Le lundi 9 janvier 2017, continuant Ă jouer le chaud et le froid, la Turquie, en la personne du ministre turc des Affaires Ă©trangĂšres exhortait lâUnion europĂ©enne Ă relancer le processus dâadhĂ©sion de la Turquie, estimant que le bloc « europĂ©en » resterait « incomplet » tant que son pays nâen ferait pas partie et ceci tout en donnant des leçons Ă Washington, sur des erreurs « rĂ©pĂ©titives ».
En 2016, la Turquie, en violation du droit international aĂ©rien abattait un avion militaire russe qui aurait violĂ© son espace aĂ©rien, avant dâadresser ses excuses â sans citer le mot â Ă la Russie et sans clairement se rĂ©tracter.
Parlant Ă lâouverture dâune confĂ©rence Ă Ankara rĂ©unissant les ambassadeurs turcs, toujours le 9 janvier, le ministre Mevlut Cavusoglu appelait lâUE Ă ouvrir de nouveaux chapitres dans les nĂ©gociations dâaccession de la Turquie « en levant les obstacles artificiels Ă lâadhĂ©sion de notre pays ». Il affirma aussi que la Turquie sâattendait à « une mise en Ćuvre immĂ©diate de la libĂ©ralisation en matiĂšre de visas ». On peut se demander Ă quel titre ?⊠et arrivĂ© Ă ce point, il nâest peut-ĂȘtre pas inutile de rappeler Ă Ankara, les obstacles rĂ©els qui sâopposent Ă lâadhĂ©sion de la Turquie Ă lâUnion europĂ©enne : ils sont de deux ordres : les obstacles rĂ©cents et les obstacles historiques, pour ne pas dire Ă©ternels.
Les obstacles actuels et rĂ©cents Ă lâadhĂ©sion de la Turquie Ă lâUnion europĂ©enne :
â la plupart des attentats en Turquie, de maniĂšre infondĂ©e et Ă©hontĂ©e, sont attribuĂ©s aux Kurdes de Turquie, quitte Ă nier lâĂ©vidence, la vengeance de lâĂ©tat islamique et/ou Ă lâopposant GĂŒlen, rĂ©fugiĂ© aux Ătats-Unis ;
â lors dâun voyage Ă Strasbourg, fin 2016, en visite au Conseil de lâEurope, lâactuel prĂ©sident turc, nâa pas manquĂ© de rappeler que les Turcs dâEurope devaient se considĂ©rer uniquement comme Turcs et leur interdisait de sâassimiler Ă leur patrie dâadoption, tout en rappelant quâils devaient se considĂ©rer « chez eux » dans les pays europĂ©ens.
â Il y a encore peu, des proches du prĂ©sident Erdogan trafiquaient avec lâĂtat islamique, Daech, en matiĂšre dâachat de pĂ©trole et de fourniture dâarmes ; il y a quelques mois encore, la Turquie dâErdogan exigeait le dĂ©part de Bachar-el-Assad, armait diverses factions infrĂ©quentables de ladite rĂ©sistance syrienne, tout en Ă©tant un soutien discret et efficace de Daech, avant dâeffectuer un virage Ă 180 degrĂ©s et dâĂȘtre dĂ©sormais en alliance avec la Russie et lâIran sur le dossier syrien, comprenant que celui-ci lui Ă©chappait, tout en continuant Ă persĂ©cuter la population kurde de Turquie et de la Syrie voisineâŠ
â la Turquie, moins que jamais, ne veut se rĂ©soudre Ă reconnaĂźtre le gĂ©nocide armĂ©nien, tout en menaçant les pays qui le reconnaissent,
â depuis 1974, la Turquie occupe militairement une partie du territoire dâun Ătat membre de lâUnion europĂ©enne, le nord de Chypre, alors mĂȘme quâelle poursuit sa politique de peuplement Ă©hontĂ©e de la partie chypriote turque, du nord de lâĂźle, par lâapport de population dâAnatolie, dĂ©sormais aussi au grand dam des Chypriotes turcs,
â Si la question de lâadhĂ©sion de la Turquie Ă©tait posĂ©e aux Ătats Membres de lâUnion europĂ©enne, 9 sur 27 procĂ©deraient par voie rĂ©fĂ©rendaire, alors que lâunanimitĂ© est requise de la part des Ătats de lâUE, pour admettre un nouveau pays ; il y a fort Ă parier que lâadhĂ©sion de la Turquie serait rejetĂ©e.
