L’Albionide, ou l’Anglais démasqué : poème héroï-comique
Louis-Christian Gautier propose aux lecteurs d’EuroLibertés un « récit historique » en plusieurs épisodes : « Naissance de la propagande de guerre : un « incident de frontière » à l’origine de celle de Sept Ans (1756-1763) et ses conséquences inattendues, lointaines et actuelles. »
Récit de l’anglophobie (épisode 1), cliquez ici. ; Récit de l’anglophobie (épisode 2), cliquez ici.
Les Anglais étaient en permanence comparés aux Carthaginois avides et mercantiles, et le même sort funeste leur était promis. Remarquons que ceci a eu des échos jusqu’à la IIe Guerre mondiale, où Jean Herold-Paquis, un speaker de Radio Paris promettait que « comme Carthage, l’Angleterre sera détruite. »
L’évolution dans la stigmatisation de l’ennemi est à noter : les Britanniques, d’« hérétiques » sont devenus « barbares ».
En 1755, dans L’Observateur hollandois déjà cité, Moreau, rappelant la mort de Jumonville, accuse les Anglais d’« infamie caractérisant les peuples que les Européens considèrent comme barbares » et de la « brutalité qui jadis distinguait les barbares du Nord ». Cette allusion aux origines ethniques des Anglais n’est pas loin de l’injure raciste.
Le thème est récurrent. Peu après, dans son poème Jumonville, Thomas citera d’entrée Virgile : « Quelle est cette race d’hommes ? Quel est le pays assez barbare pour tolérer de telles coutumes ? ». C’est une chose établie, les Anglais sont les « nouveaux Barbares ». Dans ce rôle, ils ne céderont la place aux Allemands qu’à partir de la guerre de 1870, ayant droit aux mêmes qualificatifs : « joie barbare », « férocité », « cruauté », « brutalité », etc.
Donnons la parole au poète épique, qui s’adresse aux Indiens dans une comparaison peu flatteuse pour leur colonisateur :
« Du moins votre grossière et farouche droiture
Suit les premières lois de la simple nature.
L’Anglais, nouveau barbare, a traversé les mers
Pour apporter ce crime au fond de vos déserts… »
Il faut rappeler qu’à cette époque, où les Européens étaient persuadés de leur supériorité naturelle, le monde se divisait entre civilisés et sauvages. Mais ces derniers n’étaient pas responsables de cet état naturel. D’ailleurs le sauvage était souvent « bon ». Il n’en était pas de même du Barbare, destructeur de civilisations, que l’on croyait disparu depuis les périodes les plus sombres de l’humanité. Le mot avait donc un sens péjoratif très fort, une véritable valeur incapacitante pour celui auquel il était appliqué. Si le sauvage était irresponsable, le barbare était, lui, le produit d’une civilisation étrangère, mais dévoyée et perverse : le mot était à la rigueur appliqué aux Turcs ; le Maghreb, alors repaire de pirates, était habituellement désigné sous le nom de « Barbarie ».
Ainsi, rendant compte du poème, les Mémoires de Trévoux relèvent le « contraste frappant de la simplicité et de la droiture des sauvages avec la perfidie des Anglois » : on parlera longtemps de la « Perfide Albion ». Un autre poète français, Lebrun, renchérira :
« De la Terre et des Mers Déprédateur avare,
Au Huron qu’il dédaigne, et qu’il nomme barbare
Il apprend des Forfaits. »
Les Anglais auraient en quelque sorte enseigné la violence et la ruse aux Peaux-rouges à l’occasion de l’« assassinat » de Jumonville.
En 1759 dans L’Albionide, ou l’Anglais démasqué : poème héroï-comique, censé avoir reçu l’imprimatur de « L’Académie royale de Barbarie de Tunis » l’auteur met ces mots dans la bouche du général Montcalm, qui lui aussi périra héroïquement au Canada :
«… amis, vous êtes nés Français.
N’imitez point par cet affreux ravage
La Barbarie et le ton des Anglais,
Laissez agir la nation sauvage… »
On ne sait si un tel morceau de xénophobie chauvine échapperait de nos jours au glaive de la loi. Comment a-t-il été perçu au « Siècle des lumières » ?
Dans Les Sauvages de l’Europe, un certain Robert-Martin Lesuire écrit tranquillement : « Les Anglais se situent à mi-chemin entre les hommes et les bêtes ». Maurras restera en deçà lorsqu’il imprimera plus tard que l’Allemand est un « nègre blond » (1).
(1) Nous avons assez de matière avec l’anglophobie française ; en ce qui concerne la germanophobie, le lecteur pourra se reporter au numéro 12 (automne 1994) que la revue, (disparue depuis), Enquête sur l’Histoire consacrait à « La Grande Guerre 1914-1918 » ou aux deux livres de Philippe Gautier La Germanophobie et Le racisme anti-allemand, parus aux éditions Dualpha.
(Suite de ce récit de l’anglophobie demain).
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