L’Europe puissance nucléaire ?
par Jean-Claude Empereur.
Dans une déclaration à l’agence Reuters, Roderich Kiesewetter, député CDU au Bundestag et porte-parole de son parti pour les affaires de défense et de sécurité a plaidé, avec force, pour la mise en œuvre d’une politique indépendante de défense nucléaire de l’Europe.
Il justifie sa position par la crainte que représente, à ses yeux, le risque que feraient courir, selon lui, la stratégie isolationniste de Donald Trump et les distances que celui-ci envisage de prendre avec L’OTAN.
“ Le bouclier nucléaire américain, ainsi que les garanties de sécurité nucléaires sont impératives pour l’Europe. Mais si les États-Unis ne veulent plus assurer ces garanties, l’Europe, doit organiser, par elle-même, cette protection à des fins de dissuasion »
Dans ces conditions “L’Europe doit dès maintenant, ajoute-t-il en substance, lancer son propre programme de sécurité nucléaire dans le cas où les Américains augmenteraient drastiquement le coût qu’ils feraient supporter aux Européens pour leur participation à la défense de leur continent, voire s’ils décidaient tout simplement, d’abandonner complètement cette défense »
Précisant sa pensée le porte-parole de la CDU indique qu’un parapluie nucléaire franco-britannique pour l’Europe serait certes couteux mais pourrait être financé au moyen d’un budget militaire européen commun des 2019. Sans trahir son idée on peut penser qu’il imagine essentiellement un soutien allemand au financement et au développement technologique et stratégique de cette force de dissuasion commune.
Dans un papier intitulé « Le foncièrement impensable » paru dans l’édition du 28 novembre dernier du quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) le coéditeur Berthold Kohler, plaide pour une révision générale de la politique étrangère allemande, notamment de certains aspects de sa politique de sécurité et la définition d’une « nouvelle voie » consistant notamment en une hausse des dépenses militaires , une relance du service militaire obligatoire , et quelque chose qui est pour « les esprits allemands totalement inconcevable, la question de notre propre dissuasion nucléaire »..
Dans cet article le FAZ fait un pas de plus, en effet selon Köhler, les « arsenaux français et britanniques [sont] trop faibles dans leur état actuel ». Ainsi que le Spiegel y avait fait allusion avant les élections américaines, le coéditeur du journal demande que l’Allemagne dispose de sa propre arme nucléaire en avançant, lui aussi, l’argument de Roderich Kiesewetter du « retrait de l’Amérique du monde », supposé se poursuivre et s’intensifier sous l’administration Trump.
Il n’est guère possible, dans le cadre de cet article, d’analyser toutes les conséquences de ce qui, à l’évidence, apparait être un ballon d’essai destiné à préparer les opinions allemandes et internationales à un changement considérable de posture stratégique.
Il est évident que dans les deux cas de nombreuses réactions pour la plupart très hostiles à ce changement de posture vont se faire jour, tant de la part des Américains ou des Russes que de l’opinion allemande ou européenne.
Mais il est clair également que cette attitude de certains dirigeants allemands de la nouvelle génération, très éloignée de la « culture de la retenue » et de la politique « d’oubli de la puissance » (Machtvergessenheit) qui prévalait depuis la fin de la seconde guerre mondiale marque la fin d’un monde .
Le Livre blanc sur la politique de sécurité de l’Allemagne et l’avenir de l’armée fédérale, adopté en 2006 annonçait cette évolution en soulignant que « du fait sa taille, de son poids démographique, de sa force économique et de sa situation géographique au cœur du continent, l’Allemagne unie doit jouer un rôle important dans l’élaboration du projet européen de demain et même bien au-delà ».
Cette nouvelle vision doit être prise pour ce qu’elle est : la prise en considération des exigences du réalisme géopolitique, de l’évolution du monde vers la multipolarité de la nécessité pour l’Union européenne de sortir du confort de son discours lénifiant, jamais abouti, sur la Politique européenne de défense. En effet, chacun sait que si elle doit être définie un jour, sous la pression des événements, et ce jour n’est peut-être pas très éloigné, elle ne pourra s’appuyer que sur quelques « puissances pivots », au premier rang desquelles se trouvent la France, le Royaume Uni et l’Allemagne sans oublier la nécessité d’un partenariat de sécurité collective avec la Russie.
Le caractère relativement ambigu en même temps que provocateur de la proposition allemande a le mérite de forcer à la réflexion. Il s’inscrit dans ce vaste mouvement de remise en mouvement des idées, des peuples et des forces qui travaillent le monde depuis quelque temps.
Article paru sur le site Breizh info.
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