19 janvier 2021

Qui se préoccupe encore de l’Arménie ?

Par Georges Feltin-Tracol

Chronique hebdomadaire du Village planétaire

Entre le 28 septembre et le 10 novembre 2020, l’Azerbaïdjan agressa l’Arménie et sa république-sœur, l’Artsakh. Le cessez-le-feu obtenu par la médiation russe entérine la défaite cinglante des valeureuses forces arméniennes. Le texte efface plus que trois décennies de présence chrétienne au Haut-Karabakh.

L’argent des hydrocarbures de la Caspienne a permis à l’Azerbaïdjan d’acquérir au cours de toutes ces années un matériel de guerre sophistiqué, en particulier de redoutables drones de combat d’origine israélienne et turque, ainsi qu’un savoir-faire militaire transmis par des conseillers là encore turcs et israéliens. Avant l’arrêt des combats, au mépris des traités internationaux, la coalition turco-azérie n’hésita pas à employer des armes à sous-munitions, des bombes au phosphore et des gaz de combat.

Supérieures sur les plans numérique et technique, les troupes azéries ont repris le contrôle de plusieurs zones-tampons dont les districts d’Agdam et de Kelbadjar. La débâcle arménienne prouve par ailleurs l’absence flagrante de réactivité du gouvernement d’Erevan plus soucieux de contenir préventivement la légitime colère populaire que de passer à la contre-offensive générale.

Les hostilités dans le Caucase concerne tous les Albo-Européens en général et les Français en premier lieu. Le succès militaire azéri marque le troisième triomphe en quelques mois du président turc Recep Tayyip Erdogan. Fort de l’élection de son poulain, Ersin Tatar, à la présidence de la République turque de Chypre du Nord et de son soutien armé décisif au Gouvernement de transition d’Al-Sarraj en Libye, le chef d’État turc réalise une presque continuité territoriale du Bosphore, voire des bords de l’Adriatique via l’Albanie, aux frontières de la Mongolie en passant par l’ancien Turkestan centrasiatique grâce au corridor de Meghri garanti par Moscou. Le président Erdogan dévoile progressivement sa vision du monde, un dépassement synthétique des héritages ottoman, islamiste et pantouranien.

Force est de constater que, toujours prompte à condamner les incendies forestiers en Amazonie ou à protester des vexations faites aux Rohingyas au Myanmar, la fausse Union européenne se tait. Elle craint l’éventuelle agitation de plusieurs centaines de milliers de résidents d’origine turque. Anticipant l’épuration ethnique qui s’annonce, les chrétiens de l’Artsakh fuient les régions reconquises, brûlent leurs maisons, emportent avec eux les restes de leurs défunts et se réfugient dans une Arménie économiquement exsangue. Le fiasco est complet pour l’Union soi-disant européenne et la « Ripoublique » hexagonale.

Certes, la France et la Grèce ont apporté un soutien moral et humanitaire au peuple arménien. Était-ce suffisant ? Les avions de combat français Rafale n’auraient-ils pas dû maîtriser l’espace aérien caucasien ? Pourquoi des soldats français meurent-ils au Sahel dans une relative indifférence hexagonale sans oublier l’incompréhension grandissante des autres États membres d’une Union européenne fantoche alors qu’ils devraient se battre aux côtés des résistants arméniens en Artsakh ? L’absence de tout gisement minier et pétrolier expliquerait-elle cette scandaleuse inaction ?

À la fin du XIXe siècle, les massacres ottomans contre les Arméniens et d’autres minorités chrétiennes unirent dans la même indignation le socialiste Jean Jaurès et le nationaliste Maurice Barrès. Aujourd’hui, on attend toujours la réaction de l’« Intouchable » histrion cinématographique expatrié fiscal en Californie et du bouffon tricolore des terrains de football, plus sensible, il est vrai, à la cause des Ouïghours en Chine.

Ce conflit anciennement gelé confirme enfin l’inanité de tout projet d’« Europe de la défense » peu ou prou lié à l’OTAN à laquelle appartient toujours la Turquie. L’un de ses plus importants membres, la Grande-Bretagne, a osé voter au Conseil de sécurité de l’ONU contre la résolution de cessez-le-feu. Les services secrets de Londres seraient à l’initiative du déclenchement des hostilités.

L’abomination anglo-saxonne entrave toujours la volonté des peuples. Londres a partagé l’Empire des Indes et rejeté autant le « Miatsum » (l’union de tous les Arméniens) que l’« Énosis » gréco-chypriote. Outre l’Union non-européenne, l’Alliance Atlantique n’est donc pas la seule à être en « mort cérébrale ». L’Occident l’est aussi.

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