Virgile et le choc Orient-Occident
Sommet de la littérature universelle, la description du bouclier dessiné par Vulcain comprend comme on sait, dans sa deuxième partie, une description de la bataille d’Actium. L’Énéide est ma lecture de chevet et je ne saurais trop recommander aux latinistes pas trop rouillés les nombreuses traductions juxtalinéaires de ce prodigieux texte (l’hypertexte louvaniste par exemple). Ici on est à la fin du chant VIII, vers 671-732.
D’où le choc orient-occident. Virgile ne voit pas cette fameuse bataille comme un choc Octave-Antoine, mais comme un choc Orient-Occident. C’est un choc culturel, spirituel, racial même, que « le plus grand génie de l’humanité » (Paul Claudel) met en scène il y a deux mille ans.
On lit le maître des maîtres : « Au centre, la mer se gonflait à perte de vue, sur fond d’or ; mais les vagues, d’un bleu sombre, dressaient leur crête blanchissante d’écume. De clairs dauphins d’argent, qui nageaient en rond, balayaient de leurs queues la surface des eaux et fendaient les remous. Au milieu on pouvait voir les flottes d’airain, la bataille d’Actium, tout Leucate bouillonner sous ces armements de guerre, et les flots resplendir des reflets de l’or. »
On oppose occident et orient, sur un ton pas très guénonien : « D’un côté César Auguste entraîne au combat l’Italie avec le Sénat et le peuple, les Pénates et les Grands Dieux. Il est debout sur une haute poupe ; ses tempes heureuses lancent une double flamme ; l’astre paternel se découvre sur sa tête. Non loin, Agrippa, que les vents et les dieux secondent, conduit de haut son armée ; il porte un superbe insigne de guerre, une couronne navale ornée de rostres d’or. »
Je n’ai pas la place d’expliciter les détails. Mais les dieux se sentent concernés !
L’orient et son lexique du chaos maintenant (souvenons-nous que le journal Le Monde voudrait faire interdire Virgile pour fascisme ; on y arrivera…) : « De l’autre côté, avec ses forces barbares et sa confusion d’armes, Antoine, revenu vainqueur des peuples de l’Aurore et des rivages de la mer Rouge, traîne avec lui l’Égypte, les troupes de l’Orient, le fond de la Bactriane ; ô honte ! sa femme, l’Égyptienne, l’accompagne. »
En latin, ces vers incomparables :
Aegyptum uiresque Orientis et ultima secum
Bactra uehit, sequiturque nefas Aegyptia coniunx
On reprend : « Tous se ruent à la fois, et toute la mer déchirée écume sous l’effort des rames et sous les tridents des rostres. Ils gagnent le large ; on croirait que les Cyclades déracinées nagent sur les flots ou que des montagnes y heurtent de hautes montagnes, tant les poupes et leurs tours chargées d’hommes s’affrontent en lourdes masses. Les mains lancent l’étoupe enflammée ; les traits répandent le fer ailé ; les champs de Neptune rougissent sous ce nouveau carnage. »
Les champs de Neptune, je le dis sobrement, sont un magnifique Kenning pour désigner la mer. Pour étudier cette notion soi-disant islandaise, on se reportera à l’étude de Borges (dans son histoire de l’éternité) – qui ignora toujours trop nos classiques.
Virgile oppose les dieux de l’ouest et ceux de l’Égypte, à tête de monstres (omnigenumque deum monstra) : « La Reine, au milieu de sa flotte, appelle ses soldats aux sons du sistre égyptien et ne voit pas encore derrière elle les deux vipères. Les divinités monstrueuses du Nil et l’aboyeur Anubis combattent contre Neptune, Vénus, Minerve. La fureur de Mars au milieu de la mêlée est ciselée dans le fer, et les tristes Furies descendent du ciel. Joyeuse, la Discorde passe en robe déchirée, et Bellone la suit avec un fouet sanglant. »
Apollon l’hyperboréen va intervenir – et Virgile de nommer des peuples actuels (présent perpétuel, quand tu nous tiens…) : « D’en haut, Apollon d’Actium regarde et bande son arc (arcum tendebat Apollo). Saisis de terreur, tous, Égyptiens, Indiens, Arabes, Sabéens, tournaient le dos. On voyait la Reine elle-même invoquer les vents, déployer ses voiles, lâcher de plus en plus ses cordages. L’Ignipotent l’avait montrée, au milieu du massacre, emportée par les flots et l’Iapyx, toute pâle de sa mort prochaine. »
Virgile personnifie le Nil (magno maerentem corpore Nilum) : « En face, douloureux, le Nil au grand corps, ouvrant les plis de sa robe déployée, appelait les vaincus dans son sein azuré et les retraites de ses eaux. »
Virgile décrit ensuite le triomphe : « César cependant, ramené dans les murs de Rome par un triple triomphe, consacrait aux dieux italiens, hommage immortel, trois cents grands temples dans toute la ville. Les rues bruissaient de joie, de jeux, d’applaudissements. Tous les sanctuaires ont un chœur de matrones ; tous, leurs autels ; et devant ces autels les jeunes taureaux immolés jonchent la terre.
Auguste, assis sur le seuil de neige éblouissant du temple d’Apollon, reconnaît les présents des peuples et les fait suspendre aux opulents portiques. Les nations vaincues s’avancent en longue file, aussi diverses par les vêtements et les armes que par le langage. »
Ce défilé une fois pacifié (l’ennemi est momentanément craint), on évoque la mondialisation et la grande unification du monde sous le sceptre romain : « Ici Vulcain avait sculpté les tribus des Nomades et les Africains à la robe flottante ; là, les Lélèges, les Carions et les Gelons porteurs de flèches ; l’Euphrate roulait des flots apaisés ; puis c’étaient les Morins de l’extrémité du monde, le Rhin aux deux cornes, les Scythes indomptés et l’Araxe que son pont indigne. »
Notre poète cosmique termine sur une note Enéide optimiste : « Voilà ce que sur le bouclier de Vulcain, don de sa mère, Énée admire Talia (per clipeum Volcani, dona parentis, miratur). Il ne connaît pas ces choses ; mais les images l’en réjouissent, et il charge sur ses épaules les destins et la gloire de sa postérité. »
Sources
Virgile – Énéide, traduction André Bellessort (ebooksgratuits.com).
Bibliotheca Classica Selecta – Énéide – Chant VIII (Plan).
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