Allocution et réponses du Ministre russe des Affaires étrangères
Moscou, le 25 octobre 2016
Allocution et réponses du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d’une rencontre avec les membres de l’Association of European Businesses (AEB), Moscou, le 25 octobre 2016
Comme l’a dit un poète russe: « Gel et soleil – jour merveilleux ». Nous essayons de poursuivre notre travail. Tout d’abord, je voudrais remercier Thomas Shtertsel et tous les membres de l’Association of European Businesses (AEB) en Russie de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer de nouveau devant les membres de l’Association. Nos rencontres régulières sont devenues une bonne tradition, que nous voulons perpétuer par tous les moyens.
Aujourd’hui, les milieux d’affaires et la diplomatie économique jouent un rôle spécial dans le maintien de la confiance et d’une compréhension mutuelle entre les peuples. Nous savons votre envie de développer une coopération mutuellement avantageuse, de poursuivre un travail actif sur le marché russe. Nous savons aussi que vous comprenez le caractère contre-productif de la confrontation et de la logique des sanctions. Nous apprécions et partageons cette approche.
Malheureusement, la situation des affaires internationales ne s’est pas améliorée depuis notre dernière rencontre. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont toujours en sang. La Syrie, l’Irak, le Yémen et la Libye subissent le feu de la guerre. La percée sans précédent de terrorisme et d’extrémisme que nous vivons aujourd’hui constitue une menace majeure pour tout le monde. Les nombreux attentats partout dans le monde et l’afflux de migrants en Europe nous montrent qu’il est impossible de créer des îlots de sécurité, de se protéger contre des menaces et des défis en érigeant des murs.
La situation actuelle découle directement de manipulations géopolitiques, de l’ingérence dans les affaires d’États souverains et du changement de régimes « indésirables », y compris manu militari. Nous sommes sincèrement désolés par le fait qu’après la Guerre froide, les États-Unis et certains de leurs alliés n’ont pas renoncé à leur politique archaïque d’endiguement. Nous sommes profondément préoccupés par les actions allant à l’encontre de la sécurité nationale de la Russie telles que le rapprochement de l’infrastructure militaire et des forces de l’Otan de nos frontières, ainsi que le déploiement du bouclier antimissile américain en Europe et en Asie.
Certains tentent d’utiliser la crise ukrainienne pour atteindre leurs propres objectifs géopolitiques sans tenir compte du principe de sécurité égale et indivisible, ce qui ne fait qu’aggraver la situation, déjà très compliquée, sur notre continent. La Russie essaie de parvenir à un règlement politique et diplomatique de la crise intérieure ukrainienne sur la base d’une mise en œuvre totale des accords de Minsk. Comme l’a encore une fois démontré la dernière rencontre du Format Normandie à Berlin, Kiev doit mettre en œuvre progressivement sa part des engagements: fixer sur le plan législatif un statut spécial pour la région du Donbass, ainsi qu’organiser une réforme constitutionnelle, une amnistie et des élections locales. Nous tentons de résoudre toutes ces questions dans le cadre du Format Normandie mais la décision finale revient au format ukrainien – le Groupe de contact et ses sous-groupes.
Comme je l’ai déjà dit, nous avons évoqué cette situation le 19 octobre à Berlin. Nous espérons que nos partenaires occidentaux au sein du Format Normandie arriveront à convaincre les autorités ukrainiennes de se mettre au travail en cessant cette farce politique.
La situation en Syrie est désormais utilisée comme un nouveau prétexte pour faire pression sur la Russie et stopper toute initiative positive envers Moscou de la part de certains pays membres de l’Union européenne. Comme vous le savez, la Russie s’est toujours prononcée pour un règlement rapide et juste du conflit syrien sanglant. Les objectifs principaux sont l’éradication complète de la menace terroriste sur le territoire du pays et le lancement parallèle d’un processus de paix universel sur la base de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’Onu et des décisions appropriées du Groupe international de soutien à la Syrie. Les moyens d’atteindre ces objectifs ont été également examinés lors des négociations du Président russe Vladimir Poutine avec les leaders français et allemande le 19 octobre à Berlin, ainsi qu’à Lausanne avant cette rencontre. Notre conclusion n’a pas changé: la condition principale du succès des accords conclus est une distinction immédiate et totale entre l’opposition syrienne dite modérée et les organisations terroristes telles que Daech, le Front al-Nosra, etc. Nos partenaires américains nous l’avaient promis il y a déjà 8 mois mais rien n’a encore été fait. Il est difficile de croire en l’impuissance des USA qui soulignent sans cesse leur rôle « exceptionnel » et « irremplaçable » dans les affaires internationales. Si le peuple et les autorités américains sont en effet persuadés de ces qualités, il vaut mieux les utiliser pour le bien de tout le monde, c’est-à-dire pour isoler les terroristes et assurer leur élimination.
Les forces aériennes russes agissent en Syrie à la demande du gouvernement légitime du pays. Nous avons intérêt à ce que le combat contre le terrorisme soit collectif et se base sur les fondements solides du droit international. Le Président russe Vladimir Poutine l’a souligné il y a un peu plus d’un an lors de la 70ème session de l’Assemblée générale de l’Onu à New York. Malheureusement, nos collègues européens ont cessé de coopérer avec nous dans la lutte contre le terrorisme, tout comme dans de nombreux domaines. Nous sommes évidemment étonnés par le fait que des membres pragmatiques de l’UE, dont l’attachement à la politique réelle est connu depuis longtemps, ont suivi la minorité russophobe et exigent actuellement de placer la politique au-dessus de l’économie dans leurs relations avec Moscou. Nous avons été surpris de l’entendre de la part des autorités allemandes notamment. Nous nous sommes visiblement trompés sur la mentalité allemande malgré les siècles de relations que nous avons entretenues avec ce grand pays.
La politique est aujourd’hui placée au-dessus de l’économie, cela ne fait aucun doute. On a pu le constater lors de la dernière séance en date du Conseil européen, du 20 au 21 octobre, qui a montré que l’UE était toujours incapable d’élaborer une politique pragmatique et appropriée envers la Russie en tenant compte de ses propres intérêts. Si l’on consulte le texte final de l’examen des relations avec la Russie, la conclusion du sommet ne contient qu’une seule phrase: « Des débats sur la direction stratégique des relations avec la Russie ont eu lieu lors de la séance du Conseil européen ». Comme nous le savons parfaitement – la presse l’a également écrit – cette phrase cache des points de vue sérieux et parfois contradictoires sur les moyens de coopérer avec Moscou. Ces propos assez neutres dissimulent en réalité des divergences notoires.
Nous estimons que l’Union européenne doit mettre de l’ordre dans ses affaires. Nous avons ainsi été frappés par le fait que Donald Tusk, Président du Conseil européen, a osé – malgré son statut qui impose une approche de compromis – tirer des propos ouvertement antirusses lors d’un point presse au nom de tous les membres de l’UE, donner une estimation russophobe des débats. Il a même affirmé que l’objectif principal de la Russie était sans aucun doute « d’affaiblir l’Union européenne ». De telles assertions infondées sont tout sauf vraies. Nous avons plus d’une fois dit et prouvé dans les faits que nous voulions que l’UE soit unie et indépendante. Nous sommes convaincus que sans cela, le potentiel de ce projet d’importance colossale ne pourra pas se réaliser à 100%.
