L’État islamique n’est plus. Et après ?
Nicolas Gauthier, chroniqueur politique sur le site BVoltaire, est également sociétaire de l’émission « Bistrot Libertés » sur TVLibertés. Il intervient régulièrement sur RadioLibertés et EuroLibertés..
(Propos recueillis par Guillaume Mansart)
L’invitation d’Emmanuel Macron au Premier ministre supposé démissionnaire du Liban a-t-elle vraiment retiré une épine du pied de la diplomatie saoudienne ?
D’une certaine manière, oui. Ryad ne savait plus que faire de Saad Hariri. Otage ? Pas otage ? Tout cela devenait grotesque. Quand, en 2005, son père Rafic Hariri, lui aussi Premier ministre libanais devient gênant pour Damas, les services secrets syriens l’éliminent purement et simplement. C’est la froide logique des États. Radicale et efficace. Mais là, on voit bien que les Saoudiens ont encore beaucoup à apprendre en la matière, sachant que la seule chose qui puisse justifier la forfaiture demeure le succès. Alors oui, Emmanuel Macron a rendu un signalé service à Ryad. D’une certaine manière, la France reprend pied au Proche et Moyen Orient. Car « en même temps » que sa visite surprise en Arabie Saoudite, le Président annonce qu’il se rendra de manière autrement plus officielle à Téhéran ; une première depuis 1971. Et, toujours « en même temps », il critique le programme balistique iranien, l’assurance-vie de ce pays en cas d’agression aérienne, tout en sachant que ces reproches ont vocation à demeurer lettre morte. C’est grâce à ce rééquilibrage que, pour l’instant, la voix de la France est à nouveau entendue. Après les mandats catastrophiques de Nicolas Hollande et de François Sarkozy, il était temps.
Que penser du prince héritier Mohammed Ben Salmane et de ses annonces pour « ouvrir » la société saoudienne… Volonté réelle ou simple écran de fumée ?
Ni l’une ni l’autre, il n’a tout simplement pas le choix. L’ancestrale alliance conclue en 1945, le fameux Pacte de Quincy, fait partie de l’histoire ancienne. Ce lien entre Ryad et Washington a fait son temps. Surtout depuis le 11 septembre 2001, quand la CIA s’est enfin rendue compte – ou a fait semblant de le faire – que les terroristes ayant frappé le territoire américain étaient en grande majorité saoudiens et qu’Al Qaeda était financée par des capitaux saoudiens. Tant que cette organisation semait le trouble aux frontières de la Russie et de la Chine, tout allait bien. Mais quand elle a commencé à s’en prendre aux intérêts américains, tout a commencé à changer. Donc, lorsque Donald Trump exige du prince Ben Salmane qu’il change radicalement de politique, ce dernier n’a d’autre choix que d’accepter : on ne mord pas la main qui vous nourrit et encore moins celle qui vous protège.
Voilà pour la politique extérieure du royaume. En interne, Mohammed Ben Salmane n’a pas non plus le choix. La société saoudienne est malade, structurellement malade et non point seulement de manière conjoncturelle. La pauvreté gagne de plus en plus de terrain et la rente pétrolière ne suffit plus à acheter la paix sociale. La proportion de travailleurs immigrés est telle que les Saoudiens sont désormais quasiment minoritaires en leur propre pays. Leur armée, même suréquipée, est totalement incompétente, tel qu’en témoigne le bourbier yéménite ; quant à leurs services secrets, ils sont la risée de leurs collègues du monde entier. Au sommet de l’État, la famille régnante pouvait gouverner lorsqu’elle n’excédait pas quelques dizaines de membres : on les compte désormais par milliers. Pour tout arranger, les Saoudiens n’exportent rien, hormis du pétrole. Tout le reste est importé, du papier toilette jusqu’aux téléviseurs en passant par les cure-dents. Du point de vue du soft power, ce fameux pouvoir culturel, c’est le vide absolu. Pas d’écrivains, de cinéastes, de peintres, d’intellectuels : juste des prêcheurs wahhabites prônant un islam ayant toujours été jugé hérétique par les philosophes et les théologiens musulmans. Le pétrole ne se boit pas plus que les dollars ne se mangent. Il y a donc péril en la demeure.
