Le Brexit « commercial », mal parti ?
Alors même que l’Europe se détricote, que les pays asiatiques se tournent vers Bruxelles, plutôt que vers Londres, Juncker déclare ne pas vouloir rester à la tête de la Commission au-delà de 2019…
Lors d’une conférence organisée par l’Institut Européen d’Études Asiatiques, le 8 février 2017 à Bruxelles, intitulée « Brexit : conséquence pour l’Asie », certains pays asiatiques et pas des moindres, l’Inde, le Vietnam en tête, une économie émergente de l’ASEAN, ont annoncé leur intention de continuer à renforcer leurs liens avec l’Union des 27 après le Brexit, et ce, en dépit d’une possible ouverture du marché britannique.
De fait, ni l’Inde, ancienne colonie britannique, ni le Vietnam – sur le point de ratifier un accord de libre-échange sans précédent avec l’UE – n’ont semblé être disposés à entretenir d’éventuelles relations économiques avec un Royaume-Uni hors UE.
L’ambassadeur Manjeev Singh Puri, représentant de l’Inde auprès de l’UE, a déclaré : « Pour l’Inde, entretenir des relations avec 28 États membres serait mieux… mais avec 27, c’est déjà énorme. Colossal. Cela va sans dire. »
L’Ambassadeur a aussi rappelé que le Royaume-Uni avait un déficit de balance commerciale considérable avec l’Inde.
En outre, le référendum sur le Brexit du 23 juin dernier a eu pour « conséquence immédiate » de laisser « l’Inde prendre la place de la Grande-Bretagne en tant que sixième économie du monde, à la suite de la chute de la livre sterling ». Il a par ailleurs rappelé à quel point l’UE était un partenaire crucial pour son pays et a insisté sur l’importance du rôle de l’institution pour l’établissement de réglementations.
L’ambassadeur vietnamien auprès de l’UE (également ancien ambassadeur au Royaume-Uni), Vuong Thua Phong, a fait remarquer que le Royaume-Uni n’était pas « un partenaire comme les autres » pour le Vietnam ; les relations entre les deux pays ont débuté seulement dans les années 1970, lorsque le Royaume-Uni a adhéré au G7 et espéré « que les ministres britanniques ne s’étaient pas trompés en disant qu’ils quittaient « l’UE et non l’Europe. »
Toujours selon l’ambassadeur, le Vietnam s’est montré « très intéressé par la ratification d’un traité de libre-échange avec l’UE avant le Brexit ». L’Ambassadeur s’est par ailleurs interrogé sur « l’intégrité du Royaume-Uni » en vue d’un éventuel « deuxième référendum écossais. »
D’une manière générale, certains experts européens, au vu des quatre catégories de traités de libre-échange de l’UE, de ceux qui existent déjà ou ont été ratifiés aux traités « dormants », actifs ou à venir, considèrent que le Royaume-Uni continuera probablement à soutenir les négociations en cours (avec le Japon, les pays du Mercosur, l’Indonésie, les Philippines, le Mexique et la Tunisie) tant qu’il sera membre de l’UE, pour ensuite les transposer sous forme d’accords bilatéraux. Par ailleurs, ils estiment aussi que divers traités, qui doivent être révisés, n’aboutiront pas avant la date du Brexit, en 2019.
En tout état de cause, il reste « très peu de pays avec lesquels le Royaume-Uni pourrait avoir une liberté d’action totale », c’est-à-dire avec lesquels il serait en mesure de négocier des accords en ne se basant sur aucun modèle préexistant.
Lors de cette manifestation, le responsable de la politique de commerce international de l’association du commerce extérieur, Pierre-Michael Groening, a déclaré : « Je crains fort que les entreprises britanniques pâtissent du Brexit », devant une audience de quelque 60 universitaires et chefs d’entreprise.
Pour le responsable de la politique commerciale, étant donné que l’économie du Royaume-Uni dépend en grande partie du secteur tertiaire et non du secteur manufacturier ou énergétique, il sera difficile de trouver de nouveaux marchés pouvant faire l’objet d’un accord.
De son côté, trois jours après cette manifestation, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé qu’il ne briguerait pas un deuxième mandat en 2019, en dressant un sombre tableau de la situation de l’UE, dans une interview à la radio publique allemande Deutschlandfunk.
Son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. Dans cet entretien, M. Juncker a tiré un sombre bilan de l’état de l’Europe. « Est-ce que le moment est venu où l’Union européenne des 27 doit montrer de l’unité, de la cohésion et de la cohérence ? », s’est-il interrogé.
« Oui, je dis oui s’agissant du Brexit ou de Trump, […]. Mais j’ai quelques doutes justifiés que cela arrive vraiment », a-t-il ajouté.
Pour M. Juncker, l’UE évolue dans des directions différentes selon les pays, qui sont difficilement compatibles entre elles. « Les Hongrois et les Polonais veulent-ils exactement la même chose que les Allemands ou les Français ? J’ai de grands doutes », a-t-il souligné.
L’ancien chef du gouvernement luxembourgeois s’est inquiété en particulier des risques de divisions sur les conditions de sortie de la Grande-Bretagne.
« Les Britanniques vont réussir, sans trop de difficultés, à diviser les 27 autres pays de l’UE », a estimé M. Juncker.
« Les Britanniques savent déjà très bien comment s’y prendre », a-t-il ajouté, « on promet telle chose à l’État A, telle autre à l’État B et encore autre chose à l’État C et au final il n’y a pas de front uni européen. »
- Juncker a admis avoir eu pour ambition au début de son mandat de faire remonter la confiance des opinions publiques dans le projet européen.
« Et à présent me voilà occupé, plusieurs heures par jour, à planifier la sortie d’un État membre, ce n’est pas un travail d’avenir », a-t-il dit.
Le président de la Commission a dans le même temps réaffirmé que la Grande-Bretagne n’avait pas le droit de commencer à négocier des accords commerciaux séparés, alors que les États-Unis lui ont déjà fait miroiter un traité en ce sens.
« Nous ne devrions pas autoriser les Britanniques à faire comme s’ils pouvaient déjà conclure seuls des traités commerciaux avec d’autres parties car ils n’en ont pas le droit, a dit M. Juncker, tant que la Grande-Bretagne est membre de l’UE la politique commerciale est du ressort de l’UE. »
Un Royaume-Uni exigeant, mais somme tout menacé et internationalement affaibli en cas de Brexit « dur », une Europe qui se détricote face aux nouveaux défis et la figure de proue de l’Union européenne qui annonce déjà son renoncement. Tous ces éléments laissent particulièrement inquiets, alors que l’Europe plus que jamais, aurait besoin d’un cap clair et d’une volonté forte.
Vous avez aimé cet article ?
EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.
Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.