J’espère que cette position à courte vue de Donald Tusk ne sera plus soutenue car elle se répercute de manière négative sur l’ensemble de relations russo-européennes, notamment dans les domaines commercial et d’investissement. Je ne vais pas vous présenter de statistiques car vous les connaissez déjà. Mais je dirais qu’en détruisant nos liens traditionnels, Bruxelles renonce à l’idée qui repose à la base de notre dialogue depuis vingt ans: le rapprochement progressif entre deux économies liées et complémentaires pour améliorer leur compétitivité à l’aide de leur avantages naturels. Un facteur aggravant à long terme est la perte de confiance, qu’il sera très difficile de rétablir.
Il faut également évoquer les perspectives de coopération dans le domaine de l’énergie, qui a longtemps cimenté les relations russo-européennes. La Russie a toujours été un fournisseur fiable d’hydrocarbures et notre infrastructure gazière s’est développée pendant des décennies en tenant compte des besoins européens. Ces deux dernières années, la Commission européenne a plus d’une fois évoqué un retour au dialogue énergétique en plein format mais tous ces propos de Bruxelles sont restés lettre morte.
On bloque ou on freine des projets conjoints purement commerciaux et soutenus par des pays membres de l’UE et des entreprises énergétiques européennes. Je veux parler notamment de South Stream et Nord Stream 2. Par ailleurs, la plupart des experts sérieux affirment qu’il sera difficile pour les pays membres de l’UE de se passer de l’énergie russe compte tenu de leurs projets de « décarboniser » l’économie et de réduire la production de gaz sur le territoire européen.
La Russie et la Turquie ont signé un accord intergouvernemental pour la construction du gazoduc Turkish Stream prévoyant notamment l’installation d’un pipeline – pour le moment – vers l’Europe, notamment vers la Grèce. Suite à l’échec de South Stream, nous ne serons prêts à prolonger le gazoduc sur le territoire de l’UE qu’après avoir obtenu des garanties officielles, claires et écrites de la mise en œuvre de ce projet.
Tout le monde sait qu’une partie considérable de ces positions antirusses dans le secteur énergétique et dans d’autres domaines est façonnée à Washington pour ensuite être réalisée en Europe dans le cadre de la prétendue « solidarité transatlantique ». Cette politique est pratiquement gratuite pour les Américains: ils ne subissent aucune perte et comptent même forcer les Européens à remplacer le gaz russe par le gaz naturel liquéfié américain plus coûteux. C’est aux Européens de décider si la situation actuelle est conforme à leurs intérêts, notamment dans un contexte où le Vieux Continent tente de trouver sa place dans la politique internationale et fait face à de nombreux défis et menaces.
Nous constatons que tous les membres de l’UE ne sont pas satisfaits de la situation actuelle. Les milieux politiques, d’affaires et sociaux de nombreux pays affichent de manière de plus en plus active leur mécontentement quant à la politique de sanctions, tandis que l’opinion publique penche pour une normalisation des relations avec la Russie. Nous espérons que l’Union européenne sera en mesure de surmonter cette inertie de pensée et pourra définir elle-même ses priorités sans consulter des acteurs non-européens ni suivre la minorité russophobe en son sein.
Les tentatives de lancer une pression par les sanctions à cause d’une politique extérieure indépendante et de la protection de la justice dans les affaires internationales n’ont jamais donné aucun résultat et ne le feront pas à l’avenir. Cela avait déjà été évoqué par Alexandre Nevski. Je songe à sa phrase célèbre: « Dieu n’est pas dans la force mais dans la vérité ». Il y a deux ans, Washington a promis de « déchirer » l’économie russe mais n’y est pas arrivé et n’y parviendra jamais. Vous tous êtes sans doute au courant de l’état de l’économie russe et il n’est pas nécessaire de vous prouver que la Russie tient bon, qui s’est habituée aux restrictions illégales et à la conjoncture des marché internationaux des hydrocarbures.
Nous poursuivons le développement d’une coopération fructueuse avec tous ceux qui y ont intérêt. Cela concerne le commerce, l’économie et d’autres domaines d’activité. Nous sommes prêts à coopérer avec tout ceux qui veulent travailler avec nous sur la base d’une confiance mutuelle et d’un équilibre d’intérêts – c’est-à-dire la majorité des pays du monde.
Comme on le sait, le Président russe Vladimir Poutine a proposé de former un Grand partenariat eurasiatique réunissant un large éventail de pays membres de l’UEEA, de l’OCS et de l’ASEAN. L’intérêt pour notre proposition a été illustré par les résultats des sommets Russie-ASEAN et de l’OCS en mai et en juin 2016. La Russie soutient activement la formation de tels espaces économiques qui doivent être ouverts et se baser sur les principes de l’OMC au lieu de créer des risques de destruction du système global de commerce par la promotion de projets régionaux fermés tels que les partenariats transpacifique et transatlantique.
Je voudrais encore une fois souligner que même si nous mettons l’accent sur l’axe oriental, nous ne renonçons pas à l’idée de créer avec l’Union européenne un espace économique et humain uni de Lisbonne à Vladivostok. Au contraire, nous considérons justement cette idée comme très prometteuse pour assurer un développement durable à tout le continent européen, dont l’UE et la Russie sont parties intégrantes. Comme l’a dit la chancelière allemande Angela Merkel suite au sommet: « We share the same landmass ». Cela est un peu différent de ce que nous avons appelé par le passé « partenariat stratégique », mais il est au moins positif que la géographie nous force à penser dans un esprit de coopération plutôt que de divergences. Je suis convaincu que la complémentarité économique et l’unification progressive de nos marchés pourraient nous permettre de résoudre de manière plus efficace beaucoup de problèmes, notamment ceux relatifs à l’accélération de la croissance. Cela concerne la Russie au même titre que l’UE et pourrait garantir à tous une place digne dans l’ordre mondial multipolaire actuellement en cours de formation, grâce à l’amélioration de la compétitivité de la Russie et de l’UE dans ces processus.
Nous proposons depuis longtemps d’établir un dialogue entre l’UEEA et l’UE. Le Président russe Vladimir Poutine et le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ont évoqué des moyens de lancer cette coopération lors du dernier Forum économique de Saint-Pétersbourg. Nous avons transmis nos propositions en ce sens à la Commission européenne. Certains signes indiquent que les pays membres ne sont pas vraiment au courant de nos initiatives, mais nous avons demandé à la Commission de distribuer ces propositions parmi les pays membres de l’UE. Nous respectons les principes de fonctionnement de l’UE, y compris la délégation d’une partie considérable de compétences à Bruxelles, mais il est en tout cas injuste de cacher les propositions concrètes avancées par la Russie aux pays membres.
Nos efforts visant à établir un dialogue ne pourront certainement pas aboutir si nous ignorons les principes de base des rapports interétatiques fixés par la Charte de l’Onu, notamment l’égalité souveraine des États et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Il est bien sûr nécessaire de renoncer une fois pour toutes aux jeux à somme nulle et de lancer un travail concret visant à former dans la région euro-atlantique une architecture de sécurité égalitaire et indivisible: cela veut dire que personne ne tentera plus de renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Ce projet a depuis longtemps été signé par les pays membres de l’OSCE et du Conseil Russie-Otan, format aussi gelé pour le moment. Ce beau principe, qui a été énoncé de manière solennelle, n’a donc pas été réalisé en réalité bien que cette architecture de sécurité égalitaire et indivisible soit d’après nous le seul fondement possible de la formation d’un espace économique et humain commun.
