Mais qui l’a cassé ?
À force de parler des Francs et de Clovis, il va enfin falloir répondre à la question que tout le monde se pose depuis quinze siècles : qui, mais qui a cassé le vase de Soissons ? Ou, plus exactement, pourquoi nous raconte-t-on (ou nous racontait-on, du temps qu’on apprenait l’histoire à l’école) cette anecdote ? À vrai dire, Clovis n’y apparaît pas franchement à son avantage. On n’y trouve rien non plus de drôle, et il y manque tout ce qui fait le sel des scènes et des mots historiques.
L’a-t-on retenue parce qu’elle présente Clovis sous les traits d’un barbare brutal et vindicatif ? Mais on peut être l’un et l’autre sans être le moins du monde barbare : il suffit pour cela de s’occuper de politique. Peut-être aussi l’a-t-on retenue parce que, dans cette affaire qui date de 487, soit près de dix ans avant son baptême, Clovis se pose déjà en défenseur de l’Église. Le fameux vase appartenait en effet à une abbaye et Clovis avait l’intention de le restituer à saint Remi. Après tout, c’est par l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours que cette anecdote nous est parvenue : une touche d’apologétique n’y serait donc pas déplacée.
Je propose cependant de retenir autre chose de cette journée de 487 au cours de laquelle le roi des Francs abattit sa hache sur la tête d’un de ses soldats en lui disant : « Souviens-toi du vase de Soissons ! »
N’illustre-t-elle pas plutôt la manière de gouverner des Francs de l’époque ? Les lois et le mode d’administration romains avaient certes perduré. Mais, si les anciens habitants de la Gaule restaient soumis au droit romain, les conquérants ne s’étaient pas soumis aux lois des pays conquis : ils obéissaient à leurs propres lois, et notamment à la loi salique, qui existait depuis longtemps, mais dont les soixante-cinq articles furent mis par écrit en 507 (pour la première version car il y en eut au moins huit). Elle avait notamment pour but d’éviter les guerres privées.
Mais administrer, ce n’est pas gouverner. Comment donc les rois francs exerçaient-ils leur pouvoir sur les guerriers grâce auxquels ils s’étaient taillé des royaumes au sein de l’Empire romain ? Ceux-ci n’étaient pas les membres d’une armée permanente, mais des guerriers qui exerçaient la seule profession digne d’un homme libre, selon la conception germanique. L’anecdote du vase de Soissons illustre le fait qu’ils se montraient parfois chatouilleux quant aux limites du pouvoir de leur chef.
Depuis que la conquête et le pillage n’étaient plus à l’ordre du jour, il était donc devenu difficile pour Clovis de s’assurer la fidélité de ses rudes soldats, et même d’arbitrer les conflits entre eux. Ces soldats, il les réunissait une fois l’an, le 1er mars, sur le champ de Mars, selon d’ailleurs une coutume romaine, encore une fois. C’est là qu’il leur transmettait ses instructions. Mais, jusqu’au rassemblement de l’année suivante, tout roi qu’il était, il manquait de moyens de s’assurer que ses ordres étaient exécutés. Il fallait donc que les désobéissances fussent châtiées avec la sévérité spectaculaire dont il a donné un exemple. On voit qu’il y a donc encore loin entre le vase de Soissons et le chêne de saint Louis.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
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Philippe Randa,
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