12 décembre 2016

Athos et le message royaliste de Dumas

Par Nicolas Bonnal

 

Ami de Gautier et de Nerval, Dumas, dont le père noir fut un magnifique soldat et français, aimait la révolution comme on aime les femmes. Mais fondamentalement, c’était un royaliste.

Il n’aurait plus manqué que cela.

Dans un texte du 28 novembre 2010, l’oracle Philippe Grasset rappelait, sur Dedefensa.org, que les Trois mousquetaires sont une institution mondiale et transcendantale, y compris en Inde et dans le film Slumdog millionnaire. On pose des questions à la télé indienne sur ces héros les plus populaires du monde. Et le gosse élevé dans les poubelles de la mondialisation connaît.

Et Alexandre Dumas le pressentait. Écoutez-le, notre visionnaire, qui écrit dans le Vicomte de Bragelonne : « C’est qu’en effet ces quatre noms, d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, étaient vénérés par tout ce qui portait une épée, comme dans l’Antiquité étaient vénérés les noms d’Hercule, de Thésée, de Castor et de Pollux. »

Philippe Grasset cite astucieusement ces lignes somptueuses de Dumas.

C’est Athos, ce mont Athos de la Tradition hyperboréenne, qui parle à son fils : « Raoul, sachez distinguer toujours le roi de la royauté ; le roi n’est qu’un homme, la royauté, c’est l’esprit de Dieu ; quand vous serez dans le doute de savoir qui vous devez servir, abandonnez l’apparence matérielle pour le principe invisible, car le principe invisible est tout. Seulement, Dieu a voulu rendre ce principe palpable en l’incarnant dans un homme. »

Athos adresse ses reproches dans Vingt ans après à d’Artagnan. Ce dernier se mue en petit fonctionnaire qui aide à renverser la monarchie anglaise (monarchie qui sera remplacée par la couronne – Keter). Il soutient la subversion et aide l’agent Cromwell à s’installer sur l’île noire avec son équipage puritain. Écoutons Athos.

Et il ne faut pas toucher aux nobles rois parce que : « que tous les gentilshommes sont frères, parce que vous êtes gentilhomme, parce que les rois de tous les pays sont les premiers entre les gentilshommes, parce que la plèbe aveugle, ingrate et bête prend toujours plaisir à abaisser ce qui lui est supérieur ; et c’est vous, vous, d’Artagnan, l’homme de la vieille seigneurie, l’homme au beau nom, l’homme à la bonne épée, qui avez contribué à livrer un roi à des marchands de bière, à des tailleurs, à des charretiers ! »

Nous sommes dans les années 1640, dans la Qualité encore, peu avant la Quantité qui va débarquer avec Louis XIV, monarque théâtral dont a parlé Taine ! Ce roi malencontreusement mènera au pouvoir notre bourgeoisie. Voici ce qu’il advient « dix ans après » (pour parler comme Dumas) à d’Artagnan, conformément aux sombres prophéties orthodoxes du Voyant Athos. Le spectacle ne remplit pas sa vie : « D’Artagnan n’avait absolument rien à faire dans ce monde brillant et léger. Après avoir suivi le roi pendant deux jours à Fontainebleau, et avoir regardé toutes les bergerades et tous les travestissements héroï-comiques de son souverain, le mousquetaire avait senti que cela ne suffisait point à remplir sa vie. »

Lisez ces lignes incroyables maintenant : « Ainsi étendu, ainsi abruti dans son observation transfenestrale (La télé ! La télé !), d’Artagnan n’est plus un homme de guerre, d’Artagnan n’est plus un officier du palais, c’est un bourgeois croupissant entre le dîner et le souper, entre le souper et le coucher ; un de ces braves cerveaux ossifiés qui n’ont plus de place pour une seule idée, tant la matière guette avec férocité aux portes de l’intelligence, et surveille la contrebande qui pourrait se faire en introduisant dans le crâne un symptôme de pensée. »

Que s’est-il passé ? Philippe Grasset parlait de cette noble époque : « Il y a une telle place accordée à l’honneur et une telle désinvolture chaleureuse, et une telle fermeté désinvolte dans l’exercice de la vertu de l’honneur… »

Et d’un coup on bascule.

On bascule dans la grisaille, le bourgeois, Molière, la femme savante, le métier de roi, le sophiste de Burke, le monde ordinaire, la royauté pas sacrée, les comptes d’apothicaire qui remplacent le conte de fées. Voici pourquoi Athos a raison, cette fois selon Fukuyama qui explique dans son anglais simplet ce fait fondamental : « The bourgeois was an entirely deliberate creation of early modern thought, an effort at social engineering that sought to create social peace by changing human nature itself. » (« Le bourgeois a été une creation tout à fait réfléchie de la pensée moderne à ses débuts, un effort d’ingénierie sociale visant à obtenir la paix sociale en changeant la nature humaine elle-même. »)

D’où Molière et Furetière. Les héros vont dégager, on aura les boutiquiers et leurs femmes savantes. Comme on sait aussi, le bourgeois BHL aime la guerre.

La décadence décrite par Dumas frappe aussi les soldats du roi et les aristocrates de plus en plus fatigués (Burke dira sublimement : The age of chivalry is gone/L’époque de la chevalerie est terminée). Voici comment d’Artagnan réveillé par Athos engueule son roi : « Sire, choisissez ! Voulez-vous des amis ou des valets ? Des soldats ou des danseurs à révérences ? Des grands hommes ou des polichinelles ? Voulez-vous qu’on vous serve ou voulez-vous qu’on plie ! Voulez-vous qu’on vous aime ou voulez-vous qu’on ait peur de vous ? »

Tout cela pour dire que nos aînés avaient bon œil. Dumas décrit aussi la mélancolie de ce menu monde qui va avec cet amas de bourgeois et de faux chrétiens.

«… tout paraît noir, tout paraît amer, tout fait douter de Dieu, en parlant par la bouche même de Dieu. »

Et Aramis, qui n’aime pas Louis XIV, ajoute : « Le roi a souffert, il a de la rancune, il se vengera. Ce sera un mauvais roi. Je ne dis pas qu’il versera le sang comme Louis XI ou Charles IX, car il n’a pas à venger d’injures mortelles, mais il dévorera l’argent et la subsistance de ses sujets, parce qu’il a subi des injures d’intérêt et d’argent. »

Ce sera un exacteur et un recruteur, comme dit Chateaubriand de Bonaparte.

Le siècle présent devrait être monarchiste, mais certainement au sens de Dumas !

On reparlera de son voyage en Russie.

Bibliographie

Chateaubriand – Mémoires d’Outre-tombe

Dumas – Vingt ans après ; le Vicomte de Bragelonne

Grasset – La grâce de l’histoire

Fukuyama – La fin de l’histoire

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