J’espère que nous tous sommes du même avis à ce sujet. J’espère que nous favoriserons ensemble la promotion d’un agenda positif et orienté vers l’avenir, que nous présenterons au public les perspectives et les avantages de notre coopération constructive. Nous apprécions votre approche de la coopération avec les partenaires russes dans différents domaines de l’économie et du commerce. Nous soulignons l’importance du maintien de la coopération entre les milieux d’affaires. Nous faisons régulièrement face à des questions que nous tentons de résoudre à l’aide de mécanismes spéciaux créés auprès du gouvernement russe. Je suis convaincu que votre intérêt envers la politique internationale de la Russie est un facteur rassurant. Même si l’on pense que la politique doit être au-dessus de l’économie, l’économie reste la meilleure base pour une politique raisonnable et non idéologisée.
Merci de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Question: La compagnie Siemens a une longue et riche histoire en Russie. Nous sommes sur le marché russe depuis 160 ans et avons réalisé de nombreux projets en matière d’infrastructure et d’énergie dans votre pays. Malheureusement, les sanctions impactent négativement nos affaires en Russie aujourd’hui. Quelle est votre vision de la situation? Nous espérons que les sanctions seront levées. Êtes-vous optimiste? L’élection présidentielle américaine aura-t-elle un effet sur ce plan? Son résultat aura-t-il un impact positif sur l’évolution des relations russo-américaines?
Sergueï Lavrov: Je ne commenterai pas les perspectives de l’élection aux USA. De manière artificielle, la population américaine a déjà l’impression que la Russie s’ingère activement dans ce processus électoral. Les candidats n’ont manifestement rien à dire sur les sujets réellement importants pour les électeurs américains s’ils font de la Russie le principal sujet des débats: qui manipule l’autre, etc. Je trouve cela consternant: même compte tenu de la spécificité de la culture politique américaine, la campagne actuelle est unique et, d’après moi, ne fait pas honneur à nos collègues américains.
En ce qui concerne les sanctions, vous savez que nos partenaires occidentaux ont utilisé cet outil pour acter leur prétendue indignation suite aux événements en Crimée. Les Criméens, y compris le Conseil suprême légitimement élu selon les lois ukrainiennes de l’époque, ont refusé de reconnaître le coup d’État anticonstitutionnel commis le lendemain d’un accord sur le règlement de la crise signé par l’opposition avec le président Viktor Ianoukovitch. Ce document a été signé par les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne et de la Pologne, ainsi que par le chef de la Direction de l’Europe continentale du ministère français des Affaires étrangères. Ces signatures n’ont pas tenu une journée. Quand le coup d’État s’est produit certains ont commencé à dire de manière assez honteuse que le président Viktor Ianoukovitch avait fui Kiev. Premièrement, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch s’était simplement rendu à Kharkov. Quoi qu’on pense de lui et de sa politique, il était un chef d’État légitimement élu et reconnu par tous en tant que tel. Il n’avait pas fui le pays, il était à Kharkov. Deuxièmement, l’accord signé par l’opposition et Viktor Ianoukovitch et attesté par l’Allemagne, la France et la Pologne n’était pas du tout consacré au sort du président, hormis le fait que ce dernier s’engageait à organiser une élection présidentielle anticipée qu’il perdrait à coup sûr. L’accord était consacré au règlement politique. Le premier point portait sur la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale. Voilà le plus important. Quand le coup d’État a eu lieu, Arseni Iatseniouk s’est rendu sur le Maïdan pour annoncer solennellement et victorieusement la formation d’un « gouvernement de vainqueurs ». Sentez la différence: « unité nationale » ou « vainqueurs et vaincus ». Ces « vainqueurs » ont immédiatement adopté une loi, qui toutefois n’a pas été signée malgré son adoption, qui portait sérieusement atteinte à la langue russe en Ukraine. Plusieurs déclarations de ceux qui avaient commis le coup d’État indiquaient qu’ils avaient simplement l’intention de détruire par la force la place du russe et de la culture russe, d’éradiquer la culture russe de la société ukrainienne. Comme l’a dit le leader tristement célèbre du parti nationaliste radical Pravy sektor (Secteur droit) Dmitri Iaroch, qui s’est transformé en député du parlement ukrainien, « le Russe ne pensera jamais à la manière ukrainienne, il n’honorera jamais les héros ukrainiens, c’est pourquoi il faut chasser les Russes de Crimée ». J’explique cela dans le détail pour comprendre dans quel contexte les sanctions ont été décrétées. Le peuple criméen a pris son sort entre ses mains via, je le répète, le Conseil suprême légitime en tout point et élu conformément à la loi ukrainienne. Le Donbass a annoncé ne pas reconnaître le coup d’État et a demandé de le laisser en paix. Ce n’est pas le Donbass qui a attaqué le reste de l’Ukraine. Quand la crise du Maïdan a atteint son point culminant fin janvier-début février, l’Otan et l’UE ont fait plusieurs déclarations appelant Viktor Ianoukovitch à ne pas utiliser l’armée contre son propre peuple. Mais quand, après le coup d’État, nous avons demandé aux pays de l’Otan de réitérer cet appel envers la nouvelle administration arrivée au pouvoir par la force, on ne les entendait plus dire qu’il ne fallait pas utiliser l’armée contre son propre peuple. Quand l' »opération antiterroriste » a commencé contre le peuple ukrainien qui avait refusé de reconnaître les résultats du coup d’État, Bruxelles a seulement appelé les nouvelles autorités à utiliser la force contre les manifestants de manière proportionnée. Il existe tout de même une différence entre « ne pas utiliser » et « utiliser de manière proportionnée ».
Toujours au sujet de l’attitude de certains pays vis-à-vis des changements de régime par coup d’État, téléportons-nous d’Ukraine vers le Yémen où un putsch s’est également produit il y a deux ans. Le président Abd Rabbo Mansour Hadi a dû fuir en Arabie saoudite où il se trouve encore actuellement. Depuis plus de deux ans, la communauté internationale exige le retour du président Hadi au Yémen et a confirmé sa légitimité. Quand nous demandons aux hommes politiques européens qui adoptent cette position pourquoi ils n’ont pas fait preuve d’autant d’intransigeance en Ukraine pour forcer l’opposition à remplir ce qu’elle avait signé avec la participation de la France, de l’Allemagne et de la Pologne (l’élection anticipée y aurait eu lieu de toute façon, et aurait très certainement mené à la défaite de Viktor Ianoukovitch), ils ne nous répondent pas. Cette attitude laisse à penser que pour une certaine raison on respecte davantage le système politique yéménite que son homologue ukrainien, et qu’en Ukraine on peut continuer de mener des expériences. Le pays en souffre depuis plus d’une décennie.
J’espère que tout le monde se rappelle quand et pourquoi ces sanctions ont été décrétées. Nous ne lançons jamais le débat sur leur durée car aujourd’hui nous avons compris quelles décisions pouvaient être prises dans les pays occidentaux, à Washington et en Europe. Notre priorité est de parvenir à une situation où nous serons absolument indépendants et ne dépendrons pas de la grâce de nos partenaires dans les domaines cruciaux pour l’économie, l’État et le secteur social russes. Avec une certaine difficulté certes, mais nous y arrivons tout de même.
