Maurizio Blondet et le suicide spirituel européen
C’est Orlov qui parle de race mourante à propos des Blancs américains. Mais nos nations se crèvent, comme disait Flaubert.
Dans un de ses meilleurs textes, notre ami blogueur italien Maurizio Blondet – qui reprend certains de nos textes, à Philippe Grasset et moi-même – pourfend ses compatriotes mélomanes. Ils ont été 220 000 ou plus en juillet à affronter intempéries, vie chère et conditions difficiles pour aller écouter un vieux rockeur dont je ne savais rien, moi qui enfant écoutais Canzonissima en Tunisie (on avait la Rai) ! Vasco quelque chose… Rossi, oui le rebelle de façade, la star de pacotille qui aura joué toute sa vie, comme tous les sportifs ou presque, le rôle de dérivatif au troupeau fatigué des masses postmodernes, jadis décrites par Gustave Le Bon ou José Ortega Y Gasset. Ce n’est plus la « masse et puissance » du grand Elias Canetti, c’est masse et impuissance.
Et Maurizio – qui m’avait remercié d’avoir retrouvé le texte (1) où Bakounine regrette l’effondrement italien, cinq ans après sa soi-disant liberté – de se demander : Et si ces gens étaient allés sur Rome ? S’ils avaient accepté cette « condition soldatesque » (dixit Maurizio) pour se révolter contre un système qui les ruine, les dépossède, les remplace, les liquide ? Si ces gens s’étaient dépêchés de se précipiter à la gorge des banksters et des bureaucrates plutôt que de se livrer, béats esclaves, à la voix de fausset d’un chanteur ?
Car comme on peut le constater, ces gens, ce troupeau, italien, français, européen, allemand préfère ses maîtres et ses illusionnistes à ses sauveurs.
Les Portugais s’étaient ruinés en 2006 pour aller écouter deux fois de suite Madonna dans un stade.
Ces idiots d’Allemands s’étaient déshonorés pour aller écouter à Berlin un jeune sénateur américain paraît-il cool : il s’appelait Obama.
Quant aux Français, ils se battent deux mois après Macron (il les aurait déçus ! Déjà ?) pour décrocher le dernier maillot de foot de Neymar ! Alors…
Alors, on oublie la guerre du maître américain contre la Russie, mais aussi contre l’Europe et le monde. On oublie l’agenda de remplacement et de dépopulation. On oublie les scandaleuses contraintes vaccinatrices-exterminatrices dont parle Maurizio. On oublie l’abolition du cash, on oublie les prélèvements confiscatoires, on oublie les attentats de plus en plus ridicules qui frappent à Barcelone ou ailleurs, et on se fout de tout.
« Il en reste assez pour moi », disait Boris Vian dans sa chanson. Le foot, la télé-poubelle, le consumérisme, la grosse bouffe, comme disait l’historien du franquisme Stanley Payne, dans une interview qui a fait scandale en Espagne (et ce n’est pas elle qui a amélioré les gens).
C’est que le troupeau n’est pas une victime, le troupeau est consentant. Il s’amuse en se sacrifiant, et en s’aliénant, il y a pris trop goût, comme le voyait Céline dès les années trente. Cela me rappelle le film Fast-food nation de Richard Linklater. Il montre bien que tout le monde est consentant, du politique au flic, du Blanc obèse au Mexicain, sans oublier la vache qui refuse d’abandonner son feedlot (parcs d’engraissement en français). On la bourre, cela lui suffit, après elle ne se fait qu’une idée confuse de ce qui va se passer. Et nous, nous n’avons pas plus envie de nous libérer que ces vaches promises à l’abattoir. Peu d’idéaux…
C’est Tocqueville qui disait, alors qu’il discutait cette montée du matérialisme qui accompagnait la démocratie : « Assurément, la métempsycose n’est pas plus raisonnable que le matérialisme ; cependant, s’il fallait absolument qu’une démocratie fît un choix entre les deux, je n’hésiterais pas, et je jugerais que ses citoyens risquent moins de s’abrutir en pensant que leur âme va passer dans le corps d’un porc, qu’en croyant qu’elle n’est rien. »
Notre âme n’est rien. CQFD. Et le bonhomme de neige pris dans un embouteillage pour aller écouter un chanteur est content comme ça.
On en est arrivé au point où l’on ne sait plus qui est vivant dans ce monde. Un Guénon pas très optimiste tout d’un coup parlait ainsi de la dissolution de la personnalité qui accompagnera nos temps postmodernes : « Ce serait une véritable « dissolution » de tout ce qu’il y a de réalité positive dans l’individualité totale. »
To be or not to be ? Not to be, on a choisi. On préfère ne pas être !
C’est le troupeau des catholiques mous du pape François aussi ; de Soros, de Merkel, de Gaga et de Burning man. L’apocalypse a créé une humanité, un public, une audience sur mesure pour les châtiments-catastrophes qu’elle nous prépare.
Je cite l’extrait de Guénon en entier pour en terminer sur cette notion métaphysique de dissolution nationale, spirituelle et hélas personnelle : « Ce mot de « confusion » est ici d’autant mieux approprié qu’il évoque l’indistinction toute potentielle du « chaos », et c’est bien de cela qu’il s’agit en effet, puisque l’individu tend à se réduire à son seul aspect substantiel, c’est-à-dire à ce que les scolastiques appelleraient une « matière sans forme », où tout est en puissance et où rien n’est en acte, si bien que le terme ultime, s’il pouvait être atteint, serait une véritable « dissolution » de tout ce qu’il y a de réalité positive dans l’individualité ; et, en raison même de l’extrême opposition qui existe entre l’une et l’autre, cette confusion des êtres dans l’uniformité apparaît comme une sinistre et « satanique » parodie de leur fusion dans l’unité. »
Note
(1) Sortie d’une révolution nationale victorieuse, rajeunie, triomphante, ayant d’ailleurs la fortune si rare de posséder un héros et un grand homme, Garibaldi et Mazzini, l’Italie, cette patrie de l’intelligence et de la beauté, devait, paraissait-il, surpasser en peu d’années toutes les autres nations en prospérité et en grandeur. Elle les a surpassées toutes en misère… Moins de cinq années d’indépendance avaient suffi pour ruiner ses finances, pour plonger tout le pays dans une situation économique sans issue, pour tuer son industrie, son commerce, et, qui plus est, pour détruire dans la jeunesse bourgeoise cet esprit d’héroïque dévouement qui pendant plus de trente ans avait servi de levier puissant à Mazzini.
Sources
Bakounine, Œuvres, tome V (sur archive.org).
Guénon, Règne de la quantité, IX.
Tocqueville, De la démocratie en Amérique, II, p. 185.
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