11 janvier 2020

La liquidation de l’État protecteur ; l’« ubérisation » de la société

Par Pierre Le Vigan

Dans un livre coécrit avec Hélène Strohl, le sociologue et philosophe Maffesoli fait le constat de l’épuisement des catégories de la modernité : le progrès, la vérité, la République une et indivisible. Son constat est-il tout à fait exact ? Et est-il aussi réjouissant que le dit l’auteur ? Une enquête en 5 épisodes.

Michel Maffesoli.

Michel Maffesoli.

Du pacte moderne rationnel aux nouveaux liens improvisés en passant par… la liquidation de l’État protecteur et l « ubérisation » de la société.

Dans La Faillite des élites, Michel Maffesoli avance l’idée que le peuple fait mentalement sécession de la politique des partis et de la politique des élites.

Le peuple se débarrasse des élites. Ou il essaie. Il s’en débarrasse mentalement. Il les laisse tourner à vide. Mais nos auteurs ne voient pas que l’on ne débarrasse pas si facilement des élites. Elles continuent de mettre en place leur société postnationale et liquide.

La réalité sociale foisonnante reprend conscience d’elle-même, et veut en finir avec les catégories d’ordre, de raison, de justice, qui descendent de l’État et des élites rationnelles vers le peuple, comme les vérités religieuses descendaient du ciel vers la terre. Un peuple assujetti devient enfin rebelle. Les instincts reprennent le pas sur la raison. La nature et la surnature (les mythes, l’imaginaire…) prennent le pas sur le culturel et le social normé (les lois, le respect des normes, la convenance…). Ce qui est archétypal (les résidus de Pareto) prendrait le pas sur ce qui rationnel (les dérivations de Pareto), sur ce qui s’objectivise, s’explique, se justifie, y compris les idéologies se piquant de logique. Les dérivations, qui sont les idéologies modernes, sont en train de mourir. L’anthropologie profonde de l’homme, communautaire, aventureuse, jouisseuse, prend sa revanche sur la raison, triste, mécanique, prévisible, travailleuse (trop travailleuse), sérieuse (trop sérieuse).

Le plaisir de l’être-ensemble l’emporte sur le devoir-être du vivre-ensemble. Les liens choisis priment sur les liens imposés, sur les cohabitations forcées, sur les relations transactionnelles, celles qui reposent sur un contrat juridique. Au contrat social entre individus, succède l’holisme. La socialité précède l’individu. Le feeling supplante le rationnel, et le calculé. L’homme retrouve sa dimension animale, trop oubliée. L’être humain se rappelle qu’il est un être-avec-autrui, un être en compagnie. Le contrat social explicite cède la place à un pacte implicite, qui est celui des affects.

Le pacte (postmoderne) est fondé sur le consensus, tandis que le contrat (moderne) est fondé sur le compromis. L’écrit cède la place à l’oral. Le contrat était tendu vers le long terme, le pacte concerne le court terme, le présent. Et il concerne la tribu, ici et maintenant. Le présent remplace le projet tout comme il remplace le progrès. Même la sexualité change : on s’accouple moins, on se lèche davantage.

Il serait toutefois raisonnable de ne pas en faire trop. Que les tribus libertines et clubs échangistes « participent à la cohésion sociale », comme l’affirment nos auteurs (p. 144), c’est tout de même beaucoup leur prêter. Par principe, il est très bien que chacun puisse vivre ce qu’il a envie de vivre entre adultes consentants. Mais de là à en faire une opération de salut public de la cohésion sociale, c’est certainement excessif. On aurait plutôt vu, dans ce rôle de facteur de cohésion sociale les retraités, souvent de milieu populaire, qui donnent gratuitement leur temps à des associations de soutien scolaire de quartiers HLM.

