Filippo Buonarroti, fanatique de la liberté
Lointain collatéral de Michel-Ange, c’est d’abord un avocat de Florence, admirateur de Jean-Jacques Rousseau et de son Contrat social. Agitateur politique de 1786 à 1789, Filippo Buonarroti (1761-1837) est traqué par la police du grand-duc de Toscane (Léopold de Habsbourg, frère de Marie-Antoinette, qui deviendra, en 1790, l’empereur Léopold II) et se réfugie en Corse, épousant la cause du « Parti patriote », pro-français. Il publie, d’avril à novembre 1790, un hebdomadaire de tendance « jacobine » et anti-paoliste.
Il est agent du Conseil Exécutif Provisoire (le gouvernement désigné par l’Assemblée Législative, après la chute de la royauté), à partir de septembre 1792, participe à la malheureuse expédition de Sardaigne, passe à Paris et obtient la nationalité française le 27 mai 1793. En juillet, il est Commissaire du Comité de Salut Public (l’exécutif de la Convention Nationale) pour l’île de Corse, mais il est arrêté à Lyon par les insurgés « fédéralistes ». Libéré par les soldats de la Convention, il est envoyé à Toulon, puis dans les Alpes-Maritimes.
De novembre 1793 à janvier 1794, il vit dans l’entourage de Maximilien Robespierre, qui l’envoie administrer le district d’Oneglia, conquis sur le Piémont. Jusqu’à l’automne de 1794, il y regroupe des révolutionnaires qui rêvent d’unifier l’Italie et d’en faire une République, qui, après son rappel, se rapprocheront du Conventionnel corse Christoforo Saliceti, nommé Commissaire du Directoire auprès de l’armée d’Italie.
Rappelé à Paris comme « agent du tyran », il est emprisonné du 29 mars au 26 octobre 1795, côtoyant François-‘’Gracchus’’ Babeuf et ses amis, les futurs comploteurs communistes (qui inspireront Proudhon et Marx). À sa libération, il fréquente le Club du Panthéon et les ex-Conventionnels « montagnards » du « groupe Amar », très surveillés par la police, et les rapproche de Babeuf et de ses amis, qui le sont davantage encore. Le 30 mars 1796, il est l’un des sept membres du « Comité insurrecteur des Égaux », où il critique vertement les tendances anarchistes de Sylvain Maréchal… la querelle est toujours ouverte qui oppose les communistes aux anarchistes !
Le complot étant infiltré dès ses origines par la police du ministre Charles Cochon de Lapparent, tout ce joli monde est arrêté le 10 mai 1796, puis jugé par la Haute-Cour de Vendôme, du 20 février au 26 mai 1797 : il ose nier l’existence d’un complot, ce qui lui vaut la déportation à vie. En fait, il est emprisonné à Cherbourg jusqu’en mars 1800, puis placé en résidence surveillée, à l’île d’Oléron puis dans les Alpes-Maritimes, jusqu’en 1806, où Napoléon Ier le fait élargir.
De 1806 à 1813, il anime une loge maçonnique à Genève, puis à Grenoble (en 1813-14). De retour à Genève en mai 1814, il vivote de leçons de piano et joue à l’oracle : il se présente comme la « mémoire vivante de la Révolution », excitant l’admiration des Carbonari. Expulsé de Genève, il vit à Bruxelles, de 1824 à 1830, et publie en 1828 son Histoire de la conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf, qui va faire rêver les socialistes et marxistes des XIXe et XXe siècles.
Autorisé à demeurer en France après la très bourgeoise révolution de 1830, il fait campagne contre le régime électoral censitaire (retrouvant les arguments du Robespierre des années 1790-92). Il influence Blanqui et Mazzini, encourageant les insurrections de Bologne et de Modène, en 1831.
On trouve dans les phrases prononcées par Napoléon Ier à Sainte-Hélène ce jugement sur l’homme qu’il avait croisé en Corse et à Toulon : « Fanatique de la liberté et niveleur, mais plein d’esprit, homme bon et simple ».