Jean-Pierre Brun et l’Europe
Après une jeunesse algérienne et l’avortement d’une carrière militaire qui a irrémédiablement fait « putsch » en 1962, Jean-Pierre Brun, ayant recouvré la Santé (rue du même nom) sur ordonnance de la Cour de Sûreté de l’État, s’est reconverti en juriste de terrain pour faire carrière dans l’industrie avant de terminer sa vie professionnelle comme délégué général d’un syndicat national patronal. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de fréquenter l’édifiante communauté bruxelloise des eurocrates associés et de se forger ainsi une conviction profonde sur les arcanes de leur institution nourricière. Définitivement rendu à la liberté il peut désormais s’adonner à sa vraie passion : l’histoire. Dernier livre paru : D’Azzedine à Si Salah. Une étude sur « La paix des braves » (Dualpha).
Quelle est votre position sur l’Europe ? Êtes-vous anti ou pro Européen ? Dans ce dernier cas de figure, êtes-vous pour une Europe fédérale ou une Europe de la coopération de nations souveraines, ou encore en avez-vous une autre conception ?
L’Europe ne peut être au mieux que celle de la coopération de nations souveraines. Encore faut-il définir quelle entité mérite, dans le périmètre géographique européen, cette « appellation contrôlée » de nation. Et c’est là que l’exercice devient aléatoire sinon périlleux. Les hernies et autres occlusions qui affectèrent son fameux « ventre mou » contribuèrent à déstabiliser le continent. Ses démembrements et ses dépeçages successifs sont là pour nous le rappeler. La floraison d’États plus croupions les uns que les autres constitue une entrave à l’établissement de cette harmonie indispensable au sein de toute association. La récente émergence d’un « Kosovo éprouvette » en est le dernier avatar.
Quelle que soit votre conviction, considérez-vous que rien n’arrêtera désormais la construction européenne sous sa forme actuelle ou sous une autre – que vous le déploriez ou l’espériez – ou, au contraire, que son échec est prévisible, voire même inéluctable ?
Non seulement l’échec de l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui bricolée est prévisible mais il est inéluctable. On ne construit pas une pyramide en lui donnant pour base l’une de ses pointes. La faute d’architectes prétentieux sinon incompétents de cette Union préfabriquée a été d’intervertir les étapes de la construction. Il était déjà illusoire d’imaginer que, priorité étant donnée à un objectif économique, la stabilité de fondations exagérément élargies pût être aisément obtenue en dépit des différences de nature des sols sollicités. (Je ne sais pas pourquoi cette association d’idées avec l’inénarrable prestation de Numérobis l’architecte égyptien de Mission Cléopâtre).
Mais que dire de l’instauration d’une monnaie unique ? En effet l’euro ne pouvait être viable que si déjà l’établissement préalable de législations sociale et fiscale uniques était réalisé. Dans le cas contraire, c’était l’assurance de déséquilibres profonds mettant en cause l’édifice dans son ensemble (voir les exemples du fameux « plombier polonais » et des fiscalités accueillantes de l’Irlande et du Luxembourg).
Ne parlons pas des effets délétères du traité de Schengen à l’origine de la prolifération de métastases exogènes impossibles à traiter ni même à contenir.
Que pensez-vous du Grand marché transatlantique (GMT), cette zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, actuellement en négociation ?
L’histoire récente éclaire déjà largement le débat. Souvenons-nous des effets « grandioses » d’un euro fort face à un dollar faible. Hormis un réel avantage retiré par l’économie européenne en matière de règlement des factures pétrolières en dollars on se doit de constater le déséquilibre créé entre « importations » et « exportations ». Cette prétendue faiblesse du billet vert faisait le bonheur des neveux de l’oncle Sam alors que, hormis les protégés de tante Angela, les industriels du vieux continent se faisaient tailler des croupières. Car pour résumer la problématique posée : « Dis-moi ce que tu exportes, je te dirai ce que tu peux espérer. »
Avant de valider cet intérêt que français ou européens auraient à adhérer à ce Grand marché transatlantique, méditons ces sentences dont usaient nos pères pour aider à la prise de toute décision : « Les bons sentiments font rarement les bons gueuletons », « Au bal des couillons ce sont toujours les mêmes qui dansent. »
L’avenir de l’Europe consiste-t-il à s’amarrer aux USA ou plutôt à resserrer les liens avec la Russie ? Ou aucun des deux.