Le Président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre russe Dmitri Medvedev en ont parlé en détail à plusieurs reprises. Ce n’est pas à moi qu’il faut demander quelle sera la durée de ces sanctions. Plus rien ne me surprend car après les mesures punitives liées à l’Ukraine, l’UE, si j’ai bien compris, a longtemps cherché à savoir ce qu’elle devait faire après la signature des Accords de Minsk. Le fait est que les sanctions ont été adoptées en plusieurs vagues, dont une (en septembre 2014) a pratiquement coïncidé avec la signature des premiers Accords de Minsk début septembre. Je sais qu’ensuite certains chefs d’État et de gouvernement ont rencontré des problèmes car il semblait avoir été convenu que ces derniers reviennent au débat sur une éventuelle adoption de sanctions en septembre 2014, une semaine après la signature ou non des Accords de Minsk. Ces sanctions ont été adoptées par la bureaucratie de Bruxelles, ce qui a provoqué des réclamations non publiques mais relativement dures de la part de certains membres de l’UE. Même chose pour les sanctions suivantes, décrétées au moment où étaient signés les Accords de Minsk de février 2015. Puis a été inventée une formulation selon laquelle les sanctions seraient levées dès la mise en œuvre des Accords de Minsk. Il s’avère que l’UE aide le Président ukrainien Petro Porochenko qui ne veut pas – ou ne peut pas – remplir ses engagements. Aujourd’hui on lui fournit de facto un outil dont il a cruellement besoin: plus il sabotera l’accomplissement de ses engagements dans le cadre des Accords de Minsk, plus ils resteront sur le papier sans se traduire en actes, plus longtemps seront maintenues les sanctions antirusses qu’il présente à ses électeurs comme une preuve d’efficacité de sa politique. Littéralement. Tous ces aspects sont les maillons d’une même chaîne, je n’en doute pas une seconde.
Ma réponse est longue, mais c’est important pour comprendre la politique menée par les gouvernements occidentaux. Nos partenaires américains, mon homologue John Kerry y compris, nous ont dit plusieurs fois que toutes les relations russo-américaines se normaliseraient en un clin d’œil après le règlement de la crise en Ukraine.
Je ne suis pas naïf et je ne pense pas que mes interlocuteurs le soient non plus. Par conséquent, quelque chose se cache derrière cette mise en scène. Je leur demandais déjà à l’époque s’ils ne voudraient pas ensuite décréter des sanctions en lien avec la Syrie. Ils disaient que non, qu’ils n’agiraient ainsi que par rapport à l’Ukraine. Aujourd’hui la Syrie est mentionnée partout comme un nouveau sujet auquel peuvent s’accrocher les russophobes. En spéculant sur les souffrances des gens et sur les aspects humanitaires de la crise syrienne, certains tentent d’embarquer tous les autres, non russophobes, dans une nouvelle campagne de sanctions contre la Russie. C’est indécent, incorrect et cynique. J’espère que tout le monde en est conscient. Je ne peux pas essayer de deviner dans quelle mesure la compréhension de tout cela sera prise en compte dans l’adoption de décisions concrètes, dans quelle mesure cette compréhension peut briser la commande parfaitement flagrante dans certaines capitales de renforcer la politique antirusse. C’est très difficile à prévoir, notamment quand on voit ce qui s’est produit ces dernières années. Nous n’idéologiserons jamais nos approches, nous serons toujours ouverts à une conversation honnête et mutuellement bénéfique pour surmonter les problèmes dont nous ne sommes pas responsables. Mais à l’avenir, nous n’agirons plus selon le principe business as usual mais seulement quand nous aurons compris que nos partenaires sont réellement prêts à travailler honnêtement.
Même dans la situation actuelle, nous interagissons et travaillons avec un certain succès avec ceux qui ont du courage et comprennent le véritable intérêt de coopérer avec la Russie. Je suis certains qu’au final tout le superficiel sera balayé, que tout ce qui est lancé dans le domaine de la coopération économique et vise à nuire à ce secteur au profit de certains résultats géopolitiques et politiques en fonction des cycles électoraux sera lavé par la vague des intérêts économiques.
Question: L’unification des normes techniques entre l’Union européenne et l’Union économique eurasiatique va-t-elle se réaliser? Je continue de croire que tôt ou tard l’espace économique commun sera une réalité.
Sergueï Lavrov: Sur le long terme, pour coopérer, nous devons unifier les normes et les règlements. Nous y sommes prêts. Cela coûte cher et demandera donc du temps. Le Président russe Vladimir Poutine a évoqué ce sujet plusieurs fois avec nos partenaires européens. C’est, entre autres, la raison pour laquelle nos négociations concernant notre adhésion à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) ont duré aussi longtemps – environ 18 ans. Nous avons gagné du temps pour renforcer notre système bancaire, notre secteur d’assurance, pour protéger pendant une certaine période l’agriculture, nous avons convenu différentes périodes de protection du marché intérieur. Nous avions besoin de ce délai pour moderniser notre système de réglementation technique notamment. Nous avons toujours souhaité le faire compte tenu et même en grande partie en s’appuyant sur les normes existantes de l’UE.
Si nous entamions la construction d’un espace économique commun, nous reviendrions à cette question. Je ne suis pas un spécialiste en la matière mais du point de vue du franchissement politique de cette tâche il ne sera probablement pas possible de dire simplement que nous nous sommes querellés et que désormais nous faisons la paix pour passer à des normes et à des règles communes. Il faudra mener une analyse politique et comprendre dans quelle mesure nous et vous, l’UE, pourrons immédiatement entamer des projets à long terme qui poseront les bases de normes et de règlements à long terme, dans quelle mesure tout cela sera protégé contre d’éventuels éclats d’idéologisation et de politisation de la coopération économique.
Je le répète, je ne suis pas un expert en la matière mais ce thème doit forcément être soulevé avant de pouvoir commencer à travailler à la construction d’un espace économique commun. Il nous faudra déterminer une politique et nos engagements réciproques dans ce domaine.
Question: Ma question concerne le financement. C’est une question nationale mais elle concerne également les relations entre la Russie, le Brésil, l’Inde et la Chine et le futur succès du système bancaire qui permettrait au pays de diversifier ses ressources et d’investir dans les projets comme la construction de logements pour les personnes à bas revenus ainsi que le développement de l’éducation et de la santé. Une nouvelle Banque de développement unit les pays des Brics à cet effet. Quelles sont les possibilités en ce sens?
Sergueï Lavrov: Si vous vivez en Russie, vous suivez certainement les débats autour de la politique de la Banque centrale. Le refinancement est évoqué par les experts avec des positions diamétralement opposées quant à savoir s’il faut favoriser la stabilité macroéconomique ou l’accélération de la croissance. Je ne suis pas prêt à donner de conseils dans ce domaine. Je ne m’estime pas compétent en la matière. Mais vous voyez probablement que cette question fait partie des priorités des discussions au sein du gouvernement, entre le gouvernement et le Kremlin, entre eux et la Banque centrale. Je sais que nous devons régler les problèmes de stabilité financière et macroéconomique dans des conditions très complexes. Mais je vous assure que le Président et le gouvernement russes ne sous-estiment pas les démarches nécessaires à entreprendre pour assurer la croissance économique. J’ignore précisément comment ce sera fait: c’est la prérogative de ceux qui travaillent dans ce domaine.
