5 avril 2017

Périclès, Roosevelt et les démocraties impériales

Par Nicolas Bonnal

John T. Flynn est un pamphlétaire de la première moitié du siècle dernier. Il a écrit après la Guerre un best-seller contre Roosevelt, The Roosevelt Myth. Dès les années trente, il reprochait au New Deal sa gabegie, son inutilité, sa dette immonde. Pour lui, comme pour Georges Bernanos, New Deal, fascisme et socialisme incarnaient une seule et même chose, l’État moderne qui met fin à notre simple autonomie.

Dans ses Leçons oubliées, Flynn compare Roosevelt au fameux stratège athénien Périclès : dette énorme, gesticulations médiatiques, grands travaux, constructions de prestige, bases, colonies (les bases US !), et une belle guerre mondiale et surtout perpétuelle. Tout rapproche Périclès de Roosevelt, y compris le prestige historique de ces deux grandes et catastrophiques figures. Roosevelt démantela les empires coloniaux et brada notre Europe comme Périclès la Grèce avec la Guerre du Péloponnèse.

Flynn se réfère à Plutarque, au merveilleux Plutarque.

On cite la Vie des hommes illustres, Périclès, chapitre IX et suivants.

« Beaucoup d’autres prétendent que c’est lui qui le premier habitua le peuple aux clérouchies, aux distributions d’argent pour le théâtre et autres indemnités diverses ; mesures qui, de sage et travailleur qu’il était, le rendirent prodigue et indocile. Demandons aux faits eux-mêmes les raisons de cette transformation. »

J’ai déjà cité Démosthène qui un siècle après Périclès se plaint dans la Réforme de la gabegie de l’argent public et du divertissement athénien. Plutarque encore : « Périclès, vaincu en popularité, eut recours à des largesses faites avec les revenus de l’État. Le voilà sur-le-champ qui corrompt en grand toute la multitude avec les fonds des spectacles, avec des salaires attribués aux juges, par toutes sortes d’allocations et de largesses ; puis de cette multitude il se fait une arme contre l’Aréopage. Il n’en était pas membre, le sort ne l’ayant jamais désigné pour les fonctions d’archonte, de roi, de polémarque ou de thesmothète… »

Périclès déclare des guerres juridiques et administratives, quand il ne chasse pas la concurrence politique par ostracisme : « Ainsi Périclès, fort de l’appui du peuple, abattit la puissance de ce tribunal (l’Aréopage). Il se vit dépossédé de la plupart de ses juridictions par l’entremise d’Ephialte ; Cimon fut banni comme ami des Lacédémoniens, et ennemi de la démocratie (misodèmon), — Cimon qui ne le cédait à personne en naissance et en richesses, qui avait remporté de brillantes victoires sur les Barbares, qui avait rempli la ville de dépouilles et de trésors, comme je l’ai raconté dans sa Vie. — Tel était sur la multitude l’ascendant de Périclès (kratos en to démo Perikleou). »

Puis Plutarque s’emporte, qui pourtant est fasciné par Périclès !

« Aussi Périclès, de plus en plus, lâcha la bride au peuple, et rechercha la popularité ; il s’ingéniait pour qu’il y eût toujours à Athènes des assemblées générales, des banquets, de belles cérémonies, enfin il offrait à la ville toutes sortes de divertissements du meilleur goût. »

Mais ce spectaculaire beurre ne suffit pas. On ajoute les canons et on joue au petit soldat, au bon colonisateur (mon meilleur Fred Astaire, le Following the Fleet).

« Chaque année, il envoyait soixante trières montées pendant huit mois par un grand nombre de citoyens qui recevaient un salaire… Il envoya en outre dans la Chersonèse mille colons ; à Naxos, cinq cents ; à Andros, deux cent cinquante.

En Thrace, il prescrivit à mille citoyens d’habiter chez les Bisaltes ; il en envoya d’autres en Italie lors de la reconstruction de Sybaris sous le nom de Thurium : tout cela, pour alléger Athènes d’une populace sans ouvrage, et par là même remuante ; pour soulager la misère du peuple et pour installer enfin, auprès des alliés (summaxois), comme garantie contre toute espèce de révolte, des garnisons, et par conséquent la crainte (phobos). »

La force athénienne repose bien sûr sur la terreur. Or quand on est le plus fort, on se sert le premier. On ruine le trésor de Délos pour édifier les babioles que vont adorer les touristes deux mille ans après : « Mais ce qui fit le plus de plaisir à Athènes, et ce qui devint le plus bel ornement de la ville ; ce qui fut pour tout l’univers un objet d’admiration ; la seule chose enfin qui atteste aujourd’hui la vérité de ce qu’on a dit de la puissance de la Grèce et de sa splendeur d’autrefois, ce fut la magnificence des édifices construits par Périclès. »

