La désinformation autour de la traite des Noirs
« L’esclavage n’étant pas le fait des Européens,
mais le statut antérieur de leurs futurs passagers […]
l’histoire récente veut confondre esclavage et traite des Noirs,
en attribuant toutes les fautes aux Européens.
Ce faisant, on renie ses ancêtres en leur refusant les vertus morales
que l’on s’accorde généreusement aujourd’hui en exclusivité. »
Entretien avec Christian De la Hubaudière, auteur de La désinformation autour de la traite des Noirs (éditions Dualpha)
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet ?
En fouillant les archives de La Rochelle sur Internet, je suis tombé sur un registre de police des Noirs. Il recense en un mois tous les gens de couleur demeurant dans le secteur, soit libres, soit sous statut d’esclave de personnalités locales, afin d’obéir au règlement du 9 août 1775. Celui-ci fait suite à la demande des planteurs des îles désireux d’envoyer en métropole des jeunes gens de couleur parfaire leurs études et apprendre une formation, mais sans que leur arrivée leur donne, comme prévu dans les règlements précédents, la liberté automatique. Ce registre nous offre un instantané réel des divers statuts de ces gens en France, ainsi que leur parcours, âge, provenance, buts. Nous sommes bien loin de ce que nous raconte l’histoire officielle de la repentance. Mais comme il peut s’agir de privilégiés, j’ai voulu remonter le fil de leur histoire depuis la source, l’Afrique.
Dans quels documents avez-vous puisé ?
Les plus faciles à trouver : les déclarations de capitaines à l’amirauté, lorsqu’ils ont eu des avaries. On dispose d’une bonne série à Nantes, à travers tout le XVIIIe siècle. À travers leur histoire, dont certaines sont bien détaillées, on comprend les modalités pratiques du commerce triangulaire et la place des passagers, là encore incompatibles avec les descriptions anti-esclavagistes du XIXe siècle.
Quels enseignements en avez-vous tirés ?
D’abord que l’histoire récente veut confondre esclavage et traite des Noirs, en attribuant toutes les fautes aux Européens. Ce faisant, on renie ses ancêtres en leur refusant les vertus morales que l’on s’accorde généreusement aujourd’hui en exclusivité. Cela permet de tirer un trait sur notre passé, lié à la royauté, et toute la culture qui en est issue, en affirmant que notre monde actuel est meilleur, ce qui est un acte purement politique, basé sur le mensonge.
Esclavage et traite des Noirs seraient donc deux choses différentes ?
Ce ne sont surtout pas les mêmes acteurs. Remettons les choses dans leur contexte : afin d’assurer leur autonomie vis-à-vis des produits précieux importés, les pays européens colonisent et exploitent des terres situées sous des latitudes favorables à la culture de ces produits : café, sucre, tabac, cacao, indigo. Ils encouragent les colons à s’y établir, mais manquent de main-d’œuvre prête à s’exiler en s’éloignant de la civilisation. À cette époque, la France et l’Angleterre sont des phares mondiaux.
De France, Colbert envoie les orphelins et enfants trouvés tirés des hôpitaux, leur donnant ainsi une meilleure chance de réussir leur vie qu’en métropole, mais cela est très insuffisant. Au XVIIIe siècle, on envoie de force des mendiants, prostituées, fils de famille dévoyés, et toujours des orphelins et enfants trouvés, bref, toutes personnes susceptibles de se rendre utiles dans les îles au lieu d’être une charge pour la société française. Mais le succès des produits exotiques réclame encore plus de main-d’œuvre pour leur culture et leur transformation, alors que les volontaires sont rares. D’où l’idée d’intégrer dans la société européenne, civilisation la plus développée, des éléments étrangers que cette promotion pourrait tenter, dans le sens d’un progrès.
Donc des esclaves venant d’Afrique ?
S’il est éradiqué depuis bien longtemps en Europe, l’esclavage, qui existe depuis des siècles, est toujours un des modes de fonctionnement de l’Afrique. Ainsi, les Barbaresques réduisent leurs prisonniers, européens ou africains, en esclaves et main-d’œuvre de courte durée, les castrant pour les empêcher de se reproduire et les exploitant sans ménagement, entraînant leur mort rapide.