Nous ferons tout pour assurer un contexte favorable. J’espère que vous, ici présents, y contribuerez également. Vous avez des canaux de communication directe avec le gouvernement russe. Je suis certain que tous les souhaits et recommandations formulés sur la base de votre expérience personnelle en Russie, de votre vision des perspectives seront étudiés très scrupuleusement.
Question: L’un des objectifs de l’Association of European Businesses est de veiller à garantir de bonnes conditions au commerce et aux investissements en Russie, notamment pour la mise en œuvre des accords avec l’OMC signés par la Russie il y a quelques années. En dehors du format des sanctions, certains ministères russes, par exemple de l’Agriculture, ont pris des décisions allant à l’encontre des accords signés par la Russie avec l’Organisation mondiale du commerce – l’interdiction du porc et la taxe sur les produits vinicoles par exemple. Comment, en tant que Ministre des Affaires étrangères, pourriez-vous nous aider dans la communication avec vos collègues représentant les ministères russes pour leur demander de respecter tout de même les accords signés par la Russie?
Sergueï Lavrov: Un autre point de vue admet que nous n’enfreignons aucun accord et que c’est l’UE qui l’a fait. Je ne vais pas entrer dans les détails. Sur le plan politique, nous souhaitons que tous ces litiges soient réglés à l’amiable. Je sais que mes collègues du Ministère du Développement économique adoptent la même position. Ils préfèrent s’entendre directement, à l’amiable, sans arbitrage au lieu de saisir l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. D’après ce que j’ai entendu, la même approche prédomine à la Commission européenne. Nous l’encouragerons par tous les moyens.
Il existe également une solution « purement légaliste »: saisir l’ORD et s’enliser dans les revendications mutuelles pour une longue période. Les compagnies, les ministres et les commissaires se connaissent depuis longtemps, tout le monde sait parfaitement quel problème doit être réglé. Comme on dit « Dieu lui-même a voulu » qu’on s’entende directement.
Question: Ma question concerne la substitution aux importations en Russie. On a le sentiment qu’elle est liée d’une certaine manière aux sanctions. Est-ce vraiment le cas? Quelle est l’approche russe de la substitution aux importations?
Sergueï Lavrov: Ce n’est pas notre choix. Nous ne voulions pas et ne voulons pas tomber dans l’isolement. Mais dans une situation où des sanctions ont été décrétées contre des banques russes qui finançaient notre agriculture, ne rien faire aurait signifié laisser nos producteurs agricoles dans une position concurrentielle moins avantageuse par rapport aux exportations européennes de produits alimentaires et agricoles qui, comme vous le savez, bénéficient d’immenses subventions et de crédits préférentiels qui dépassent largement les privilèges « négociés » lors de l’adhésion à l’OMC. Voilà pour le secteur agroalimentaire.
Quant aux domaines dont dépend directement notre capacité à développer notre économie, notre infrastructure, à recevoir des technologies modernes et assurer notre capacité de défense, personne ne posera la question de savoir pourquoi nous avons recouru à la substitution aux importations face à une attaque aussi massive de certaines grandes capitales occidentales et leurs déclarations selon lesquelles c’est « sérieux et pour longtemps ». Quand nous entendons, comme je l’ai déjà dit aujourd’hui, que notre principal objectif serait d’affaiblir l’UE et qu’il faudrait donc mobiliser un front antirusse commun, comment pouvons-nous espérer, dans les domaines cruciaux relatifs à la sécurité du pays, qu’on nous vende les technologies et les produits qui nous intéressent? Nous ferons tout nous-mêmes. Nous sommes déjà devenus pratiquement autonomes dans plusieurs domaines.
Je le répète, cela ne signifie pas que nous avons fermé la porte et qu’on ne laissera plus personne entrer sur notre marché. Les exemples positifs sont nombreux, même dans cette situation. Ceux qui souhaitent réellement commercer avec nous normalement peuvent toujours s’entendre sur une coopération n’enfreignant pas nos contre-mesures.
Question: Ces dernières années, nous voyons que la position officielle des ministres des Affaires étrangères a changé. Ils ressemblent plus à des « conseillers de vente » dans tous les pays et s’occupent bien plus d’économie que de politique. Cela fait sept ans que vous travaillez avec nous. Votre position officielle a-t-elle changé ou est-elle restée la même: plus de politique étrangère et moins d’économie? Ou, comme dans d’autres pays, êtes-vous devenu le « directeur des ventes » de la Russie, qui est souvent même le « directeur général de la compagnie »? Une telle évolution de carrière vous intéresse-t-elle?
Sergueï Lavrov: Nous avons une hiérarchie quelque peu différente. Le Ministère des Affaires étrangères n’a pas de « conseillers de vente » mais il a un Directeur général qui s’occupe des aspects administratifs, économiques et financiers de notre travail.
En ce qui concerne mon domaine d’activité et ce que je dois faire dans l’ensemble, je ne veux pas paraître prétentieux mais je suis assez souvent diffusé sur différentes chaîne de télévision. J’accorde probablement 2% de temps aux questions économiques: tout le reste est consacré aux crises politiques qui s’élargissent et dont on ne voit malheureusement pas la fin. La politique du diktat s’avère très contagieuse. L’UE suit le sillage des Américains, qui ne savent plus appliquer des méthodes diplomatiques et qui décrètent des sanctions dès que quelque chose ne suit pas leurs plans: dès que l’Union européenne doit élaborer de manière scrupuleuse et équilibrée une approche d’un problème, dès qu’elle sait que ses approches ne peuvent pas être acceptées à 100% elle commence également à brandir la menace des sanctions. En travaillant sur le règlement des crises en Ukraine et en Syrie, nous ne pouvons pas nous défaire de l’impression que dans les deux cas on applique la même logique. Un coup d’État s’est produit en Ukraine: la Russie est pointée du doigt et c’est pourquoi les Accords de Minsk qui doivent être remplis par Kiev sont transformés en critère pour lever les sanctions contre la Russie. Pour la Syrie. Avec les Américains, sur une base solide, nous avons convenu des détails et avons finalisé notre approche commune après l’entretien du Président russe Vladimir Poutine avec le Président américain Barack Obama en Chine qui se sont entendus sur un aspect primordial de ces accords. Les accords ont été adoptés mais les Américains en sont sortis car ils nous ont accusés à nouveau de la continuation des opérations. Mais quand on dit que, depuis huit mois, ils ne peuvent pas tenir leur engagement de faire partir les groupes armés modérés des territoires occupés par le Front al-Nosra, ils haussent les épaules en disant qu’ils n’ont pas réussi à le faire.
Dans le cas de l’Ukraine: Kiev ne remplit pas ces engagements mais les sanctions sont décrétées contre nous. Dans le cas de la Syrie: les Américains ne tiennent pas leur promesse de séparer l’opposition des terroristes et nous menacent de sanctions. Voilà toute la logique. Dans cette situation, nous cherchons évidemment à faire appliquer la justice, à ce que tous les accords soient remplis. C’est une contribution à la création de conditions extérieures favorables pour le développement économique de notre pays. Quand nous briserons cette logique absolument inacceptable de l’approche des relations avec nous, tous les obstacles seront probablement levés pour une coopération économique normale.
Bien sûr, nous avons un Concept de politique étrangère dont la nouvelle mouture est sur le point d’être terminée, mais ses axes clés restent inchangés. Notre principale tâche consiste à assurer les conditions extérieures les plus favorables pour le développement économique du pays, à accroître la prospérité de notre population et à garantir les capacités de nos citoyens et de nos entreprises de travailler librement et sans aucune discrimination en dehors de notre pays, à l’international. Cela concerne les projets économiques et d’investissement mais aussi les simples voyages touristiques de nos citoyens, entre autres.
