11 avril 2017

La musique : technologie, politique et traditions

Par Thierry Bouzard

Pour Bryan Catanzaro, dirigeant de NVIDIA, un fabricant états-unien de puces pour ordinateurs : « L’art généré par l’intelligence artificielle va connaître cette année son premier succès commercial. Un artiste utilisera un élément créé à partir de l’intelligence artificielle, comme une mélodie de chanson, dans une œuvre qui obtiendra la reconnaissance du grand public. »

De son côté, IBM veut lancer d’ici la fin de l’année l’application Watson Beat qui crée une mélodie sur six ambiances programmées (survoltée, sombre, romantique, angoissante, sinistre ou mondaine). Elle va plus loin qu’Auto-Tune, le logiciel largement utilisé pour corriger les voix et devenu indispensable pour améliorer la plupart des enregistrements commerciaux.

La technologie repousse toujours plus loin la création de sons artificiels privilégiant ainsi les musiques mortes au détriment des musiques vivantes, ou naturelles. S’il est effectivement parfois plus agréable d’écouter des voix parfaites, il est toujours plus profitable de chanter soi-même et surtout à plusieurs, pour ceux qui en sont encore capables.

Une application qui devrait être généralisée est celle mise au point par les développeurs berlinois de Mimi Hearing Technologies. Souvent utilisés pour s’isoler du monde extérieur, les écouteurs diffusent la musique d’autant plus fort qu’il faut couvrir le bruit environnant. À partir de 80 dB, les dégâts sur les tympans sont irréversibles, autant dire que l’on concocte des générations de sourds. Ainsi, cette appli prend l’empreinte auditive de chaque oreille pour adapter le volume sonore des appareils et elle est connectée à tous les grands fournisseurs de musique en ligne.

La culture pour changer le monde

Matthieu Pigasse, patron de la banque Lazard, propriétaire de Radio Nova et des Inrocks, président des Eurockéennes de Belfort, vient de racheter Rock en Seine, l’un des plus grands festivals musicaux français. Il ne s’agit pas de philanthropie : « C’est aussi un projet politique : nous utilisons l’éducation et la culture pour changer le monde. »

La musique et le sport sont les seuls événements à rassembler régulièrement les foules, les seuls capables de concurrencer le Pape ou les grandes manifestations sociétales. Et ces festivités sont rentables avec des tickets vendus entre 150 et 200 euros pour voir des dizaines d’artistes en quelques jours. C’est pourquoi Stuart Camp, manager du chanteur Ed Sheeran, a dénoncé à la BBC les revendeurs de billets de concert.

Lors du concert caritatif, organisé le 28 mars dernier à Londres par le Teenage Cancer Trust, des tickets vendus 110 livres (127 euros) pouvaient atteindre 5 000 livres (5 770 euros) sur certains sites spécialisés.

« Des gens font de l’argent sur le dos des enfants mourants » s’est-il indigné, lui qui profite de ce concert caritatif pour faire la promotion de ses musiciens. Depuis le Band Aid anglo-saxon en 1984 et Chanteurs sans frontières en 1985 pour les Français, la formule caritative est devenue le filon pour entretenir la popularité des artistes en faisant passer les bons messages.

On pourrait aussi évoquer les concerts de SOS Racisme ou ceux des Enfoirés, s’il peut exister des artistes désintéressés, ils sont un peu comme les poissons volants… Car la musique et la chanson sont éminemment politiques. La candidate russe au concours de l’Eurovision vient d’en faire l’expérience. Elle est interdite de séjour à Kiev par les services de sécurité de l’Ukraine, handicapée en fauteuil roulant, le risque est forcément plus élevé. Les autorités ukrainiennes n’ont pas dû apprécier sa participation, en 2015, à un concert dans la péninsule de Crimée rattachée à la Russie depuis le printemps 2014. Les organisateurs du concours se sont dits déçus de la décision de l’Ukraine qui « va à l’encontre de l’esprit du concours et de la notion d’accueil qui fait partie de ses valeurs ». Des valeurs qu’ils ne mettent pas beaucoup d’ardeur à vouloir défendre.

Apparemment, la chanson russe n’est pas la bienvenue alors que c’est la langue de la majorité de la population. Un sort similaire est réservé à la chanson dissidente en France. Raison de plus pour aller écouter le groupe de RIF In Memoriam qui donne un concert le 10 juin prochain à Bordeaux, réservations : lemenhirbordeaux.com.

Demain le rap !

En même temps, le rap est le style le plus vendu en France et l’on sait reconnaître les talents, un exemple : le rappeur Weld El 15. Il commence sa prometteuse carrière en Tunisie sous Ben Ali, émission de radios, enregistrements avec des artistes étrangers et une constante dans les paroles, s’en prendre à la police comme dans son titre Boulicia Kleb (Les policiers sont des chiens). En septembre 2014, il est sélectionné par le Parlement européen pour le prix Sakharov décerné chaque année aux personnalités « qui s’efforcent de défendre les droits de l’homme et des libertés fondamentales », une consécration pour ce genre d’individu.

Après Printemps arabe et démêlés avec la justice de son pays, il arrive en France avec un visa « compétence et talent » rarement délivré. À peine installé à Saint-Malo, il est condamné pour violences conjugales et consommation de cannabis, ce qui ne l’empêche pas d’être le père d’une fille depuis le début 2017. Autre procès en cours, la préfecture lui refuse la délivrance d’un titre de séjour en raison de ses liens avec le rappeur Emino mort à Mossoul pour l’État islamique, alors que pour lui : « Se battre pour la culture, ça, c’est la vraie guerre ». Mais il est cornaqué par Carole Bouhanne, représentante du MRAP à Rennes et Pouria Amirshahi, député ex-PS, des gens qui semblent très concernés par l’avenir de la culture française.

Une amputation de la longue mémoire musicale européenne

C’est un véritable changement de civilisation, une élimination des anciens repères musicaux. Le 4 mars 2017 à Rome, lors du congrès international pour les 50 ans de l’instruction Musicam Sacram, le pape François s’est adressé aux participants : « La rencontre avec la modernité et l’introduction des langues parlées dans la Liturgie a créé pas mal de problèmes de langage, de forme et de genres musicaux. Parfois, une certaine médiocrité, superficialité et banalité ont prévalu, au détriment de la beauté et de l’intensité des célébrations liturgiques. »

Alors qu’au milieu du XIXe siècle, la restauration du grégorien était l’œuvre de Dom Pothier et des moines de Solesmes, aboutissant à l’édition vaticane de 1908 et 1912, la réforme de Vatican II allait reléguer ces répertoires, amputant la plus ancienne mémoire musicale européenne.

Musicam Sacram n’ayant jamais produit les fruits espérés et devant la dégradation de la pratique musicale liturgique, le maestro Aurelio Porfiri et le professeur Peter Kwasniewski, soutenus par plus de 200 personnalités, ont lancé un appel formulant huit propositions concrètes susceptibles de « restaurer la dignité de la liturgie et de la musique dans l’Église. »

Elle est publiée par Paix liturgique dans sa lettre du 7 mars. Parmi les signataires français, l’abbé Barthe, Henri Adam de Villiers, maître de chapelle à Saint-Eugène, le professeur Jacques Viret, Damien Poisbaud, directeur des Chantres du Thoronet, ou encore Denis Crouan, président de Pro Liturgia. L’appel en neuf langues, à lire pour ceux qui ont conscience de l’importance des véritables traditions musicales, est disponible sur le site Altare Dei.

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Philippe Randa,
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