Que cent fleurs s’épanouissent !
En Chine, en 238 avant JC, le roi Cheng, de la principauté de Qin (prononcer « tchin » à l’origine du nom de la « Chine »), commençait une série d’annexions devant amener vers – 221 à la création du Premier Empire de Chine, mettant ainsi fin à la longue période précédente des Royaumes Combattants et à l’émiettement de la Chine pré-impériale.
C’est Cheng, le premier empereur qui construit la Grande Muraille de Chine originelle, maintes fois détruite, reconstruite à des endroits différents.
En outre, Cheng réanima une ancienne tradition chinoise destinée à susciter une critique libre du peuple et l’inciter à exprimer toutes les critiques dans une période déterminée, sur tous les sujets politiques économiques ou sociaux. Cette démarche de « démocratie participative » avant l’heure, effectuée dans un contexte de crise ou de conquête déstabilisant, avait pour objet de créer une unité et un ensemble de valeurs communes nées des propositions et avis différents du, ou des, peuples, que le roi, ou l’empereur dans le cas de Cheng, recevait, comme un symbole de sa compréhension de tous les drames qui frappaient son peuple. Enfin, cette expression directe à l’empereur permettait de passer au-dessus des niveaux locaux de l’administration chinoise.
Ce cérémonial appelait à « l’éclosion » ou à la « lumière » « les Cent Fleurs ». Son objectif : résoudre par l’expression libre une situation conflictuelle avérée ou larvée.
La réalité de la manœuvre, sous couvert de liberté de l’expression, permettait, après avoir identifié les opposants à l’Empereur, de les réduire plus facilement au silence ou à néant, par des moyens violents la plupart du temps, comme on peut l’imaginer dans le contexte de la Chine ancienne.
Cette tradition de l’Antiquité chinoise fut à nouveau réhabilitée de février à juin 1957 par le Président Mao, suite aux tensions du 8e Congrès du PCC en 1956, à la déstalinisation et aux critiques populaires qui risquaient, pour des causes diverses, de remettre en cause les acquis du nouveau communisme chinois.
Cette « campagne de rectification » – sous-entendu des erreurs du Parti – prit aussi le nom traditionnel de la « Campagne des Cent Fleurs ».
Pendant quatre mois, le mécontentement du peuple chinois put ainsi s’exprimer librement, chacun devant dire les critiques qu’il jugeait nécessaire, faire des propositions : le gouvernement s’en servirait pour améliorer son action et accomplir les réformes nécessaires. Comme l’avait déjà proclamé Cheng, deux mille ans plus tôt et avec la même finalité.
À partir d’août 1957, la répression de Mao frappa donc plusieurs centaines de milliers d’opposants clairement identifiés par les Cent Fleurs (on évoque même quelques millions de morts ou déportés).
En outre, la Campagne des Cent Fleurs avait permis de renforcer le pouvoir de Mao sur son entourage. Il s’ensuivit la politique catastrophique du « Grand Bond en avant » (1958/1960) et la terrible famine qui fit plus de 20 millions de morts.
Un autre exemple chinois remonte à la seule impératrice que la Chine ait connue. L’impératrice Wu Hou, « Impératrice du Ciel » autoproclamée, régna longuement au VIIe siècle sur un programme séduisant qui comportait notamment un article 6 qui ouvrait « largement les voies à une libre critique ».
Cette splendide liberté d’expression était prolongée d’un article 7 qui prévoyait, lui, de « fermer la bouche aux calomniateurs ». Éternel sujet qui autorise la liberté d’expression à condition qu’elle soit conforme aux vérités officielles, faute à être dénommée de « fake news »…
Ô tempora ! Ô mores ! Comparaison n’est pas raison dit-on. Mais les temps, les lieux, les mœurs et les régimes changent-ils vraiment les ressorts de la politique ? Nicolas Machiavel reste toutefois pour l’Occident très en deçà des préoccupations habiles des anciens Chinois toujours inégalés. L’empereur Cheng et l’impératrice Wu Hou restent des exemples, même si les solutions n’entraînent plus les mêmes mesures expéditives.
Quoique…
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