Dans les tribus africaines même, l’esclavage est un mode de vie, celui des femmes, de leurs enfants qui sont la propriété des pères, voire du chef ; les hommes engagent leur liberté lors de jeux de hasard et acceptent ce statut, souvent temporaire. C’est là que les Européens vont se fournir en main-d’œuvre, vendue par les chefs et leurs courtiers, car rares sont les personnes pouvant disposer d’elles-mêmes et partir par choix. Pendant longtemps, les Européens ne descendent pas à terre et attendent sur leurs navires les esclaves qu’on leur amène. Les chefs sont maîtres de ce marché, l’esclavage n’étant pas le fait des Européens, mais le statut antérieur de leurs futurs passagers.
Quels arguments pour obtenir des esclaves ?
Pour les chefs, l’enrichissement. Pour les esclaves, la promesse d’une vie meilleure : une éducation à l’européenne, une formation à un métier, un avenir enviable dans la civilisation tant pour eux que pour leur descendance, une fois la liberté obtenue, exactement comme pour un enfant trouvé de France. Pour la femme, l’espoir d’épouser un colon, donc d’être libre, d’en être l’unique épouse, d’avoir des enfants héritiers de ce colon, de ne pas être sacrifiée à la mort de son mari, ni mutilée à la mort d’un enfant, ni revendue à d’autres, tout au contraire de ce qui l’attend en Afrique.
La majorité des esclaves transportés en Amérique sont des femmes et des enfants de moins de vingt ans qui, même s’ils n’ont pas choisi leur destin, sont plutôt attirés par ce nouvel avenir.
Et les révoltes d’esclaves ?
Les Africains pratiquent des guerres tribales dont ils réduisent les prisonniers en esclavage. Mais ce ne sont pas de très bons clients pour les Européens : traditionnellement, ce ne sont pas les hommes, mais les femmes qui cultivent la terre en Afrique, il faut donc les employer plutôt dans les sucreries, indigoteries et autres travaux de force. D’autre part, ces guerriers sont susceptibles de se rebeller, déjà sur les bateaux en attente du grand départ, puis dans les îles. Il faut donc s’en méfier, et ils ne peuvent être vendus à de petits colons isolés, qu’ils auraient vite fait d’assassiner.
Quand obtiennent-ils leur liberté ?
Pour les femmes, c’est aussitôt leur mariage si elles épousent un colon. Pour les autres, c’est lorsque la dette qu’ils ont générée est éteinte : celle-ci comporte, pour le capitaine négrier, tout ce qui a servi à leur achat auprès du chef, plus les frais de leur transport, éventuellement de soins médicaux, et les pertes durant le voyage. Tout ceci se conclut, pour le colon, par le prix d’achat de l’esclave, lors de ventes aux enchères : il lui faut débourser immédiatement au moins dix années de salaires d’un ouvrier agricole en France, plus son logement, habillement et entretien complet pendant toute la durée de son esclavage. Si c’est un enfant, il n’est pas aussitôt productif et coûte pour son instruction. Le colon, en fonction de la rentabilité de son esclave, ainsi que des relations qu’il noue avec lui, reste juge du moment où il s’estime remboursé de son investissement.
Le principe est le même pour un Français qui s’engage avec la Compagnie des Indes, laquelle fait les avances, sauf que lui signe un contrat d’engagement dont il est libéré une fois sa dette remboursée ou le temps prévu achevé. À partir de ce moment, il peut travailler pour son compte, comme l’esclave libéré.
Quel est le statut de l’esclave dans les îles ?
Le Code noir de Colbert vise à protéger tant l’esclave que le maître appelés à former une nouvelle société, spécifique aux îles. Le maître exerce un rôle de parent sur l’esclave, juridiquement considéré comme mineur, ce qu’il est réellement, la majorité d’ordonnance étant fixée à 30 ans pour l’homme, 28 ans pour la femme, puis la majorité de coutume à 25 ans. Le temps de l’esclavage est mis à profit pour « mettre à niveau » ces nouveaux venus afin de pouvoir les intégrer dans la société française, à travers l’apprentissage de la langue, l’instruction dans la religion catholique et la formation professionnelle, qui représentent le cadre de vie de tout sujet du royaume. L’esclavage est alors une période initiatique qui conduit la personne à la conquête de ses pleins droits de sujet français, ou européen, obtenus à sa libération et transmissibles à ses descendants.
La désinformation autour de la traite des Noirs, de Christian De la Hubaudière, éditions Dualpha, 174 pages, 21 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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