Question: C’est déjà la septième fois que j’ai l’honneur de vous rencontrer, vous qui êtes l’une des personnes les plus sages de la scène politique internationale. Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse du dossier ukrainien – j’ai aussi beaucoup étudié cette question.
Comme vous l’avez déjà dit plusieurs fois, l’une des questions problématiques du conflit syrien est l’incapacité des Américains de faire la distinction entre le Front al-Nosra et les forces anti-gouvernementales « modérées », même s’ils ont dépensé 500 millions de dollars pour la formation et l’entraînement des forces anti-gouvernementales pour lutter contre l’EI. Au final, ils ont recruté une dizaine de personnes tout au plus. Pensez-vous qu’ils aient la capacité et la volonté de dissocier le Front al-Nosra des rebelles anti-gouvernementaux?
Sergueï Lavrov: Je me rappelle les statistiques que vous venez d’évoquer concernant les résultats atteints après cet investissement de 500 millions de dollars américains. Ce programme est toujours en cours, nous le savons bien. Nous abordons régulièrement ce sujet avec le secrétaire d’État américain John Kerry. Hier encore, je lui ai demandé où ils en étaient avec la différentiation entre les « modérés » et les terroristes. Je ne veux pas soupçonner le secrétaire d’État américain John Kerry, ni le gouvernement américain dans son ensemble, de retarder délibérément ce processus de différentiation. Mais ces atermoiements ne facilitent pas les choses.
Quand nous avons commencé à aider le gouvernement syrien à Alep, nous avons mis en place des couloirs humanitaires pour laisser sortir tous les civils qui le désiraient. Deux couloirs ont été également créés pour les rebelles. Les Américains nous ont alors beaucoup critiqué en disant que cela ressemblait à un nettoyage ethnique et en demandant où ces rebelles allaient partir car plusieurs avaient leurs familles, leurs maisons et tous leurs biens à Alep. Hier au téléphone, j’ai demandé au secrétaire d’État américain John Kerry ce qu’il en était de Mossoul, où il faut aussi libérer des terroristes, tout comme à Alep, et où l’on prépare une opération à ces fins? Et voilà que la coalition américaine s’adresse aux habitants de Mossoul avec le même appel que nous avons fait à Alep: on laisse un couloir pour laisser passer les сivils. Tout comme à Alep le couloir a été créé pour les rebelles désirant partir. Sauf qu’ils ne sont pas des rebelles mais de véritables terroristes de l’État islamique. J’ai demandé au secrétaire d’État américain John Kerry ce qu’il pensait du fait qu’ils appelaient les civils à quitter leurs foyers et leurs maisons, et il m’a répondu que c’était autre chose et que cela n’avait rien à voir. Je le dis sérieusement. Alors, j’ai demandé pourquoi. Il m’a dit qu’à Mossoul, ils prévoyaient tout à l’avance tandis qu’à Alep rien n’avait été organisé ni planifié, ce qui avait fait souffrir la population civile. Cependant, selon les estimations de l’Onu, si l’opération à Mossoul se déroulait comme prévu, le nombre de réfugiés qui devraient quitter leur foyer et leur maison serait compris dans une fourchette allant de plusieurs centaines de milliers à près d’un million de personnes.
Nous devons tous définir nos priorités. Si nous voulons combattre le terrorisme et y mettre fin, au moins dans sa forme actuelle qui est dangereuse, nous devons envisager des mesures globales visant à protéger le plus efficacement la population civile sans vouloir gagner quelque chose de plus de manière unilatérale. Par exemple, à Mossoul, il faut remporter la victoire en deux ou trois semaines, car il y aura certains développements, tandis qu’à Alep, il faut en finir tout de suite car la population civile souffre et meurt. Mossoul souffre aussi, mais nous n’allons pas en parler.
Il faut arrêter d’être naïf mais je veux toujours croire que les gens vont coopérer avec nous de façon honnête, même si ce n’est pas toujours le cas.
Question: Il me semble que la campagne anti-terroriste doit réconcilier différents points de vue et unir l’UE. En revenant justement sur le dossier européen, je voudrais savoir comment vous voyez le rôle de la Russie dans les relations entre l’UE et la Russie dans vingt ans.
Autre question. Je suis d’accord sur le fait qu’on ne peut pas comparer les politiciens à des vendeurs mais en même temps, étant employé par l’entreprise Porsche en Russie, j’espère que les vendeurs de mon entreprise veilleront à ce que les politiciens protègent cette marque nationale que l’on associe forcément avec eux – tout comme vous le faites. Demain, nous allons rencontrer le gouverneur de la région de l’Altaï. Je sais que vous êtes aussi en contact avec lui et que vous vous rendez là-bas de temps en temps. Comment conciliez-vous toutes vos fonctions, tout en laissant du temps pour vous occuper de vos questions personnelles?
Sergueï Lavrov: Si je vous raconte tout, je pourrais avoir des ennuis au travail.
En ce qui concerne les relations entre la Russie et l’UE dans 20 ans, comme dans l’utopie La Cité du Soleil, je crois que rêver ne relève pas de l’utopie. Plus que de rêver, il faut s’engager activement pour créer dans 20 ans un espace économique et humanitaire commun qui sera fondé sur un système de sécurité égale et indivisible, quand personne ne cherchera plus à tricher, à créer des zones d’influence ni à inciter ses voisins communs à des alliances tactiques incluant les uns et excluant les autres. Aujourd’hui tout cela existe, malheureusement. Il y a donc beaucoup de choses à éradiquer, beaucoup de « démons à chasser » dans chaque pays. Mais je voudrais quand même plaider en faveur de la création de cet espace économique et humanitaire commun lors des vingt prochaines années. Sans aucun doute, cela augmenterait de manière significative la compétitivité de la CEEA et de l’UE, la compétitivité de nous tous dans une situation où le monde devient de plus en plus concurrentiel dans beaucoup de domaines, quand de nouveaux pôles apparaissent qui vont définir l’avenir de l’économie mondiale, du commerce et des investissements.
Question: Que pensez-vous des variations de l’indice de genre en Europe et dans le monde en général? Certains auteurs estiment que, contrairement aux époques précédentes dominées par le rationalisme masculin, aujourd’hui nous avons affaire à des valeurs plus émotionnelles, plus féminines et sensuelles.
Sergueï Lavrov: Par « émotionnelles » vous voulez dire plus dures que chez les hommes, ou quoi?
Question: Plus émotionnelles.
Sergueï Lavrov: Oui, mais les émotions peuvent être négatives ou positives. Pour l’instant, nous sommes assez bienveillants et positifs à l’égard du fait que les représentants des deux sexes occupent des postes importants. Dans ce sens, l’égalité des sexes se fraie activement un chemin. En Russie, nous soutenons tous ceux qui sont doués et ont du talent, homme ou femme. Au sein de notre ministère, nous essayons aussi de promouvoir les femmes à des postes à responsabilité. Maria Zakharova est présente ici. Beaucoup d’entre vous ont déjà probablement fait connaissance avec elle. Vous savez qu’elle travaille très efficacement et réagit rapidement à tout ce qui exige une réaction de notre part. Je ne veux pas m’arrêter sur des exemples concrets, mais je souligne encore une fois que c’est un processus tout à fait normal. Il ne faut pas tomber dans l’extrême inverse et faire de l’appartenance au sexe féminin un critère décisif. Je crois que les femmes ne doivent pas être désavantagées, mais il ne faut pas leur faire de faveurs non plus. Les femmes sont aussi intelligentes, énergiques et efficaces que les hommes. Je crois qu’il suffit de choisir en se basant sur les qualités professionnelles et ce choix sera juste.
