Le Chevalier au lion et le génie de la canicule
Nous voici à nouveau en période de canicule ; celle-ci rend dépressif (pic de suicides en août), peut tuer même et causer des guerres (août 1914…) et elle a toujours été redoutée. Les païens de jadis savaient comment l’encadrer, nos écrivains médiévaux aussi, puisque le plus grand d’entre eux, Chrétien de Troyes, consacra son meilleur roman au Chevalier au lion qui l’accompagne.
Voyons le dictionnaire : canicule vient du latin Canicula, qui signifie « chien », en liaison avec Sirius, étoile principale de la constellation du Grand Chien. Elle ne concerne donc à l’origine que la période annuelle du 24 juillet au 24 août, où cette étoile se couche et se lève en même temps que le Soleil, ce qui avait laissé penser aux Anciens qu’il existait un lien entre l’apparition de cette étoile et les grandes chaleurs.
Dans la Rome antique, le début de la canicule était célébré par la fête de Neptunalia (le 24 juillet), on lui attribuait de mauvaises influences (maladies causées par la chaleur et hurlements des chiens) et on tentait de conjurer l’influence néfaste de Sirius sur les moissons en immolant des chiens roux comme le Soleil. La canicule s’achevait par la fête de Vulcania le 24 août ; c’est notre triste saint Barthélémy…
La canicule est liée au chasseur Orion. Le nom Sirius vient du grec « Σείριος » via le latin Sirius, signifiant « ardent ». C’était le nom du chien que possédait le personnage de la mythologie grecque Orion éponyme de la constellation Orion, qui se situe à proximité immédiate de Sirius, qui lui-même fait partie du Grand Chien. Orion et le Grand Chien furent placés dans le ciel à la suite du décès du grand chasseur.
Nous en venons au Chevalier au lion inspiré par des légendes celtiques. Pour avoir raté un rendez-vous courtois après la Saint Jean, un chevalier est éconduit par sa belle (une fée qui commande au Temps avec sa savante servante Lunette – petite Lune) et devient fou. Il retrouvera son équilibre avec son lion et vaincra les épreuves.
L’universitaire Philippe Walther croit à l’inspiration folklorique, et c’est heureux. Il écrit dans sa très belle notice de la Pléiade : « Ce conte adapte, selon toute vraisemblance, les résidus d’un vieux mythe saisonnier d’origine celtique selon lequel un roi est appelé à être remplacé, grâce au meurtre rituel accompli sur sa personne, en période de Canicule. L’épreuve rituelle consiste en un défi cosmique (la fontaine aux tempêtes) suivi d’un combat à caractère eschatologique. En outre, selon la conception celtique, c’est l’union avec la fée qui procure au prétendant sa souveraineté. »
Philippe Walther souligne l’importance solaire et astrologique de l’événement : « La date du premier juillet – huit jours après la Saint Jean – retenue pour ce délai fatidique partage d’ailleurs l’année en deux moitiés égales, marquant ainsi une échéance médiane symbolique : Yvain se trouve alors au carrefour de son destin… Dans la tradition astrologique, le Lion solaire de l’été est le signe royal par excellence. En rencontrant et en acceptant le compagnonnage du lion, Yvain découvre son affinité profonde pour cet animal conquérant ».
Et il ajoute cette note très importante : Yvain est conçu lors de la nuit de Samain, au 1er novembre, pour naître lors de la fête de Lug, le 1er août donc.
Voici ce que je note dans mon livre La chevalerie hyperboréenne et le Graal publié chez Dualpha : « Dans le même texte d’Yvain, solaire et initiatique à souhait, on connaît la panique solsticiale et la peur du dérèglement cosmologique et temporel. »
C’est la folie d’Yvain qui arrive trop tard après la Saint-Jean, et qui n’a pas obéi à sa Dame conçue ici comme Reine du Ciel et des cycles naturels (il n’a pas non plus été le bon gardien de la source fervente).
En réalité la folie d’Yvain est solsticiale et elle est liée à la Saint-Jean estivale qu’il n’a pas respectée. Ce terme produit le châtiment astrologique de sa Dame. Voici ce que dit Guénon sur cette Saint-Jean liée au Baptiste : « Bien que l’été soit généralement considéré comme une saison joyeuse et l’hiver comme une saison triste, par là même que le premier représente en quelque sorte le triomphe de la lumière et le second celui de l’obscurité, les deux solstices correspondants n’en ont pas moins, en réalité, un caractère exactement opposé à celui-là… En effet, ce qui a atteint son maximum ne peut plus que décroître, et ce qui est parvenu à son minimum ne peut au contraire que commencer aussitôt à croître ; c’est pourquoi le solstice d’été marque le début de la moitié descendante de l’année, et le solstice d’hiver, inversement, celui de sa moitié ascendante. »
Guénon justifie ensuite la course malheureuse de notre Yvain arrivé après la fin juin, pardon, après la Saint Jean : « En réalité, c’est la moitié ascendante du cycle annuel qui est la période “joyeuse„, c’est-à-dire bénéfique ou favorable, et sa moitié descendante qui est la période “triste”, c’est-à-dire maléfique ou défavorable ; et le même caractère appartient naturellement à la porte solsticiale qui ouvre chacune de ces deux périodes en lesquelles l’année se trouve divisée par le sens même de la marche du soleil. »
Notre savant impeccable explique ensuite qu’il y a autour du cercle du cycle une figure de deux tangentes (cf. Gibraltar et les piliers d’Hercule), et que ces points sont comme les bornes que le soleil ne peut jamais dépasser au cours de sa marche. Yvain l’ayant fait, il sombre dans une folie solsticiale. Et nous la relions à la canicule qui déchaîne les passions et prodigue la fameuse dépression estivale des aoûtiens, où souvent nous retombons comme Yvain à l’état sauvage.
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Philippe Randa,
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