Certains esprits ne sont pas contents (Plutarque évoque les anciennes élites et les… poètes comiques !) :

« Et la Grèce n’a-t-elle pas raison de se croire insultée, et outrageusement tyrannisée, quand elle, voit que les sommes déposées par elle dans le trésor commun, et qu’elle destinait à fournir aux frais des guerres nationales, nous les dépensons, nous, à couvrir notre ville de dorures et d’ornements recherchés, comme une femme coquette accablée sous le poids des pierreries ; à la parsemer de statues ; à construire des temples de mille talents ? »

Le bon Périclès trouve normal de s’être servi. Comme Trump qui nous invite à payer plus pour aller guerroyer au service futur de l’Oncle Sam : « Périclès tenait un tout autre langage : « Vous ne devez à vos alliés nul compte de ces deniers, disait-il au peuple, puisque c’est vous qui faites la guerre pour eux, et qui retenez les barbares loin de la Grèce, tandis qu’eux ne vous fournissent pas un cheval, pas un vaisseau, pas un homme, et qu’ils ne contribuent que de leur argent. Or, l’argent, du moment qu’il est donné, n’est plus à celui qui l’a donné, mais à celui qui l’a reçu, pourvu seulement que celui-ci remplisse les engagements qu’il a contractés en le recevant. Or, vous avez rempli tous vos engagements, en ce qui concerne la guerre ». »

Les grands travaux occupent tout le monde, comme les gares et les barrages (ça se visite aussi, non ?), et les aéroports et toutes les pyramides du Louvre. Périclès : « Une foule de besoins nouveaux ont été créés, qui ont éveillé tous les talents, occupé tous les bras, et fait, de presque tous les citoyens, des salariés de l’État : ainsi, la ville ne tire que d’elle-même et ses embellissements et sa subsistance. Ceux que leur âge et leurs forces rendent propres au service militaire reçoivent, sur le fonds commun, la paye qui leur est due. Quant à la multitude des ouvriers que leurs professions exemptent présentement du service militaire, j’ai voulu qu’elle ne restât point privée des mêmes avantages, mais sans y faire participer la paresse et l’oisiveté. Voilà pourquoi j’ai entrepris, dans l’intérêt du peuple, ces grandes constructions, ces travaux de tous genres, qui réclament tous les arts et toutes les industries, et qui les réclameront longtemps. »

On ostracise les rares mécontents : « Enfin, la lutte avec Thucydide (pas l’historien, un rival politique) en vient à un tel point que Périclès se résout à courir les risques de l’ostracisme, obtient le bannissement de son adversaire, qui est suivi de la dissolution du parti. »

Périclès semble gagner son pari avant la peste et les premières défaites. Il est le Roi du Monde façon Roosevelt : « Il semblait qu’il n’y eût plus d’inimitiés politiques, et qu’il n’y eût désormais, dans Athènes, qu’un même sentiment, une même âme. On pourrait dire qu’alors Athènes, c’était Périclès. Gouvernement, finances, armées, trirèmes, empire des îles et de la mer, puissance absolue sur les Grecs, puissance absolue sur les nations barbares, sur tous les peuples soumis et muets, fortifiée par les amitiés, les alliances des rois puissants, il attira tout à lui, il tenait tout dans ses mains. »

Et la « mégalo-thymie » de Fukuyama frappe la cité athénienne : « Périclès inspirait à ses concitoyens une opinion de plus en plus haute d’eux-mêmes, en sorte qu’ils se croyaient appelés à une puissance plus grande encore. »

En dépit de ses dépenses et de ses erreurs, Périclès est resté une figure de légende, comme ce FDR jugé le plus prestigieux des présidents US par la smalah des universitaires et des professeurs de collège ; Roosevelt qui appauvrit son pays et l’endetta, qui aggrava la crise de 29 et la rendit pérenne, Roosevelt enfin qui provoqua le Japon de la manière la plus cynique (Morgenstern), massacra l’Allemagne prête à négocier dès 1943 et donna la moitié de l’Europe à Staline – et la Chine au maoïsme.

Ralph Raico remarque enfin que le complexe militaro-universitaire a fait de Truman un grand président américain : Otan, Corée, Hiroshima. Sans oublier le social.

Il faut croire que cela motive.

Sources

Plutarque, Vie de Périclès, traduit par une société de professeurs et d’hellénistes

Édition bilingue. Vie des Hommes Illustres. Traduction Alexis Pierron, 1853

Démosthène, Discours sur les réformes publiques

John T. Flynn, A Roosevelt Myth ; forgotten lessons

The costs of war ; American pyrrhic victories

Ralph Raico, A libertarian rebuttal

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