On peut dĂšs lors se demander si la prise de position du ministre turc des Affaires Ă©trangĂšres, ne vise pas tout simplement Ă dĂ©stabiliser un peu plus lâUnion EuropĂ©enne qui affronte une crise existentielle sans prĂ©cĂ©dent, alors quâil y a quelques mois encore, Monsieur Erdogan, considĂ©rait que lâadhĂ©sion Ă lâUnion europĂ©enne nâĂ©tait plus du tout une prioritĂ© de la Turquie et quâil allait vraisemblablement soumettre cette question, Ă un vote de la population turque, dĂ©sormais peu sensible Ă cette nĂ©cessitĂ© impĂ©rieuse dâune adhĂ©sion.
Le Ministres des Affaires Ă©trangĂšres turc exige que la question des visas soit levĂ©e, « permettant (ainsi) Ă ses ressortissants de voyager librement dans lâespace Schengen. Nous avons jouĂ© un rĂŽle important dans le passĂ© de lâEurope et nous allons le faire Ă lâavenir ». Ă lâĂ©vidence, la Turquie joua un rĂŽle important dans lâhistoire de lâEurope, en particulier par la multitude de conversions forcĂ©es, par les massacres et gĂ©nocides, par ses conquĂȘtes fĂ©roces et qui sont restĂ©es dans la mĂ©moire des peuples europĂ©ens ! Sans les janissaires, troupes dâĂ©lite de lâempire ottoman, composĂ©es dans leur immense majoritĂ©, de jeunes chrĂ©tiens convertis de force, jamais le grand Turc ne serait arrivĂ© aux portes de Vienne.
Au pire, cet argument-alibi de derniĂšre heure de la levĂ©e de la question des visas, pourrait permettre Ă Erdogan, de rouvrir les vannes de lâimmigration illĂ©gale des rĂ©fugiĂ©s du Moyen-orient et dâAfrique, alors mĂȘme que lâUE a commencĂ© Ă payer pour que la Turquie les retienne.
â Envisager lâadhĂ©sion de la Turquie Ă lâUE, ne manquerait pas de poser trĂšs immĂ©diatement et immanquablement la question de la reprĂ©sentativitĂ© de la Turquie au sein de lâUnion europĂ©enne : en termes de majoritĂ© qualifiĂ©e au Conseil des ministres de lâUE, comme au sein du Parlement europĂ©en, qui peut oser imaginer un seul instant que la Turquie puisse avoir plus de voix que lâAllemagne, la France ou lâItalie, au Conseil des ministres de lâUE et plus de dĂ©putĂ©s au Parlement europĂ©en, sans immĂ©diatement se mettre Ă dos, sa population et ses pairs ?
â Si lâEurope paraĂźt « incomplĂšte » Ă Ankara, sans la Turquie, on peut remarquer que le respect des droits de lâhomme Ă lâest du Bosphore est encore plus « incomplet » depuis le coup dâĂtat avortĂ© du 15 juillet 2016 en Turquie et la rĂ©pression qui a suivi. Des crimes commanditĂ©s par lâĂtat islamique, de la tentative de coup dâĂ©tat militaire (qui pose encore question pour certains), Ă la terrible rĂ©pression qui sâabat sur les putschistes, les manifestants qui dĂ©fendent la libertĂ© dâexpression, les journalistes emprisonnĂ©s, les juges, les fonctionnaires et les industriels Ă©vincĂ©s ou arrĂȘtĂ©s⊠le compte nây est plus.
Aux yeux de lâUE, la Turquie remplit donc moins que jamais les critĂšres qui justifieraient lâexemption de visas Schengen pour ses ressortissants, alors que le pacte migratoire UE-Turquie conclu en mars 2016 prĂ©voyait dâaccĂ©lĂ©rer ce processus de libĂ©ralisation.
