6 décembre 2017

Entretien avec le président du parlement hongrois, László Kövé

Par Euro Libertes

À l’occasion d’un sommet informel des présidents de parlements des pays du V4 le vendredi 1er décembre pour parler de la coopération avec le Parlement européen, l’élargissement de l’UE, ou encore la qualité des produits manufacturés et la liberté d’expression sur internet, Ferenc Almássy a rencontré le président du parlement hongrois, László Kövér. Figure importante du Fidesz et proche de Viktor Orbán, M. Kövér a répondu à quelques questions pour le Visegrád Post.

Ferenc Almássy : Quel est l’intérêt de ces réunions du V4 ? Il semblerait qu’il y ait de plus en plus de sommets depuis la présidence hongroise. On entend également de plus en plus parler du groupe de Visegrád, qui devient une vraie force politique au niveau européen. Dans quelle mesure le V4 est-il porteur d’un projet européen alternatif, en particulier par opposition à l’Europe de Macron ? Que pouvez-vous nous en dire ?

László Kövér : Le fonctionnement du groupe de Visegrád a déjà un quart de siècle. La première rencontre des présidents de parlements a eu lieu il y a environ 25 ans. Et depuis, avec plus ou moins d’intensité, ce cadre de coopération s’est maintenu. Mais ce n’est que dans un passé récent, ces dernières années, que nous avons pu vraiment nous retrouver et nous unir sur certains sujets, clarifier des intérêts communs, aussi bien au niveau gouvernemental que parlementaire. Et si cette coopération paraît plus intense en ce moment, ce n’est pas du fait de la présidence hongroise du moment, ni de la présidence polonaise juste avant, mais bien parce que la situation est différente actuellement.

Ferenc Almássy et László Kövér au parlement hongrois, le 1er décembre 2017.

Ferenc Almássy et László Kövér au parlement hongrois, le 1er décembre 2017.

Il y a bien plus de questions qui se posent aujourd’hui concernant l’avenir de l’Union européenne et son fonctionnement actuel, et nous éprouvons le besoin de clarifier et faire connaître nos points de vue communs. En vérité, je ne saurais pas moi-même expliquer précisément quels éléments relient et différencient ces pays aux yeux de Macron, par exemple. Ce que le Président Macron souhaite faire précisément de l’Europe n’est pas clair non plus pour nous, et l’Allemagne n’ayant pas même de gouvernement à l’heure actuelle, on ne sait pas non plus quel soutien il obtiendrait d’Allemagne. Nous sommes donc dans une phase d’incertitudes importantes. Cependant notre position, elle, est claire, et chaque président de parlement l’a rappelé ici en ce jour : nous souhaiterions une Europe des nations indépendantes.

Notre conviction est que seules des nations fortes constitueront une Union européenne forte, et comme l’a dit le Maréchal du Sénat Karczewski, même le Parlement européen se renforcerait grâce à l’influence des parlements nationaux, car la coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux renforcerait la représentativité populaire à Bruxelles. Car pour l’instant, la relativement basse participation aux élections européennes prouve bien que les gens ne voient pas ces élections comme étant décisives, c’est-à-dire qu’elles ne représentent pas nécessairement leurs intérêts à Bruxelles.

Nous aimerions donc emmener l’Union européenne dans le sens contraire de celui que souhaite la Commission depuis quelques années. Bien sûr cela n’est possible qu’en unissant nos forces, si toutefois il est possible de changer la direction de l’Union européenne. La Commission souhaite s’arroger plus de compétences, centraliser plus de pouvoir à Bruxelles, et cela signifie également que nous diminuerions les pouvoirs nationaux. Au contraire, nous devrions regarder ce en quoi nous sommes d’accord, ou pouvons l’être, afin de trouver des solutions européennes. Et si nous ne pouvons tomber d’accord, comme Milan Štěch le président du Sénat tchèque l’a justement rappelé, il faut alors chercher des solutions nationales pour résoudre les problèmes survenant à l’échelle européenne.

FA : Mais s’il est impossible de tomber d’accord… on dirait bien que l’Europe centrale tienne à sa position, mais il semble en être de même pour les élites libérales de l’UE et de l’Ouest. Où pourrait nous mener ce désaccord profond s’il est durable ?

László Kövér : S’ils respectent les accords élémentaires concernant l’Union européenne, ainsi que les clauses des traités, c’est-à-dire que si l’État de droit est respecté au niveau de l’Union européenne, si Bruxelles respecte les règles, alors selon moi il doit se passer ce que désirent les États membres. Ce même État de droit qu’ils utilisent comme une arme en déplorant son manque pour attaquer les gouvernements nationaux. C’est tout de même le Conseil européen qui est le principal organe décisionnel de l’Union européenne, où les représentants suprêmes de chaque État membre apportent des décisions suite à un consensus sur les questions touchant le plus aux intérêts nationaux. Et si eux donnent le droit aux institutions de l’Union européenne de trouver une solution à l’échelle de l’Union, alors il y aura une solution. Si en revanche ils ne se mettent pas d’accord, comme par exemple sur la question migratoire, alors à chaque État-nation de résoudre le problème avec ses moyens.

