5 octobre 2017

Et Rome s’enfonça dans la nuit

Par Fabrice Dutilleul

 

Gilles Cosson a occupé de hautes fonctions dans le monde industriel et financier avant de se consacrer à l’écriture. Il a publié trois essais et plusieurs romans dont Un Combattant paru en 2007, une satire corrosive du monde du business (qui va donner lieu prochainement à une adaptation télévisuelle).

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

 

Gilles Cosson.

Gilles Cosson.

Le livre : Mai 409. Le roi wisigoth Alaric assiège Rome. Un vieux sénateur, Tullius Metellus va tenter de sauver la situation. Resté fidèle aux Dieux de l’Olympe, il porte en lui le terrible souvenir d’un crime de jeunesse qu’il va chercher à exorciser. Parti pour Ravenne, où réside le faible empereur Honorius, il s’efforce de définir les contours d’une paix durable aux côtés d’Innocent III, le pape du moment, qui pressent le rôle de l’église dans la survie d’une civilisation où se multiplient les premières communautés religieuses. Au terme de diverses péripéties tant historiques que personnelles, le siège est levé, mais un incident inattendu va aboutir à la reprise des hostilités et au sac historique de Rome, pillée pendant trois jours du 24 au 27 août 410. Ce récit qui suit l’histoire de près décrit la fin d’un monde, celui de la brillante civilisation romaine, et témoigne du rôle du christianisme dans la transmission de l’essentiel de ses valeurs.

Quelle est la situation de Rome à l’époque d’Alaric ?

Déni de réalité généralisé : on préfère ne pas voir et même nier les problèmes. L’empire est attaqué de toutes parts, la société se désagrège, mais l’empereur s’enferme dans Ravenne comme si de rien n’était.

Banalisation de la citoyenneté – voir l’édit de Caracalla avec la citoyenneté élargie à tous, etc. – qui protège donc toutes les minorités et rend difficile le fait d’agir vite et fort.

Manque de volonté de combattre avec préférence générale pour l’hédonisme : la carrière des armes n’est plus reconnue.

Valeurs à défendre devenues floues : raisons de se battre ? La « civilisation romaine » a-t-elle encore un sens ? Perte de confiance en soi.

Présence de « Barbares » en nombre et à tous les étages sur le sol romain.

Assistanat généralisé d’une partie de la population (panem et circenses).

Fractures au sein de l’empire dues à la montée en puissance d’un christianisme obligatoire avec montée corrélative des intégrismes religieux.

Déficit chronique du budget de l’État et perte de valeur de la monnaie

Appauvrissement des campagnes devant la concurrence des grandes exploitations « internationales » : africaines à l’époque.

Relâchement général des mœurs

Quel a été le rôle de la religion chrétienne dans la survie de la civilisation romaine ?

Le Dieu unique chrétien (encore que trinitaire, ce qui est compliqué) est une synthèse du platonisme et du Dieu autoritaire des Juifs : un Dieu philosophique défendu par des rhéteurs (voir Saint Augustin).

Elle respecte l’autorité de l’État dans ses actes non religieux : rendre à César ce qui est à César… Cela dit, l’autorité du pape servira le jour venu de substitut à une autorité politique défaillante.

Elle donne – en principe – aux femmes un rôle substantiel : « Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme », écrit l’apôtre Paul dans l’épître aux Galates, ce que Rome avait commencé à faire (héritage, divorce etc.) et que l’Orient (en particulier l’islam) ne fera jamais.

Elle encourage l’étude et l’examen des textes sacrés dans la langue latine (et en Orient dans la langue grecque). Le rôle unificateur du latin d’église est un marqueur de la civilisation occidentale au moins jusqu’au XVIIe siècle.

Elle refuse le fatalisme et affirme la responsabilité et l’esprit de liberté humain – le libre arbitre chez Saint Augustin –, contre l’obscurantisme oriental.

Elle va assimiler les Barbares sur le plan religieux, récupérant en cela leur triomphe militaire (Clovis, etc.). Le succès contre les Huns puis contre l’islam sera son œuvre.

Elle essaye de réguler des mœurs devenues très relâchées (et qui d’ailleurs le resteront : les mariages « more danico » – concubines des rois normands – etc.).

Quel sens donner à l’odyssée du vieux sénateur Tullius Metellus ?

Il regrette les valeurs de Rome et se désole de leur déclin. Malgré son âge, il œuvre pour que Rome soit sauvée parce qu’il croit en ses valeurs. Il s’intéresse aux civilisations disparues, aux mouvements des astres et fait preuve d’une vraie curiosité intellectuelle dans la tradition grecque. C’est un stoïcien resté fidèle aux Dieux de la Rome antique, mais il se rend compte de l’apport des penseurs chrétiens (dialogue avec Saint Augustin).

Il se rapproche chemin faisant de l’évêque de Rome (le pape Innocent) et finit par demander sa bénédiction. Il éprouve pour sa fille une affection très forte, à la fois instinctive et philosophique. Il est courageux et affrontera la mort sans crainte dans la tradition romaine…

Et Rome s’enfonça dans la nuit, Éditions de Paris Max Chaleil, Collection « Essais et documents », 136 pages, 14 €

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