Le bonheur postmoderne continue d’être décliné par les auteurs : le commerce des biens, le commerce des idées et le commerce amoureux se rejoignent et se fondent en un seul ensemble. À son petit Moi, l’homme préfère le bain dans une communauté, le « Moi commun », le « moi transcendant » dont parle Novalis, c’est-à-dire le moi qui nous porte au-delà du moi, la communauté comme immersion entre pairs. « La perfection n’est pas dans un ‘’moi’’ tout-puissant, mais dans un ‘’nous’’ ouvert, en constante évolution ». C’est la communauté comme élargissement du soi.

L’individu n’étant plus seul, il n’est plus assujetti à un principe unique, incarné par l’État. C’est ce qu’Alain Bihr a appelé « le crépuscule des États-nations ». À l’État providence, vertical, succède une solidarité horizontale : co-location, co-working, co-voiturage, etc. Tout cela réjouit Maffesoli. Ce sont bel et bien le retour à des partages horizontaux, choisis, parfois fraternels. Parfois. Car il y a des exclus de cet Eden communautaire. Le jardin des délices des uns peut être le jardin des supplices des autres. Et la jouissance des uns peut être cruelle, comme le rappelle Dany-Robert Dufour.

Les très pauvres, et en particulier les démunis en bagage culturel, ne bénéficient pas de tels outils, les co-ceci et autres ubérisations plus ou moins marchandes, qui supposent maîtrise de l’informatique, d’internet, de l’anglais basique. Ces coopérations horizontales entre pairs excluent, par principe, les non pairs, les isolés, et l’isolé n’est pas le cadre célibataire de centre-ville, c’est le retraité dans un village sans commerces, c’est le banlieusard d’un quartier difficile, c’est l’habitant de la cité Charles Hermitte à Paris, porte de la Chapelle, dans un quartier que tout le monde évite du fait de la présence de camps de migrants et de l’insécurité. La réduction de plus en plus nette des moyens de la politique sociale, et de l’État providence, qu’il serait plus juste d’appeler État protecteur (qui protège matériellement des accidents de la vie) laisse toute une part de la population, surtout française, sans aides, sans soutien, car, justement, tous n’ont pas accès aux solidarités horizontales, organiques. Les Français sont souvent plus désocialisés que les immigrés, dont la culture traditionnelle inclut une fratrie élargie, des solidarités de village, etc. Nous sommes plus désocialisés car plus modernes. Déclin de l’État protecteur : pourquoi ? Bien sûr parce que la priorité de nos sociétés est le profit de grands groupes. Mais pas uniquement. Cette réduction des moyens de la politique sociale, surtout par rapport à l’explosion de la précarité, vient de l’immigration, car c’est elle qui rend inépuisables les besoins sociaux. La poursuite de l’immigration, c’est forcément plus d’insécurité sociale pour les Français, et pour les immigrés les plus intégrés, c’est-à-dire ceux qui travaillent.

En ce sens l’État social, l’État protecteur a bien des défauts mais son principal défaut serait de ne pas exister, c’est-à-dire de laisser la place à la loi de la jungle de la société de marché. Et ce n’est qu’en recentrant cet État protecteur sur la base d’une préférence nationale, dissuasive de l’immigration, qu’il peut être sauvé, ainsi qu’en édictant des contreparties entre droits et devoirs.

Les auteurs de La faillite des élites, croyant faire un constat, disent des vérités, mais des vérités partielles, Ils avancent masqués. Ils ont un projet idéologique. C’est leur droit. Mais ce projet n’est pas affiché. Ils nous disent : à l’unité ontologique succède un pluralisme ontologique. « Tout coule. Rien n’est jamais à la même place. Mais le flot est incessant ». Pour être très concret, un pluralisme des valeurs succède à une unicité des valeurs, celles incarnées par la société et par l’État, garant de celle-ci. Une sorte de polythéisme vécu, pratique, reviendrait, sans doute dans le prolongement inconscient du christianisme médiéval et du culte pluriel des saints, tant il est vrai, comme disait Joseph de Maistre, que le christianisme – on comprend qu’il s’agit ici du catholicisme – est un « polythéisme raisonné ».

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