C’est à ce gigantesque chantier que Mohammed Ben Salmane doit s’atteler. Or, on ne saurait changer une société du tout au tout en quelques années. Mais il faut bien commencer un jour. Tel est le défi de ce prince promis à être roi.
Vous écriviez récemment que l’embargo occidental contre l’Iran n’a pas eu que du mauvais ? C’est-à-dire ?
C’est une confidence que m’a faite l’ancien ambassadeur iranien à Paris, à l’occasion d’un entretien auquel le maire de Béziers, Robert Ménard, était d’ailleurs convié. Durant l’époque du Shah, la situation iranienne d’alors était comparable à celle, actuelle, de l’Arabie Saoudite. Un pouvoir aux ordres de Washington. Une rente pétrolière faisant croire qu’il était vain de développer de véritables industries. À cause, ou grâce à l’embargo décrété par l’Occident à la suite de l’arrivée aux affaires de l’ayatollah Khomeiny, il a fallu repartir de rien, afin de produire sur place les biens de consommation les plus élémentaires. En plus, il y avait la guerre contre l’Irak, téléguidée par Washington. Tout le peuple a dû se remettre au travail. Aujourd’hui, l’Iran est le seul pays de la région ayant créé sa propre marque d’automobiles. Ils forment leurs propres ingénieurs, leurs propres scientifiques. Leur tissu de petites et moyennes entreprises, d’une densité propre à faire pâlir nombre de pays européens, coopère avec les grands consortiums d’État. Bref, tout ce que le FMI déconseille de faire !
Croyez-vous possible un risque d’embrasement imminent du Moyen-Orient ou la parenthèse de l’État islamique aura-t-elle calmé tout le monde pour un certain temps ?
Un embrasement global et immédiat, non. Pas par optimisme béat, mais tout simplement parce que personne n’y a intérêt. Le retour en force de la Russie et de l’Iran en Orient est désormais acté. Ce nouvel équilibre, tout le monde y trouve plus ou moins son compte. Les USA, plus préoccupés par la Chine, se désintéressent depuis longtemps de la région. Ryad admet malgré tout que Téhéran soit devenu une donnée incontournable de l’équation. Ankara a pris acte de cette redistribution des cartes. Demeure une inconnue : Israël très prudent depuis le début du conflit. Bien sûr, il y a les gesticulations diplomatiques sur le nucléaire iranien. Mais entre eux, et ce dès que Benyamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, a le dos tourné, les experts de Tsahal, du Shin Beth et du Mossad conviennent que l’Iran n’est pas une menace majeure. Et, surtout, savent mieux que quiconque, que Tel Aviv et Téhéran ont été des alliés de longue date, ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas arabes ; ce qui vaut d’ailleurs pour Ankara, autre partenaire privilégié de l’État hébreu ayant toujours su ménager Téhéran.
Dans les colonnes du site Boulevard Voltaire, désolé de l’autocitation, je rappelais cette phrase de la chercheuse Sima Shine, ancienne responsable du Mossad, qui, interrogée par l’agence Reuters, affirmait récemment : « Israël ne déclenchera pas une guerre au Liban pour le compte de l’Arabie Saoudite. Nous préférons que le calme perdure à notre frontière, comme c’est le cas depuis dix ans. Le Hezbollah n’a pas non plus intérêt à déclencher une guerre contre Israël. »
Voilà le genre de signal qu’un pays tel qu’Israël sait envoyer de temps à autre.
En revanche, des conflits locaux et sporadiques peuvent éclater dans un proche avenir. En Syrie et en Libye, entre clans et factions rivales. Mais surtout en Irak, là où la minorité kurde entend tirer les bénéfices politiques de son engagement militaire contre l’État islamique. La Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran, pays dans lesquels se répartit le peuple kurde, peuvent certes tolérer une autonomie relative, mais une indépendance formelle, non. Si un conflit de forte intensité devait éclater, ce serait bien celui-ci.
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Philippe Randa,
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