16 avril 2021

Pas si bête

Par Euro Libertes

Nonchalamment étendu sur le canapé dont les coussins lui sont pourtant formellement interdits, Isidore le chat, les yeux mi-clos passe ses journées à écouter les débats télé ou radiodiffusés qu’il préfère à « Touche pas à mon poste », à « Koh Lanta » ou au « bulletin météo ».

Ce vieux matou serait-il sensible au beau sexe ? Toujours est-il qu’il se met à ronronner dès que s’expriment Élisabeth Lévy, Natacha Polony, Bérénice Levet ou Charlotte d’Ornellas. Floppy est incontestablement réac. Floppy ? Ne le dîtes pas, mais c’est son véritable état civil (cf. son carnet de santé) mais, bien qu’authentique bâtard de « gouttière » de la plus basse extraction, il est snob et juge qu’un pseudonyme se référant à Octave Mirbeau est plus « classieux ». Bon, si ça lui fait plaisir…

Depuis quelques semaines les débats sur l’écriture inclusive et les prétendues simplifications de la langue française lui hérissent le poil. L’idée même d’une réécriture de l’œuvre de Molière l’a rendu furieux.

Il a émis un feulement véritablement tigresque à l’idée d’une quelconque adaptation de « L’école des femmes ». Il faut dire que le célèbre « petit chat est mort » fait perler à chacun de ses yeux en amande une larme de crocodile ce qui, reconnaissez-le, pour un félidé est contre nature… Encore que de nos jours cette dernière expression n’ait plus vraiment cours.

Pendant qu’ils y sont, pourquoi ne pas s’attaquer au conte du « Chat botté » ou à ceux du « Chat perché » au prétexte de l’actuelle hégémonie de « l’Héroïc Fantasy ». Il est vrai que les deltoïdes survitaminés de ses chevaliers et les postures aguichantes de ses princesses barbyturées ont remisé le roman courtois et, à défaut, ceux de la bibliothèque rose, dans les bennes à envoyer au pilon.

Quand les bornes sont dépassées il n’y a plus de limites comme le rappelait récemment un signataire, honteux et confus, du traité de Schengen. Alors pourquoi ne pas évacuer du dictionnaire, au nom d’une prétendue désuétude, ce terme si évocateur de « chattemite ».

Ce serait ravaler ce bon La Fontaine au rang de peigne-cul : « C’était un chat vivant comme un chat ermite, un chat faisant la chattemite, un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras… ».

Pourtant, quelle finesse dans le trait. On croirait voir surgir un président du Sénat, mais ne nous égarons pas. Au fait, « Chanoine » n’était-il pas le nom du chat de Victor Hugo ?

Pourquoi encore ne pas jeter définitivement dans les poubelles de la lexicographie ce charmant et poétique « potron-minet » quand bien même le chat doit-il partager l’origine de l’expression avec le jacquet devenu aujourd’hui l’écureuil. Lève-tôt du matin ils étaient les premières créatures diurnes à montrer, involontairement bien sûr, leur derrière (potron en vieux françois), bien avant qu’un Michel Polnareff ou qu’une Corinne Masiero ne le fissent ostensiblement à la seule fin d’épater la galerie de l’inculture.

Et ce matou pourtant paisible de fulminer soudain contre la tiédeur de l’Académie française laquelle, à son humble avis de greffier subalterne, devrait immédiatement entreprendre une grève du dictionnaire à défaut d’embrocher les barbares. Les marquer de la pointe de leur épée, voilà qui aurait de la gueule ! Et à la fin de l’envoi, je touche ! Et d’appeler aussitôt à la rescousse l’ombre tutélaire du père spirituel des Immortels dont, paraît-il, le bureau était envahi par quatorze félidés aussi facétieux que possessifs au point de faire tourner en bourrique le redoutable homme rouge qui leur passait toutes leurs bêtises.

Isidore Floppy (pas flapi, s’il vous plaît) se laisse emporter dans une improbable méditation sur les textes qui pourraient faire l’objet de dictées afin de familiariser les jeunes pousses scolaires aux beautés de la langue française : « Dans ma cervelle se promène, ainsi que dans son appartement, un beau chat, fort, doux et charmant… Quand mes yeux vers ce chat que j’aime, tirés comme par un aimant, se tournent docilement et que je regarde en moi-même, je vois avec étonnement, le feu de ses prunelles pâles, clairs fanaux, vivantes opales, qui me contemplent fixement… »

Ah Baudelaire ! Et, en ces temps de Pâques, pourquoi pas ces vers de Carême, Maurice de son prénom : « Le Chat ouvrit les yeux le soleil y entra. Le chat ferma les yeux, le soleil y resta ».

Et les yeux fermés, en bon félin qu’il est, il se laisse glisser dans les bras de Morphée en rêvant à la prochaine récitation qu’il apprendrait à des élèves de cours moyen : la « brave Margot » de Brassens autre ami des chats dont on fête cette année le centenaire.

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