Question: L’immigration est l’un des problèmes majeurs de l’Europe. L’Italie en souffre particulièrement. Pourquoi la Russie n’offre-t-elle pas son assistance pour résoudre ce problème? Une telle initiative pourrait être une démarche positive vers la normalisation des relations avec l’Europe.
Sergueï Lavrov: Le droit international humanitaire exige que les personnes qui tombent dans la catégorie des « réfugiés », qui fuient les catastrophes politiques ou naturelles dans leur pays d’origine et qui ne doivent pas être confondues avec les migrants économiques, soient admises dans les pays où ils veulent rester ou passer un certain temps. On ne peut les forcer à aller nulle part. J’ai vu les statistiques sur la proportion de migrants par rapport au nombre de citoyens de l’UE. Selon ces données, il n’y a qu’un migrant pour plusieurs centaines d’Européens. Si l’on regarde les mêmes indicateurs pour la Jordanie, le Liban ou la Turquie, ce chiffre augmente jusqu’à vingt ou trente. Vous voyez bien que la charge est quelque peu différente.
Nous avons eu des cas isolés quand des réfugiés du Moyen-Orient traversaient le territoire de notre pays pour aller en Norvège (c’étaient plutôt des migrants car ils avaient de l’argent pour acheter des vélos d’abord, puis des voitures). Pour des raisons quelconques, ils ont jugé pratique de passer par le territoire russe. Nous n’avons chassé ni expulsé personne. En outre, la Russie a accueilli plus d’un million d’Ukrainiens du Donbass. Un tiers d’entre eux a demandé un statut de réfugié permanent en espérant obtenir par la suite un permis de séjour et la citoyenneté russe, les autres ont été reconnus comme réfugiés selon les critères du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. La région de Rostov a dû porter le fardeau le plus lourd. Ensuite, presque toutes les régions de la Russie ont offert leur aide dans la limite de leurs possibilités. La plupart des réfugiés du Donbass sont partis là où les conditions leur semblaient acceptables.
Nous portons cette charge nous aussi, nous avons également dû accueillir des gens en détresse qui se sont trouvés sous le feu de la guerre et sont devenus la « cible » de la dite opération anti-terroriste lancée contre ceux qui avaient refusé d’accepter le coup d’État en Ukraine. Nous croyons que les pays qui prennent des décisions entraînant par la suite des flux de migrants et de réfugiés doivent être conscients de leur responsabilité. Là, je ne parle pas de la façon dont vous devez partager les réfugiés entre vous au sein de l’UE ou si vous devez adopter des quotas et quelles en seront les conséquences. Encore une fois, le droit international exige d’accueillir les réfugiés dans les pays où ils veulent aller. Les migrants économiques ne font pas partie de cette catégorie et c’est à chaque gouvernement concerné ou, si vous voulez, à l’Union européenne dans son ensemble, qu’il convient de mettre en place des politiques spécifiques à l’égard de cette deuxième catégorie. Ce sont deux choses différentes. Les migrants qui viennent avec de grosses sommes en liquide et possèdent tous les attributs des gens aisés sont le problème du pays où ils arrivent.
N’oublions pas que les premières vagues de réfugiés ont commencé avec l’opération en Libye, où des armes étaient livrées en violation de la résolution du Conseil de sécurité de l’Onu ayant imposé un embargo. Au moins un pays membre de l’UE en parlait ouvertement et sans scrupules, tout en exigeant de renverser le régime. Puis le Conseil de sécurité de l’Onu a adopté une deuxième résolution établissant une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye pour empêcher les vols de l’aviation de Mouammar Kadhafi. Cette résolution a été utilisée pour assurer le renversement du régime à l’aide des bombardements. Au final, la Libye est devenue un foyer de terrorisme et un territoire de transit pour les premières vagues de migrants se dirigeant, en premier lieu, en Italie. Vous savez tous très bien que ce business a été lancé sur le territoire libyen. Ce n’est que plus tard qu’une nouvelle vague en provenance d’autres pays de l’Afrique sub-saharienne est venue utiliser le même couloir.
Début 2012, Laurent Fabius qui était à l’époque le ministre français des Affaires étrangères, m’a appelé pour dire que la situation au Mali était très difficile. Un contingent français y était déployé pour contenir la poussée des terroristes venant du Nord du Mali. Il nous a demandé de faire preuve de compréhension au sein du Conseil de sécurité de l’Onu pour que celui-ci accorde toute l’attention nécessaire à ce dossier. Je lui ai répondu aussitôt que nous ferions bien sûr preuve de compréhension car il y avait vraiment une menace terroriste au Mali. Mais j’ai demandé à mon ami Laurent Fabius si les Français se rendaient compte que ces terroristes qui se dirigeaient vers Bamako étaient armés avec les mêmes armes qui leur avaient été fournies par la France en Libye pour renverser Mouammar Kadhafi, dans l’espoir qu’on pourrait ensuite se mettre d’accord avec eux. Il m’a dit qu’ils en étaient bien conscients mais que « c’était la vie ». Il est dommage que l’expression « c’est la vie » se traduise en politique. J’espère vraiment que de telles erreurs ne se reproduiront plus.
Question: Comme nous vivons à Moscou, nous avons la chance d’entendre régulièrement votre opinion. C’est vraiment précieux parce que vous savez, les médias occidentaux parlent déjà d’une troisième guerre mondiale ou de la possibilité d’une nouvelle Guerre froide. À votre avis, est-ce que la situation actuelle se développe vraiment dans cette direction?
Sergueï Lavrov: Vous savez, beaucoup de gens disent que la troisième guerre mondiale, sous la forme d’une guerre idéologique, mais pas seulement, est déjà en cours, et qu’elle risque de se transformer en guerre « chaude » ou bien dans une deuxième édition de la Guerre froide. Mais je crois que la situation n’est quand même pas comparable. Aujourd’hui, nous n’avons pas de différends idéologiques. La démocratie et le marché libre sont acceptés par les deux parties. Cependant, il ne peut pas y avoir de démocratie uniforme applicable à tous. Il ne peut y avoir aucune justification à la dite « démocratisation » à tout prix: la destruction des sociétés, le mépris de leurs traditions, de leur culture, leurs valeurs. Nous avons vu ce que cela a donné en Afghanistan, en Irak et en Libye. Aujourd’hui nous essayons de prévenir la répétition du même scénario en Syrie.
Le marché libre est aussi un concept assez large qui regroupe plus qu’un seul, même beaucoup plus d’une douzaine de différents systèmes économiques. Singapour, les États-Unis… on peut donner bien d’autres exemples pour montrer qu’il ne peut pas y avoir de standard uniforme pour tous. Tout comme le régime politique, la forme étatique ne doit pas être sacrifiée au nom de la volonté de quelqu’un de pouvoir annoncer à ses électeurs, à une date précise, que la démocratie a été instaurée en Irak, comme cela a été fait en mai 2003. Cet événement a été présenté comme une « victoire du monde démocratique ».
