Emmanuel Macron ou l’histoire à la petite semaine
Les hommes font l’histoire, mais ne savent pas quelle histoire ils font. Cette belle phrase de Raymond Aron s’applique totalement à la rhétorique faiblarde employée par le président de la République dans un entretien à Ouest France.
Comparaison n’est pas raison et le rapprochement qu’il opère avec les années trente est d’une grande faiblesse historique, il relève toujours d’une conclusion quasi obligée : tout cela va finir par Hitler ! Le président, même s’il ne prononce pas le nom fatal, se rapproche maladroitement de la loi de Godwin(1). Un entretien d’une grande pauvreté intellectuelle surtout lorsqu’on appelle à la lucidité dans le même discours.
Les années trente en question
L’Europe est encore marquée par la 1re Guerre mondiale et le pacifisme domine à droite comme à gauche ; celui-ci peut, en partie, expliquer la faiblesse des démocraties face à la montée des dictatures. Dans cette analyse, on oublie souvent la menace soviétique qui pèse gravement sur les relations internationales et qui aboutira au pacte germano-soviétique du 23 août 1939.
Sur le plan économique, la grande crise de 1929 n’est en rien comparable à notre situation, le choc de la mondialisation, aujourd’hui, fait gravement souffrir les sociétés occidentales, mais n’a rien à voir avec la grande déflation des années trente. Si une comparaison peut être faite entre la mondialisation actuelle, dont le cycle est d’ailleurs en train de s’achever, alors il faut plutôt aller voir du côté de la première mondialisation – essentiellement commerciale et dans un paradoxal maintien des frontières – qui s’étend de 1890 à 1914 et présente quelques similitudes avec notre époque.
Un exemple parmi cent : les progrès de la congélation permettent de mettre sur le marché les viandes argentines au grand mécontentement des producteurs français, c’est pourquoi le ministre de l’agriculture Jules Méline prendra des dispositions protectionnistes.
Et Macron de poursuivre : « Dans une Europe qui est divisée par les peurs, le repli nationaliste… »
On voit bien la facilité, sauf que cette peur est celle d’une invasion extérieure à l’Europe et que le repli qu’il qualifie de nationaliste est beaucoup plus un rejet de l’oligarchie européenne et du pouvoir non élu de Bruxelles : il n’y a aucune menace d’un peuple européen contre un autre. C’est d’ailleurs ce qu’invoquent les Européistes au bénéfice de la construction européenne : la paix ! sauf que c’est parce qu’il y avait la paix que la construction a pu se faire et non le contraire.
Mieux encore, la crise identitaire et migratoire est en train de créer une solidarité européenne style « Populistes de tous les pays unissez-vous ! » (voir le pacte de Višegrad, l’Initiative des Trois Mers, etc.).
À ce niveau de caricature dans la comparaison, soit Macron est cynique, soit il est ignorant et croit pouvoir opposer progressistes et nationalistes, ce qui est une polarisation bien sommaire, un manichéisme de mauvais aloi, si ce n’est un ferment de guerre civile.
Le XXIe siècle européen
« L’Europe est face à un risque : celui de se démembrer par la lèpre nationaliste et d’être bousculée par des puissances extérieures. Et donc de perdre sa souveraineté », prévient Emmanuel Macron.
Grave distorsion de réalité en fait de démembrement par « la lèpre nationaliste » : s’il y a démembrement, il est provoqué par Bruxelles. Chacun sait que les oligarques européens ont mis à l’œuvre une Europe des régions, laquelle, pour le compte, démembre sûrement la réalité des nations. Une dizaine de conventions et chartes du Conseil de l’Europe (charte des langues régionales, etc.) tendent, sournoisement, derrière des apparences généreuses, à promouvoir une nouvelle carte politique de l’Europe dont ont disparu les frontières actuelles, à partir de fondements communautaristes ethniques et/ou linguistiques, analysés par l’essayiste Pierre Hillard.
De même, le Comité des régions de l’UE créé par le Traité de Maastricht trouve sa raison d’être dans cette logique régionaliste favorisant l’éclatement des constructions politiques que sont les États nations avec les financements à l’appui.
Quant à perdre sa souveraineté, qui a jamais entendu parler de souveraineté européenne ? À tout le moins, s’il y a une construction européenne, celle-ci n’a jamais bâti de souveraineté. À moins qu’on prenne les droits de l’homme comme une affirmation de souveraineté, alors qu’ils ne sont qu’une idéologie.
On aimerait demander au président en quoi l’Europe possède le commencement d’un début de souveraineté. Dans l’inventaire des institutions européennes, on ne trouve aucun attribut de la souveraineté. Sauf à considérer que l’euro en serait un. Le problème est qu’on fait rarement une souveraineté par les unions monétaires, lesquelles ont toutes échoué dans l’histoire.
En fait de souveraineté, le président de la République voit-il l’état de vassalisation de l’Europe aux USA, son assujettissement au dollar et à ses lois et à la protection américaine dans le cadre de l’OTAN ? Ce qu’il reconnaît d’ailleurs dans une phrase : «… d’avoir sa sécurité qui dépende des choix américains ».
En matière de souveraineté, faut-il lui rappeler que l’abandon majeur de souveraineté que constituait l’extension très large du principe de la majorité qualifiée en lieu et place de l’unanimité des États a détruit la souveraineté des États sans créer de souveraineté européenne. La souveraineté des États nations a été ensuite brisée en Europe par l’intervention au Kosovo en 1999, un tournant de l’histoire des relations internationales.
Cette ingérence dans les affaires intérieures d’un État au nom des droits de l’homme a bouleversé l’ordre en vigueur depuis plus d’un siècle. Et cela n’a pas laissé place à un nouvel ordre, mais au chaos dont le spectacle effraie à juste titre les peuples ; il a même constitué la forme du retour de la guerre en Europe. Celle-ci, de l’entière responsabilité de l’institution européenne et en contradiction absolue avec ses affirmations de « defensor pacis ».
Non, décidément, à ce niveau d’incohérence, nous n’avons le choix qu’entre incompétence ou mauvaise foi, l’histoire semble se répéter selon lui, et le président s’engouffre dans son psittacisme.
C’est alors qu’il faut lui rappeler la phrase de Marx : « Tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».
Note
(1) Elle s’énonce ainsi : « Plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s’approche de 1 ».
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