sont entendus pragmatiquement en grande partie pour lutter contre lâhĂ©gĂ©monie occidentale.
Aldo Carcaci : Lorsque jâai rencontrĂ© Bachar el-Assad, il mâa dit personnellement, en rĂ©ponse Ă ma question, quâil se mĂ©fie fortement des Turcs, mais pour lâinstant la Turquie est un alliĂ©.
Pourquoi Angela Merkel a-t-elle ouvert les frontiÚres en 2015 aux migrants ?
Alexandre del Valle : La ChanceliĂšre allemande Angela Merkel ne rĂ©sonne pas comme les dirigeants français. LâAllemagne souffre dâune forte dĂ©natalitĂ©. Les Allemands ne font plus dâenfants et ce pays a besoin de travailleurs car lâAllemagne est un producteur de biens manufacturĂ©s. LâAllemagne est un pays mercantiliste. Ce pays nâa pas les mĂȘmes intĂ©rĂȘts que la France. Elle sâest dit que les migrants clandestins constitueront une main-dâĆuvre assez bien formĂ©e, car les migrants ne sont pas nĂ©cessairement des analphabĂštes et arrivent Ă se payer le voyage. Ces gens ne sont pas issus des milieux les plus pauvres. Elle sâest dit quâelle disposera dâune main-dâĆuvre Ă bon marchĂ© quâelle rĂ©gularisera. De plus, il y a le cĂŽtĂ© allemand hara-kiri afin de se faire pardonner â en acceptant des migrants â le passĂ© du pays.
Divers pays musulmans se disputent-ils le contrÎle du financement des mosquées en Europe ?
Alexandre del Valle : Oui, lâArabie Saoudite, la Turquie, le Maroc, le Qatar, lâAlgĂ©rie, le Pakistan, les FrĂšres musulmans se disputent le contrĂŽle et le financement des mosquĂ©es en Europe.
Quelle est la position des Marocains ?
Alexandre del Valle : Ils sont trĂšs souvent dâaccord avec lâArabie Saoudite. Ils ont un double jeu. Ils se disent modĂ©rĂ©s mais ils sont trĂšs alliĂ©s Ă lâArabie Saoudite.
Pour les musulmans est-il pire dâĂȘtre chrĂ©tien ou athĂ©e ?
Alexandre del Valle : AthĂ©e est le pire. Les chrĂ©tiens peuvent payer un impĂŽt et se soumettre en Ă©tant infĂ©rieur. Les athĂ©es ne peuvent pas ĂȘtre Ă©pargnĂ©s sâils ne se convertissent pas.
Pourquoi les Yézidis sont persécutés ?
Alexandre del Valle : Ils sont considĂ©rĂ©s comme paĂŻens et câest ce quâil y a de pire pour lâislam, au mĂȘme titre que les athĂ©es.
Pourquoi lâĂtat islamique nâattaque-t-il pas IsraĂ«l ?
Alexandre del Valle : Je pense que la thĂšse diffusĂ©e dans le public qui veut quâIsraĂ«l et lâĂtat islamique soient alliĂ©s relĂšve des thĂšses complotistes. La raison est que le Hamas ne tolĂšre pas de concurrence et a empĂȘchĂ© lâĂtat islamique dâentrer dans la zone palestinienne.
Aldo Carcaci : Ils ont leurs propres terroristes. Ils ne veulent pas de concurrence. Des terroristes palestiniens tuent des IsraĂ©liens Ă lâarme blanche.
La Russie est considĂ©rĂ©e comme la menace principale pour lâEurope, pourquoi ?
Parce que la Russie pourrait donner une force Ă lâEurope. Les Ătats-Unis ne contrĂŽleraient plus lâEurope si elle Ă©tait alliĂ©e Ă la Russie.
Si la Russie était dirigée par un président ou Premier ministre faible, quelles en seraient les conséquences ?
Les consĂ©quences seraient trĂšs dommageables pour la Russie qui serait attaquĂ©e par les Soros et les milieux occidentaux. Câest ce que craint Vladimir Poutine : une rĂ©volution comme en Ukraine qui place des pro-occidentaux au pouvoir.
Comment expliquez-vous les positions de nombreux intellectuels de gauche radicale ?
Les intellectuels dâextrĂȘme gauche sont cohĂ©rents. Leur but est de dĂ©truire les nations, lâĂtat bourgeois, le capitalisme. Ils veulent une sociĂ©tĂ© sans classes, sans races, sans religions. Ils ont des intĂ©rĂȘts communs momentanĂ©s avec les islamistes en vue de dĂ©truire lâOccident judĂ©o-chrĂ©tien.
Pourquoi la population de certains pays musulmans se radicalise-t-elle ?
Parce que lâArabie Saoudite dĂ©pense depuis de nombreuses annĂ©es des sommes importantes dans sa propagande religieuse. De plus, elle contrĂŽle les lieux saints, donc la doctrine musulmane.
Les islamistes sont-ils divisés ?
Ils sont trÚs divisés, comme toute entité.
Ils ne peuvent donc pas gagner ?
Ils peuvent gagner, car nous sommes affaiblis. Mais, en tout cas, ils continueront Ă ĂȘtre divisĂ©s durablement et ils sâentre-tueront entre eux.
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Philippe Randa,
Directeur dâEuroLibertĂ©s.