Qualifier Dieu ?
En ces temps où notre vieux continent est affecté de ce que le politiquement correct qualifie de « tensions religieuses », resurgit la place du divin dans un État officiellement laïque et une société combien matérialiste.
Histoire de pimenter ces débats interconfessionnels je me permets donc de poser cette question : « Comment qualifier Dieu ? » Suis-je d’ailleurs qualifié pour le faire ? Pareille prétention est inqualifiable ! Comment qualifier le créateur qui par nature est incréé ? Et pourtant ! Pour certains, Dieu est vengeance. Pour d’autres Dieu est colère. Pour des Extrême-Orientaux la Divinité est sagesse. Les chrétiens, n’affirment-ils pas que Dieu est Amour ? On pourrait ergoter longtemps. Maurice Clavel a tranché pour le moins vigoureusement : « Dieu est Dieu, Nom de Dieu ! ».
Mais si Dieu était aussi humour ? J’entends déjà les censeurs m’agonir de leurs commentaires indignés. Comment cet ancien apprenti marsouin, ce minable footeux, traîne-crampons de pelouses râpées, ce lamentable cycliste suceur de roues à la retraite, tout droit éjecté des pages de « L’Équipe », peut-il se permettre de gloser sur la nature de l’Éternel. Je m’excuse de vous demander pardon mais loin de moi l’intention d’offenser Dieu. Bien au contraire. L’idée d’un Dieu plein de bonne humeur renforce ma foi en lui. Elle n’est d’ailleurs pas de moi. François de Sales n’a-t-il pas pratiqué une discipline méconnue : l’eutrapélie, disposition à plaisanter qui permet de se détendre après un excès de fatigue ou de tension intellectuelle ou spirituelle
Au sortir de mon adolescence, un camarade israélite m’avait éclairé sur ce point. « Pour vous Chrétiens, Yahvé, fatigué par l’étroitesse de vue des Pharisiens et la micrométrie de leur pratique religieuse, avait décidé de leur donner une leçon. Il aurait pu les punir en réactivant quelques plaies d’Égypte après leur avoir fait retraverser le Néguev et le Sinaï. Non ! Connaissant leur penchant mauvais, il a préféré toucher leur corde la plus sensible. Il les a déshérités en rédigeant un Nouveau Testament ». Si ce n’est pas de l’humour juif, alors je ne m’y connais pas. C’est alors que je me penchai sur l’humour de Dieu…
Parlez-moi de Babel ? Un bon tour joué à des hommes présomptueux qui prétendent ériger un édifice démesuré qui leur permettrait de pénétrer dans les cieux. L’Éternel va-t-il déclencher un cataclysme destiné à pulvériser le chantier ? Non ! Il imagine un stratagème irrésistible qui, dans l’instant, ne coûtera pas la moindre goutte de sang : plonger ces esprits forts dans une incompréhension totale en « confondant leur langage » les empêchant ainsi de poursuivre une œuvre diabolique commune. Et les dialectes, les patois et autres sabirs de s’entrechoquer au point de décourager les rhéteurs les plus acharnés, de leur clouer le bec et de les envoyer se faire comprendre ailleurs. En frappant ainsi l’humanité le Créateur sème cette graine qui donnera quelques millénaires plus tard « l’Organisation des Nations Unies » (du moins le prétend-elle) et ses accessoires indispensables que sont l’Espéranto, les pidgins, l’américan-yogurt et la langue de bois. C’est peut-être là que se situe l’origine des jeux du désamour et du bazar qui caractérisent l’actuel mondialisme.
Me vient aussi à l’esprit un épisode de la vie tumultueuse de Samson. Rappelons la scène. Les mains liées par deux solides cordes neuves, il va être livré par 3 000 hommes de Juda qui espèrent ainsi s’attirer les grâces des Philistins dont le musculeux chevelu a brûlé les moissons. Yahvé n’apprécie pas du tout la lâcheté de son peuple. Il consume les liens du prisonnier qui, recouvrant sa liberté, se hâte d’en découdre avec ses ennemis. Que croyez-vous qu’il advient ? Des dizaines de siècles plus tard les conteurs médiévaux auraient mis à disposition du héros un tronc d’arbre providentiel voire une épée magique pour tailler en pièces la horde de Philistins déchaînés. Dieu, beaucoup plus prosaïquement, laisse traîner à portée de la main de Samson une mâchoire d’âne. Avouez qu’il faut oser ! Et notre vaillant hirsute d’abattre mille hommes. Avec pareille mâchoire, c’est plus qu’une dent qu’il avait contre eux. Sa conclusion ne manque d’ailleurs pas de sel : « Avec une mâchoire de rosse, je les ai bien rossés ». On peut encore imaginer la honte des vaincus. Se faire mâcher menu par les maxillaires d’une bourrique édentée ! Quelle leçon d’humilité pour des guerriers sûrs de leur force ! Bon, je le concède, compte tenu de l’ampleur du massacre, c’est de l’humour noir. Mais avouez que nos hommes politiques devraient quand même la méditer.
Lorsque Yahvé accepte d’offrir de l’ombre à cet irascible Jonas qui vient de traverser Babylone au pas de course, que fait-il surgir de terre, lui qui peut tout ? Un chêne comme celui de Mambré ? Un sycomore identique à celui dans lequel grimpera des siècles plus tard Zachée, le nabot, « le rase poussière », pour mieux voir Jésus ? Non il choisit un ricin, cette espèce d’euphorbe dont la seule notoriété réside dans ses graines productrices d’une huile destinée à faire hurler les petits enfants. Un ricin ! Pourquoi pas une scarole, une batavia ou un artichaut de Roscoff ? Je ne peux m’empêcher d’imaginer la drôlerie de la scène et un Jonas râleur comme pas deux, gentiment remis à sa place par le Tout-Puissant. En l’évoquant aujourd’hui c’est de Funès que je vois tenir le rôle.
Dieu peut aussi, à son corps défendant certes, déclencher le rire, un bon gros éclat de rire quelque peu déplacé, convenons-en. Il en est ainsi pour Sara la stérile qui se marre en surprenant une conversation dans laquelle Abraham son vieux mari est informé de la future grossesse de son épouse octogénaire. Il est à noter que ce rire spontané vexe toutefois le Créateur qui voit dans cette réaction de la vieille femme une contestation de sa toute-puissance. « Oui, tu as ri » lui dit-il fort courroucé, comme un père surprenant sa fille le doigt dans un pot de confiture.
Pour tous les puissants de ce monde, bouffis de leur importance, confits dans leurs certitudes, pour tous ceux qui siègent dans l’hémicycle des prétentieux, la lecture de la Bible pourrait leur ouvrir des horizons insoupçonnés et dissiper leurs rêves prométhéens, pour le plus grand bien de l’humanité. On peut rêver, non ?
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Philippe Randa,
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