Choiseul par Monique Cottret
Monique Cottret, professeur émérite à l’université de Paris-Nanterre, a écrit de nombreux ouvrages sur le XVIIIe siècle dont notamment Culture et politique dans la France des Lumières et Histoire du Jansénisme. Avec ce nouvel opus consacré au duc de Choiseul (Tallandier), elle revient sur le parcours de celui qui fut le principal ministre de Louis XV pendant douze ans. Cynique, libertin, brillant, méchant et parfois guidé par de sombres desseins, c’est aussi et avant tout un grand seigneur amateur d’art et de belles choses.
À l’aise à la cour, véritable nid de vipères, redoutable dans sa capacité à manœuvrer et à manipuler, il sut se ménager le soutien, avec quelques réserves, de Madame de Pompadour. Cependant, il sous-estima la montée en puissance de Madame du Barry et perdit son affrontement avec elle. Conséquence : il fut disgracié par le Bien-Aimé et prié de retourner vivre dans son château de Chanteloup près d’Amboise.
Comprendre Choiseul c’est d’abord savoir ce qu’il pense. Cottret nous éclaire sur ce point : « Il déteste les Jésuites et il n’aime pas Rousseau, mais il ménage les jansénistes. »
L’auteur précise que « ces trois éléments l’ont rendu pour moi incontournable ». Le jugement de Choiseul sur l’auteur du Contrat Social est sans équivoque : « Il m’a toujours paru un charlatan de vertu ». En revanche, il apprécie Voltaire qui le lui rend bien : « Choiseul m’a écrit une fort jolie lettre ; mais il est si grand seigneur qu’il m’est difficile de l’aimer ». Le rédacteur de Candide écrit même : « Monsieur le duc de Choiseul doit être las de voir des gens qui demandent à Hercule sa massue pour tuer des mouches ». Les philosophes l’appréciaient grandement ce qui explique sûrement sa position face aux parlements…
L’auteur revient également sur les origines familiales du duc et rappelle que la Maison de Choiseul est une famille noble d’extraction chevaleresque citée en 1060. Originaire de Champagne et de Lorraine, le berceau familial est le village de Choiseul en Bassigny. Rappelons qu’un de ses ancêtres se distingue dès 1215 par une alliance prestigieuse, Raynard de Choiseul épousant Alix de Dreux, fille de Robert II, comte de Dreux et petit-fils du roi Louis VI le Gros, une princesse capétienne.
Choiseul est, avec le Cardinal de Fleury, « l’homme fort des premières décennies du règne. Il s’est maintenu douze années au pouvoir en un temps où l’instabilité était pourtant la règle. Il a joué le rôle de principal ministre, dominant les équipes gouvernementales et influant sur la diplomatie européenne ». Toutefois, Choiseul ne commit jamais l’erreur « de revendiquer le titre de Premier ministre ». Pourtant, il fut à la fois et tour à tour, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, ministre d’État, lieutenant général des armées du Roi, gouverneur de Touraine, surintendant des courriers, postes et relais de France, secrétaire d’État à la Guerre, secrétaire d’État à la Marine, colonel général des Suisses et des Grisons. Cottret écrit à ce sujet : « la simple description de sa carrière donne une idée de l’ampleur de la tâche accomplie. »
Comme le précise l’auteur « les biographies de Choiseul ne sont pas très nombreuses, contrairement aux travaux sur les Colbert ou les Louvois. Les ministres de Louis XV n’ont pas donné lieu à une grande production ». Cependant, les rares travaux qui lui sont consacrés abordent « des angles différents. Le personnage est tantôt brillant, cynique, sceptique, voire homme de gauche ». De ce que nous avons lu, compris et étudié, nous validons ce portrait. L’homme séduit de son vivant et même après sa mort.
Par exemple, Fernand Calmettes, éditeur de ses Mémoires, exprime cette jolie formule : « aimable et brillant jusque dans ses vices, car ses vilenies sont exemptes des mesquineries de la sottise ». Cela en dit long sur le personnage et ses valeurs, mais chacun se forgera son avis.
Ainsi, il n’est donc guère étonnant de lire le propos suivant : « Les historiens qui ont travaillé non sur sa personne mais sur le XVIIIe siècle se révèlent plus circonspects à son égard ». Effectivement, il convient de différencier l’homme et son action en tant que chef du gouvernement. À ce sujet, Cottret explique que « les spécialistes s’opposent sur l’évaluation de sa politique, sur le bien-fondé de ses choix ; s’ils considèrent avec intérêt son action diplomatique et ses efforts pour reconstruire l’armée et la marine, ils jugent généralement sévèrement son abandon face aux parlements ». Plus que d’abandon, nous préférons parler de complicité avec le Parlement de Paris. À son actif, n’oublions pas de citer l’acquisition de la Corse, terre natale de Napoléon Bonaparte… ce qui représente beaucoup pour l’histoire de France.
Revenons-en au jugement de l’œuvre de Choiseul par les historiens et citons Hubert Méthivier qui est « représentatif », selon l’auteur, de l’avis de ces derniers : « Le ministère Choiseul ? Douze ans de prospérité économique et de déclin politique ; coexistence d’un brillant essor matériel et d’un fléchissement monarchique au plus en 1770. Jamais le pouvoir royal ne fut si avili avant 1788 par l’audace parlementaire ». Il est donc indiscutable que « Choiseul reste inséparable de la fronde parlementaire ». Michelet, l’historien apôtre de la République, pointe son accointance avec les rebelles à l’autorité royale : « il est caractéristique pour ce siècle de l’esprit de voir à quel point un homme qui ménageait si peu le roi ménageait tant les salons et s’en occupait sans cesse ». Citation éclairante qui ne provient pourtant pas d’un panégyrique de la monarchie. C’est dire l’attitude de Choiseul à l’encontre de Louis XV.
Quel que soit le jugement des uns et des autres sur son action, Choiseul se montre « un homme de cabinet, un dévoreur d’archives – bref, un travailleur ». De plus, il disposait « d’une immense fortune personnelle qui lui donnait une incontestable liberté ». Son éducation, son intelligence, sa rapidité d’esprit et ses réseaux (familiaux, d’affaires et politiques) le plaçaient au-dessus de la masse. Pas étonnant qu’il fut l’un des hommes les plus en vue de son époque, aimé voire adulé par certains et détesté par d’autres.
Le duc de Choiseul avait à cœur de vivre en aristocrate, constamment soucieux d’affirmer son rang et de défendre l’orgueil de sa caste, non seulement par la politique mais aussi en tant qu’amateur des arts et des œuvres culturelles. À ce titre, sa collection personnelle se montre magnifique, belle et impressionnante. Cottret nous dresse avec un réel talent le portrait vivant d’un important homme d’État au siècle, étonnamment appelé, des Lumières…
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