3 août 2016

Où en est-on du putsch manqué en Turquie ?

Par Nicolas Gauthier

 

Un clou médiatique chassant généralement l’autre, quid du golpe ayant tenté de renverser le président Recip Erdogan, passé en pertes et profit par une actualité franco-française plus immédiate ? Militaires « laïcs et kémalistes » tentant de renverser un gouvernement « islamo-conservateur » ? Ou lutte interne entre diverses fractions musulmanes au sein même du pouvoir ? Comme toujours, la vérité est plus complexe.

  • Le putsch en question a échoué parce qu’il ne pouvait pas réussir. Nous ne sommes plus dans la Turquie des années 80 du siècle dernier, quand une armée toute-puissante faisait et défaisait les régimes, sans que l’opinion internationale ne s’en émeuve plus que ça.
  • Quoiqu’on puisse penser du président Erdogan, en train de mettre en place une sorte « d’autocrature », néologisme formé par quelques médias occidentaux, pour une fois mieux inspirés que d’habitude, il n’empêche que le pouvoir en place demeure largement populaire. Ce pour la simple raison qu’il a de longue date privilégié la Turquie d’en bas (Anatolie et Cappadoce), plutôt que l’appartement témoin stambouliote, vitrine sur laquelle se focalisent les partisans de l’entrée de la Turquie en notre Vieux continent. Bref, le peuple turc, celui des « invisibles », a toujours plébiscité Erdogan, nonobstant nos élégances médiatiques.
  • Ensuite, au cœur de ce coup d’État, la puissante fraternité Gülen, fondée par un imam d’obédience soufie et vivant depuis longtemps aux États-Unis, principale caution religieuse du régime, caution retirée depuis la répression musclée des émeutes de la Place Taksim, lorsque l’un des derniers espaces verts de l’historique capitale turque manqua d’être transformé en centre commercial après préalable bétonnage.
  • Cette légitimité n’est pas rien, ce qui explique mieux la suite des événements. Vu de France, cela peut paraître anecdotique. Mais là-bas, le poids des confréries est puissant ; même plus que celui de l’armée. Et vu d’Europe, ce n’est pas sans incidence non plus.
  • 9 février 1913 : Un coup d'État à Constantinople.

    9 février 1913 : Un coup d’État à Constantinople.

     

  • Ainsi, en matière d’afflux de vrais ou de faux réfugiés, la Turquie demeure encore maîtresse du jeu, peut fermer le robinet ou le rouvrir à grande eau. Là, le président Erdogan, qui n’ignore rien des véritables rapports de force, préfère traiter avec le patron plutôt qu’avec ses employés : autant dire qu’il décroche plus souvent son téléphone pour appeler Berlin que Paris.
  • Seulement voilà, le conte de fées à l’eau de rose de ces centaines de milliers de réfugiés ne fait plus rire personne, même pas Angela Merkel, qui commence actuellement à perdre la main, fut-ce au sein de sa propre coalition. Des centaines de milliers de gueux, mais CSP+ (catégories socio-professionnelles favorisées), qui auraient pu soutenir l’industrie allemande tout en finançant le déficit de son régime de retraite, et comblant au passage son traditionnel déficit démographique, c’était la bonne affaire pour qui voyait la chose les yeux tout grands fermés.
  • Entre-temps… l’impondérable : la tentative de partouze pas tout à fait consentie à Cologne, quelques attentats terroristes, même en Turquie. Et c’est là aussi que cette dernière paye ses errements diplomatiques : bombarder officiellement l’État islamique tout en l’armant officieusement et en n’attaquant, par ailleurs, que les positions kurdes, seuls véritables remparts contre ce même État islamique. Rapprochement avec Israël tout en entretenant des relations de plus en plus glaciales avec Téhéran. En bon français, on appelle ça la politique de Gribouille. Un peu pris à son propre piège, le président Recep Erdogan déplore aujourd’hui le soutien des plus chichement compté des chancelleries occidentales quant au putsch plus haut évoqué.
  • Il était donc logique que la puissante fraternité Gülen, non sans raison suspectée d’être une sorte d’État dans l’État, ne se mêle de la partie, sachant que dans une direction bicéphale, il est fréquent qu’à défaut d’une constitution clairement établie, tel qu’en Iran, l’une de ces deux tendances ne puisse survivre qu’en éliminant l’autre. Cela s’est déjà vu du temps des Janissaires, autre corps de soldats chrétiens qui, arrachés à leurs familles et élevés dans le culte de l’empire dès sevrage, n’ont cessé d’infiltrer le Califat avant de tenter de le renverser à plusieurs reprises. Si l’histoire ne repasse pas toujours les plats, il peut lui arriver de bégayer…
  • Et l’Europe, dans tout ça ? L’Allemagne à la ramasse et la France partie à l a cueillette aux fraises.

Même Bernard Kouchner aurait fait mieux.

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