S’amarrer aux USA ne saurait en aucune façon constituer une « assurance vie » confortable pour l’Europe. L’histoire est là pour nous montrer combien les décisions prises par les États-Unis pour traiter d’un problème international peuvent paraître marquées par le sceau de ce contretemps qu’on qualifierait presque de systématique. Leurs entrées en guerre en sont des preuves flagrantes De là à faire des G.I. les carabiniers de la chanson ou les pompiers de « l’incendie à Rio » alors que des dizaines de milliers d’entre eux reposent dans les cimetières… je m’y refuse.
Resserrer les liens avec la Russie est une évidence que le merdier proche oriental suscité par les Américains imposerait à tout politicien de bon sens. D’ailleurs, et j’y reviendrai dans ma réponse à la question suivante, à preuve du contraire la Russie est européenne.
Comme aimait à le rappeler un aumônier parachutiste ami qui avait pataugé dans les rachs indochinois avant d’user ses rangers dans les djebels algériens : « La politique internationale de la France c’est une affaire de cuistot. Il s’agit de choisir entre la sauce américaine et la sauce tartare. Celle-ci est plutôt vinaigrée. L’autre est au whisky. Je préfère le Whisky. »
Le Padre n’était pas un fin gastronome et les temps ont changé. Alors pourquoi le Français, réputé fine gueule choisirait l’une plutôt que l’autre ? Un T’bone de black Angus US ? Cela ne se refuse pas. Un vrai bœuf Strogonoff de noble origine ? J’en salive déjà. Les deux tables peuvent être fréquentées pour peu que, refusant les formules « Menu » nous puissions y consommer à la carte.
Qu’est-ce que l’Europe signifie pour vous ? Un rêve ? Un cauchemar ? Une nécessité géopolitique ? L’inévitable accomplissement d’un processus historique ? La garantie d’une paix durable pour le Vieux continent ? Ou rien du tout…
Ne jamais oublier la réalité géographique de ce qu’est l’Europe. D’aucuns se réfèrent à un continent, d’autres, comme le géographe Vidal de La Blache, à une péninsule qui serait la pointe extrême de l’Asie baignée par l’Atlantique et la Méditerranée. Pour sa part de Gaulle la situait de l’Atlantique à l’Oural. De ce simple fait il devient difficile de parler de l’Europe en ignorant la réalité Russe. Et la Sibérie m’objectera-t-on ? Soit, mais qui fit les frais du fameux partage du monde de Yalta ? Où fut dressé « le Rideau de fer » ? Qui se trouva exposé en première ligne pendant « la Guerre froide » ?
L’Europe des Nations est une nécessité géopolitique qui n’est donc pas nouvelle quand bien même les grands courants qui l’irriguent se succèdent sous des formes différentes. Mais comment ignorer la réalité de la renaissance d’un courant islamique qui emprunte des itinéraires et des vecteurs inattendus que la géostratégie à bien du mal à maîtriser ? Qui prêche « l’extension du Dar el Islam et de l’Oumma jusqu’à Oslo grâce aux ventres des femmes musulmanes » alors que les dirigeants européens snobent la dénatalité galopante qui frappe les populations autochtones. Que prétendent des chefs tchétchènes, ouzbeks ou autres turkmènes aux portes de la Sainte Russie ?
Les années passant, les progrès technologiques se multipliant, notamment dans le domaine de l’armement et des communications, les données évoluent obligatoirement. L’Europe, pour garantir une paix durable sur son territoire ne peut ignorer cette réalité qui ne concerne pas seulement l’un ou l’autre de ses membres mais l’entité qu’elle est, Russie comprise.
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Philippe Randa,
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