Vers un tremblement de terre politique en Autriche
Alors que les partis sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens se partagent le pouvoir en Autriche depuis la fin de la IIe Guerre mondiale, le pouvoir d’attraction de ces deux organisations politiques du système s’effondre. Cette situation peut conduire à un tremblement de terre politique consistant à l’élimination à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle du 24 avril 2016 des candidats de ces deux partis.
L’Autriche compte plus de huit millions d’habitants, parmi lesquels 1 800 000 à Vienne. Cette concentration de population dans la capitale du pays tire ses origines du fait que cette ville était autrefois le centre politique de l’empire des Habsbourg. Du démantèlement de celui-ci à l’issue de la Ire Guerre mondiale est née la petite République d’Autriche.
Le pays doit faire face à un antagonisme politique : Vienne « la rouge » est un bastion des sociaux-démocrates alors que les campagnes sont dominées par les sociaux-chrétiens/conservateurs. Une troisième famille politique joue également un rôle : les libéraux et nationalistes grand-Allemands. Ils sont issus des idées de la révolution libérale de 1848 à Francfort-sur-le-Main en Allemagne, conséquence de la révolution ayant eu lieu en France la même année. À cette époque, les libéraux allemands ont des revendications sociales, libérales (liberté de la presse, d’association, de réunion,…) et désirent réunir l’ensemble des germanophones au sein d’un État. Ils s’opposent à l’Allemagne morcelée des princes. Paradoxalement, l’unification allemande est réalisée par le très conservateur Chancelier Bismarck : l’État allemand réunissant les germanophones ne vivant pas au sein de l’empire des Habsbourg naît entre 1866 et 1871. Lorsque l’empire des Habsbourg est démantelé à l’issue de la Ire Guerre mondiale, la possibilité de réunir ses territoires germanophones avec l’Allemagne voit le jour, mais les Alliés la refusent.
Durant l’Entre-deux-guerres, de fortes tensions politiques traversent l’Autriche. Le Chancelier social-chrétien conservateur Engelbert Dollfuss instaure une dictature corporatiste et catholique à laquelle est attribué le nom d’« Austro-fascisme ». Il dissout le Parti communiste ainsi que le Parti national-socialiste dont les membres actifs sont jetés dans des camps de concentration. Suite à la répression des sociaux-démocrates ayant déclenché une grève générale, les ouvriers se soulèvent et provoquent une guerre civile qui est contrée par le régime. En juillet 1934, Engelbert Dollfuss est grièvement blessé lors d’une tentative nationale-socialiste de putsch. Il décède. Kurt von Schuschnigg prend sa succession. Lâché par le dirigeant italien Benito Mussolini, celui-ci est contraint d’accepter en 1938 l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne nationale-socialiste.
Après la IIe Guerre mondiale, l’Autriche est ré-instituée et occupée jusqu’en 1955 par l’URSS, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Deux partis, les socialistes (devenus en 1991 sociaux-démocrates) du SPÖ et les conservateurs/sociaux-chrétiens de l’ÖVP, vont alors se partager le pouvoir à tous les niveaux durant des décennies : les postes du personnel des services publics et de l’administration depuis les plus hauts jusqu’à ceux du personnel d’entretien au sein des écoles de village sont distribués politiquement aux membres des partis rouge (SPÖ) et noir (ÖVP). Une troisième force politique, assez marginale, est aussi active : la VdU, puis le FPÖ représentent la famille politique nationale et libérale. En 1986, alors que le FPÖ dirigé par Norbert Steger de l’aile libérale est au bord de l’effondrement, Jörg Haider en prend le contrôle et le conduit de victoires en victoires, puis le fait entrer en février 2000 dans un gouvernement avec l’ÖVP.
De nos jours, le SPÖ et l’ÖVP gouvernent à nouveau ensemble l’Autriche. Le FPÖ, principal parti d’opposition, est donné dans les sondages à 32-33 %, premier parti du pays. Les prochaines élections législatives doivent avoir lieu au plus tard à l’automne 2018. Mais un autre scrutin national doit prendre place auparavant : les élections présidentielles du 24 avril 2016 et (dans le cas où personne n’obtient 50 % au premier tour) du 22 mai 2016. Les candidats ayant obtenu les 6 000 signatures valables nécessaires sont au nombre de six : le SPÖ Rudolf Hundstorfer, l’ÖVP Andreas Khol, le FPÖ Norbert Hofer, le candidat indépendant membre du parti écologiste Alexander Van der Bellen, la candidate indépendante ancien haute-magistrat Irmgard Griss et le candidat indépendant et ancien entrepreneur Richard Lugner.
Si ce scrutin se singularise par le nombre élevé de candidats, ce sont avant tout ses résultats qui devraient en faire une élection particulière. En effet, les sondages donnent premier le candidat indépendant membre du parti écologiste et soutenu par celui-ci Alexander Van der Bellen, deuxième le FPÖ Norbert Hofer et troisième la candidate indépendante Irmgard Griss. Les candidats du SPÖ et de l’ÖVP sont donnés respectivement quatrième et cinquième devant Richard Lugner qui arrive dernier.
Si cette tendance se confirme dans les urnes, cette évolution accréditera le rejet de plus en plus important des candidats des partis du système, le candidat soutenu par les verts et le candidat nationaliste s’affrontant pour le deuxième tour. Ce scrutin concrétisera la perte massive d’influence des partis du système malgré le fait que ceux-ci verrouillent depuis des décennies le système politique à leur avantage.