Grand-Papy, c’est quoi une idéologie ?

Que répondre à un lycéen posant cette question dont, de son propre aveu, il se tamponne le coquillard avec une plume de hareng saur ? Mais scolarité oblige et sa copie est à rendre avant-hier soir au plus tard… Au secours !

Idéologie ! Lorsque mon père entendait ce mot, il était prêt à dégainer pour dégommer la pyramide de sophismes la constituant et liquider ainsi un concept mortifère, à l’origine de bien des tragédies universelles.

Autres temps, autres mœurs, je me contente de sortir un couteau de cuisine pour la disséquer délicatement, d’en extraire les filets avant de les traiter à une sauce rémoulade de ma composition, légèrement vinaigrée, plus nettement poivrée, en évitant toutefois que la moutarde ne monte au nez de mon invité que je dois convaincre et non rebuter.

Revenons à notre gamin que j’imagine volontiers hermétique à tout débat philosophique.

Comme le disait si bien Darry Cowl ou le mime Marceau, je ne sais plus : « Ce qui se conçoit bien s’exprime clairement. »

Darry Cowl.

Peut-être même qu’en la circonstance un dessin vaudrait mieux qu’un long discours. Pour une jeunesse dont les lectures se limitent le plus souvent à celles de BD n’hésitons pas une minute à utiliser quelques images aussi colorées que divertissantes.

« Mon garçon, il faut déjà savoir que les idéologies sont le fruit de penseurs abscons comme la lune, aussi éclairés qu’une nuit d’éclipse. C’est d’ailleurs cette obscure clarté qui tombe des étoiles qui permet à Louis Napoléon Bonaparte de décréter l’extinction du paupérisme dont l’heure quotidienne sera ultérieurement fixée à 22 heures par le philanthrope Ferdinand Lop dans son inoubliable programme présidentiel.

C’est encore au nom de l’idéologie que Pol Pot, le démocrate cambodgien célébré naguère par le chaleureux Jean Lacouture, décidera du bonheur de son peuple en le déportant dans sa totalité dans les campagnes les plus reculées. Il ne faisait que reprendre une riche idée du pharmacien hygiéniste français Alphonse Allais qui préconisait la construction des villes à la campagne où l’air est incontestablement plus sain.

L’égalité est un fondement essentiel des idéologies. C’est ce qui conduit aux aberrations les plus drôles si elles n’étaient malheureusement les plus tragiques.

Un exemple. Comment concilier l’égalité des hommes et leurs dissemblances naturelles ? Des Hutus courtauds ont coupé les jambes de leurs voisins Tutsis, trop élancés à leur gré, pour rétablir l’égalité des tailles. C’est par ce même souci d’égalitarisme que Ferdinand Lop préconisait la suppression du discriminé wagon de queue du métro parisien. Mais à vouloir entasser dans une case unique l’ensemble de l’humanité on en vient aisément à constater, comme le rappelait le sociologue Michel Colucci, que si les hommes sont égaux certains le sont plus que d’autres.

Paraphrasant Vergniaud, l’orateur girondin doutant soudain des bienfaits de la Révolution, je prétends que l’Idéologie, comme Saturne, dévore successivement ses enfants. »

« Osez ! Ce mot renferme toute la pratique de votre révolution ».

C’est ce qu’affirmait Saint-Just, un jeune dandy à l’humour glacial. Approfondissant le propos d’un politologue qui s’ignorait, Michel Audiard, on est en droit de penser que, comme les cons, les idéologues osent tout et que c’est même à ça qu’on les reconnaît.

Pour conclure je me vois obligé d’exhumer de sa baignoire sabot, avant de m’empresser de l’y rejeter avec l’eau du bain, Marat l’ami d’un peuple qui se serait bien passé de son affection. Pour qualifier ledit peuple, il avait forgé une formule digne d’être reprise par les idéologues du monde entier : « L’aigle marche toujours seul, le dindon fait la troupe. »

Tout comme les dindons, les idéologues, il faut se les farcir.

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