Nous n’avons pas de différends idéologiques qui rendraient nécessaire une nouvelle guerre froide. Cependant, pendant la Guerre froide il y avait des règles, des règles officieuses qui n’étaient inscrites nulle part mais que les parties respectaient quand même tout en essayant d’éviter des démarches qui auraient pu être perçues par l’autre comme une « surprise » dangereuse.
Aujourd’hui, la situation est différente parce que les règles sont sérieusement remises en question. Après la fin de la Guerre froide, de nouvelles règles avaient été établies au moment de la création du Conseil Otan-Russie. Il s’agissait de la même sécurité égale et indivisible, quand personne ne cherche plus à renforcer sa sécurité propre au détriment de celle des autres. Cet engagement politique a été accepté et proclamé au plus haut niveau. Ensuite, c’est l’histoire de la défense antimissile qui a commencé quand nos collègues américains sont sortis de l’accord correspondant. Le président russe Vladimir Poutine a évoqué plusieurs fois le moment où le président américain George W. Bush, à la question de savoir pourquoi ils le faisaient, avait répondu que c’était à cause de la lutte des USA contre l’Iran. On nous disait que si cela affectait les intérêts de la Russie, elle était libre de prendre des mesures de rétorsion et de faire tout ce qu’elle jugeait nécessaire pour assurer sa sécurité. C’est littéralement ce qui a été dit.
Ensuite, il y a eu des tentatives de se mettre d’accord sur la défense antimissile. On nous a alors mis devant le fait accompli: soit nous acceptions la façon dont ils voyaient les choses, soit ils ne nous parleraient plus. Puis on nous a promis la présence d’officiers russes 24 heures sur 24 sur les sites concernés en Pologne et en République tchèque. Condoleezza Rice et Robert Gates l’avaient proposé lors de leurs visites en Russie. Nous avons noté que ce n’était pas vraiment un travail conjoint – mais que c’était déjà mieux que rien. Au moins, nous aurions été capables de voir ce qui se passait et de veiller à ce que ces systèmes antimissile ne soient pas utilisés contre les intérêts de la Russie. Même cette proposition a finalement été retirée. Aucune présence jour et nuit n’était plus prévue. Ils nous ont annoncé qu’ils examineraient nos demandes de visite au cas par cas. C’est là que nous avons compris que le slogan politique proclamé au plus haut niveau sur la sécurité indivisible ne marchait pas. Alors, pour que ce slogan, cet engagement politique proclamé par les chefs d’État ne reste pas lettre morte, nous avons proposé de lui donner un caractère juridiquement contraignant, de le codifier dans le traité euro-atlantique (le Traité sur la sécurité européenne). On ne nous a même pas écoutés en disant que « des garanties juridiques de sécurité ne seront fournies qu’à ceux qui se joindront à l’Otan », ce qui contredisait clairement l’engagement d’assurer une sécurité égale et indivisible. À ce moment-là, il était clair que la politique d’élargissement de l’Otan était leur objectif idéologique et géopolitique et que leur but était d’endiguer la Russie, de l’isoler non seulement de ses voisins mais également des pays voulant simplement coopérer avec elle. La règle qui avait été formulée après la Guerre froide n’a donc pas marché. Aujourd’hui, celles qui apparaissent ne fonctionnent pas non plus.
En ce qui concerne les accords de Minsk, il semblait que nous avions trouvé un moyen de surmonter la crise ukrainienne mais les obligations qu’ils contiennent ne sont pas remplies. Tant que les autorités ukrainiennes jouiront de la complaisance absolue de la part de nos collègues américains et de certains pays européens, elles ne voudront rien faire. On nous dit que la mise en œuvre de ces accords est difficile car cela risque de provoquer des soulèvements populaires. Même chose en Syrie. Nous nous sommes mis d’accord avec les États-Unis et maintenant ils insistent pour dire qu’il faut faire autrement. À Alep c’est une chose, à Mossoul c’en est une autre.
La situation est beaucoup plus fluide qu’à l’époque de la Guerre froide. Il n’y aucune raison idéologique de nous disputer mais l’acharnement belliqueux de certains de nos partenaires, souvent exprimé publiquement, est beaucoup plus significatif qu’à cette époque. Je suis sûr que les historiens trouveront un jour un terme approprié pour décrire l’époque actuelle. J’espère que ce sera prochainement et que cette phase ne va pas durer longtemps, bien que nos espoirs ne se réalisent pas toujours.
Question: Vous avez dit qu’il y avait des problèmes avec le Nord Stream-2, ledit Turkish Stream, suite à la politisation de ce dossier. Nous recevons du gaz de l’URSS et de la Russie depuis déjà 45 ans et pendant toute cette période, il n’y a eu que 13 jours d’interruption. C’est un signe de fiabilité qui montre que nous avons choisi et nous avons toujours le bon partenaire.
L’accord sur le Nord Stream-2 a été signé lors du Forum économique oriental à Vladivostok par cinq entreprises multinationales, y compris Gazprom. Il est remarquable que cet accord ait des bases purement commerciales. Cependant, nos amis membres de l’UE, notamment la Pologne, ont adopté une loi mettant fin à ce projet de sorte que les partenaires occidentaux ont été contraints de se retirer du consortium.
Je vous explique où je veux en venir. Je crois que le contexte dans lequel le premier contrat de fourniture de gaz de l’URSS a été signé se caractérisait par beaucoup de contradictions et d’antagonismes mais le projet a abouti et a été mis en œuvre. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation similaire: il n’y a pas encore de guerre froide proprement dite, mais l’état des relations entre la Russie et l’Europe ou entre la Russie et les USA est assez critique. Le vice-président américain Joe Biden a fait une déclaration à Stockholm, dans laquelle il a dit que le Nord Stream-2 était un projet « mort » pour l’Europe. Merci à Monsieur Biden pour ce conseil, mais cela n’aide pas à résoudre le problème. En fait, ce genre de propos prépare l' »atterrissage en douceur » du gaz de schiste américain sur le continent européen.
Sergueï Lavrov: Joe Biden a dit bien d’autres choses. Récemment, nous nous sommes rappelés qu’il y a deux ans (en 2014), il prononçait un discours dans une université américaine et avait alors déclaré (on peut trouver ses paroles exactes sur Internet, je vais juste retranscrire son idée) qu’il n’y avait pas d’opposition modérée en Syrie, que tous les combattants étaient des terroristes et des extrémistes. Aujourd’hui, nous le rappelons à nos collègues américains et ils disent que ce n’était que son opinion personnelle.
En ce qui concerne les tentatives de saper le projet Nord Stream-2 dont vous parlez, je partage votre vision. Mais n’oublions pas que c’était l’Allemagne qui a lancé cet appel à placer la politique devant l’économie dans les relations actuelles entre la Russie et l’Occident. C’est l’Allemagne qui a déclaré que le business devait souffrir au nom de l’unité antirusse. Je ne veux blâmer ni les Polonais ni les Allemands en particulier. Cette situation est le résultat de la confrontation croissante, quand un projet rentable du point de vue commercial, qui permet de réduire le coût du transit, est présenté comme une bête noire, et qu’on essaie de maintenir artificiellement les canaux peu fiables de transit en Europe. Ces canaux sont vraiment peu fiables tant politiquement que physiquement. Tout le monde le sait.
Ministère des Affaires Étrangères – Fédération de Russie – www.ambassade-de-russie.fr
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.