Je pense donc que ce n’est pas avec des manipulations, et encore moins avec des modifications des textes qu’il sera possible de trancher le débat en faveur de ceux qui rêvent et se figurent déjà les États-unis d’Europe, qui serait une fédération dirigée depuis Bruxelles. Et surtout pas maintenant alors que l’on voit de toute évidence les arrières pensées derrière toutes ces propositions souvent solennelles et joliment présentées. L’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, à savoir des États-nations, mais avant tout une Europe de cultures nationales fondées sur des racines chrétiennes, cela, ils veulent le liquider en autorisant la migration illégale, ainsi qu’avec la répartition systématique des migrants. Monsieur Juncker a dit ce jour que sans l’immigration, l’Europe est perdue. Selon moi c’est tout l’inverse, l’immigration massive, dont nous ne voyons pas la fin, signifie justement la fin de l’Europe, du moins dans sa conception millénaire. Mais nous voudrions garder cette Europe. Nous pensons que ceux qui ont mis en place cette situation démolissent l’Europe. Le fossé est déjà large entre les représentants de l’un et l’autre points de vue, et s’ils continuent d’imposer cette politique d’immigration, il est tout à fait possible que nous en arrivions à un point où tout débat deviendrait impossible.

FA : Il sera question aujourd’hui de l’élargissement de l’Union européenne, et la Hongrie, et même le V4, soutiennent cet élargissement. Quel en est le but, la raison ? Peut-être former un bloc centre-européen plus fort au sein de l’UE ? On a vu il y a quelques jours cette réunion des 16+1 entre l’Europe centrale et balkanique et la Chine. Serait-ce le début d’une coopération renforcée des PECO et des Balkans pour acquérir un plus grand poids politique face à l’Europe de l’Ouest ?

László Kövér : Sur cette question de l’élargissement de l’Union européenne, le V4 parle d’une voix, et nous disons tous que c’est l’intérêt commun de l’Europe. Il faut terminer enfin la réunification de l’Europe, nous ne devons pas nous arrêter si près du but. C’est toutefois vrai que les États candidats ont des situations intérieures très différentes les unes des autres. Certains sont plus proches de nous rejoindre, et selon nous il faut les aider afin qu’ils finissent le plus vite possible le chemin qu’il leur reste à parcourir, notamment pour montrer l’exemple à ceux qui sont plus loin de l’objectif. Enfin, certains pays sont dans un tel état d’instabilité intérieure qu’il est difficile de prédire quand ils pourraient rejoindre l’UE. Mais il faut comprendre qu’il ne s’agit pas que d’une question morale ou culturelle, mais également du fait que si un vide se crée dans cette région qui du reste a toujours été une poudrière pour l’Europe, il n’en viendra rien de bon pour l’Europe. Si l’Union européenne n’a pas de stratégie pour intégrer les pays des Balkans occidentaux, alors d’autres mettront en place leur stratégie. Ce sera la Turquie, la Russie, les États-Unis, les pays islamiques les plus riches et influents, et cela n’est pas un danger à prévoir, ou un fantasme, cela est déjà en cours dans certains pays comme nous pouvons le voir.

Et on peut également voir que les États-nations ne sont pas les seuls à tenter de se positionner et accroître leur influence dans la région. Divers cercles d’influence informels et autres officines de soft power sont à l’oeuvre pour parfois intégrer les institutions de ces pays, et ainsi, les manipulant, rendent plus difficile qu’une situation consolidée s’y développe, rendant plus difficile l’intégration de ces pays. Nous devons donc, et par nous, je veux dire l’UE, faire des efforts pour résoudre ces questions. Le V4 a lui pour mission de convaincre les autres pays qui se détournent de l’élargissement qu’il s’agit de notre intérêt à tous.

Mais en effet, comme votre question le mentionnait, c’est aussi en particulier l’intérêt des pays d’Europe centrale. Et pas seulement parce que c’est à nos frontières sud que s’étend cette région pleine d’incertitudes, mais également parce qu’en effet cela augmenterait le poids politique de tous les pays de notre région aux passés plus ou moins similaires. J’espère voir un jour l’Union européenne ayant intégré ces pays au rang d’États membres, une Union européenne fonctionnelle, qui sera une structure construite sur les États-nations forts et au sein de laquelle l’Europe centrale aura une voix puissante se basant sur ses particularités propres. Des particularités dont nous ne devons ni avoir honte ni être fiers, mais qui viennent du fait que nous n’avons pas emprunté le même chemin historique chanceux que l’Europe de l’Ouest. Pour autant, nous sommes tout autant européens que les Belges, les Français ou les Allemands.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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