Le Parlement europĂ©en votait le 24 novembre 2016, une rĂ©solution â non contraignante â demandant le « gel provisoire » des nĂ©gociations dâadhĂ©sion de la Turquie Ă lâUE, ce que le prĂ©sident turc Recep Tayyip Erdogan a vivement dĂ©noncĂ©, brandissant la menace de laisser passer Ă nouveau les migrants vers lâEurope. La grande majoritĂ© des pays membres de lâUE se sont prononcĂ©s contre un tel « gel », mais « dans les circonstances actuelles, lâouverture de nouveaux chapitres » dans les nĂ©gociations dâadhĂ©sion « nâest pas envisagĂ©e », a soulignĂ© le 13 dĂ©cembre la prĂ©sidence du Conseil de lâUE. LâoecumĂ©nisme le dispute ici au politiquement correct et il est permis de sâinterroger sur la « force » tranquille et la conviction de lâUnion europĂ©enne.
Les obstacles historiques Ă lâadhĂ©sion de la Turquie :
â le bon sens permet de faire remarquer Ă Monsieur Cavusoglu, que lâorganisation du continent europĂ©en serait encore plus « incomplĂšte » sans la prĂ©sence et la pleine participation, sous une forme ou sous une autre, de la Russie,
â GĂ©ographiquement, historiquement, culturellement, ethniquement, la Turquie au contraire de la Russie, nâappartient pas Ă lâEurope,
â Historiquement, la Turquie, des siĂšcles durant, a Ă©tĂ© un ennemi brutal, idĂ©ologique, religieux et permanent de lâEurope, des peuples europĂ©ens, des mĆurs europĂ©ennes : Ă titre dâexemple, le triste sort des des janissaires, les conversions forcĂ©es massives, le sort rĂ©servĂ© aux ArmĂ©niens, est lĂ pour le rappeler.
- Cavusoglu a en outre affirmĂ© que la Turquie sâattendait Ă des meilleures relations avec les Etats-Unis aprĂšs lâentrĂ©e en fonctions du prĂ©sident Ă©lu Donald Trump. Les relations entre les deux pays sont plombĂ©es depuis plusieurs mois par des dĂ©saccords sur les milices kurdes syriennes (YPG) quâAnkara considĂšre comme des groupes terroristes alors que Washington y voit un alliĂ© sur le terrain dans la lutte contre le groupe Etat islamique. « Nous croyons que les Ătats-Unis ne vont pas continuer Ă commettre les mĂȘme erreurs faites par le passé », a-t-il dit, en toute modestie [âŠ].
La question kurde, elle non plus ne pourra pas ĂȘtre Ă©ternellement Ă©vitĂ©e par les dĂ©cideurs europĂ©ens ; ce peuple de 35 millions de personnes, qui a payĂ© un lourd tribut dans la lutte contre lâextrĂ©misme musulman, protĂ©gĂ© les minoritĂ©s chrĂ©tiennes et yazidies, mĂ©rite-t-il de devenir une nation ? Poser la question câest dĂ©jĂ largement y rĂ©pondre. Il nâest pas inutile non plus de rappeler quâErdogan et Daech ont les mĂȘmes ennemis hĂ©rĂ©ditaires : les chiites et les Kurdes.
Enfin, si besoin Ă©tait, rappelons que lors du rĂ©cent vote des Turcs sur le renforcement des pouvoirs â dĂ©jĂ exorbitants â du prĂ©sident Erdogan, les Ottomans de lâintĂ©rieur nâont pas donnĂ© de majoritĂ© de voix Ă lâactuel dirigeant. En revanche, les Turcs de lâĂ©tranger lâont massivement soutenu et permis sa victoire au referendum. Plus de 76 % de voix en Belgique, entre 69 et 75 % de voix en France et en Allemagne. Ceci devrait interroger les thurifĂ©raires dâune « vaste et immuable hospitalitĂ© europĂ©enne », dans la perspective de cette guerre civile continentale qui vient.
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Philippe Randa,
Directeur dâEuroLibertĂ©s.