La fin des quotas laitiers en Europe
Selon les statistiques disponibles auprès des chambres d’agriculture françaises, 80 à 90 % du revenu d’un agriculteur européen provient des aides européennes, cette proportion pouvant monter jusqu’à 150 voire 160 % du revenu en ce qui concerne, par exemple, les éleveurs de vaches allaitantes. Il n’est un secret pour personne, aujourd’hui, que la politique agricole commune entretient nos paysans dans un système d’assistanat généralisé.
Le secteur laitier est particulièrement caricatural de cette impolitique qui, au nom d’un protectionnisme européen en demi-teinte et une prétendue régulation des prix du lait n’ayant jamais empêché les fermetures d’exploitations pour cause, entre autres, de paupérisation de la profession (sans parler des mises aux normes techniques et sanitaires des plus coûteuses), a singulièrement ébranlé un des piliers fondamentaux de l’agriculture (avec le secteur céréalier et celui de la viande).
Les quotas laitiers mis en place, au début des années 1980, dans le cadre de la fameuse politique agricole commune visaient, spécialement, à garantir les prix tout en évitant la surproduction ce qui devait conduire chaque exploitant européen à l’autodiscipline, sauf à se voir infliger de lourdes pénalités financières en cas de dépassement du quota attribué.
Au final, écrivait Marie-José Cougard, « les quotas étaient surtout la garantie de prix élevés aux agriculteurs grâce à la maîtrise des volumes produits ». Et d’expliquer qu’« ils avaient été créés pour juguler les excédents nés de la réussite d’une politique productiviste, dont le but initial était l’autosuffisance alimentaire de l’Europe après la guerre. Tout le monde a encore en mémoire les montagnes de beurre et de poudre des années 1980, très coûteuses à stocker » (Les Échos, 4 juillet 2013).
Pour vertueux qu’il semblait être, le système n’en était pas moins affecté de défauts structurels importants. D’une part, il était fondé sur une défiance à l’égard d’une profession accusée de gaspiller les ressources naturelles et de dilapider les fruits de son travail par des excédents incontrôlés. D’autre part, et corollairement, il instaurait un mécanisme relativement pervers de productivisme optimal obligeant les éleveurs de vaches laitières à maintenir un certain niveau de production sauf à disparaître purement et simplement. Par souci de rationalisation et de rentabilité, les petites exploitations considérées comme non viables étaient sommées de disparaître tandis qu’on encourageait la réduction des effectifs agricoles ainsi que les regroupements concentrationnaires d’exploitations, dont la ferme usine des « mille vaches » dans la Somme constituera l’aboutissement prométhéen.
La fin des quotas au 1er avril 2015 n’aura fait qu’aggraver un peu plus la condition, déjà très fortement précarisée, des éleveurs. Le lait fait alors officiellement son entrée sur le marché mondial, avec des prix déterminés par le jeu de l’offre et de la demande. Précisons que depuis 2013, le prix du lait est en baisse constante. « Au premier trimestre 2013, le lait de base se vendait 400 € les 1 000 litres, 363 € en 2014, et 312 € en 2015. Qu’en sera-t-il sans les quotas ? », s’interroge Julie Lallouët-Geffroy pour le site Reporterre (31 mars 2015).
Principal opérateur financier de la Zone euro, Euronext a lancé trois contrats côtés en euro à Amsterdam, sur les produits laitiers à usage industriel : le beurre, la poudre de lait écrémé et la poudre de lactosérum. À l’évidence, l’entrée en bourse des dérivés préfigure celle de la matière première, à l’instar du blé, du maïs ou du soja déjà soumis à la spéculation des marchés financiers.
Bien que décrié ces dernières années, le système des quotas représentait, paradoxalement, le moindre mal, alors même que le secteur n’a cessé de s’enfoncer dans une crise protéiforme (crise des vocations, épizooties, chute des prix, etc.) à cause ou en dépit de ce même système. Aujourd’hui, l’on en vient carrément à le regretter, motif pris qu’à l’autorité publique régulant, naguère, le volume de production, se substitueront désormais directement les entreprises laitières. « Elles sont sept à orchestrer la production laitière en Bretagne, dont Lactalis, numéro 3 mondial. Pour le moment le lait de tous est collecté, mais qui dit que les laiteries ne décideront pas de collecter uniquement les exploitations produisant plus de 300 000 ou 400 000 litres par an ? » s’inquiète, derechef, Julie Lallouët-Geffroy.
Quand on sait qu’en France, une ferme de taille moyenne comprend, au bas mot, un cheptel d’une cinquantaine de bêtes produisant en moyenne 300 000 litres de lait par an, il y a, en effet, matière à s’alarmer sur le modèle agricole qui vient privilégiant des stabulations industrielles au détriment des exploitations familiales de plus petite envergure.
Bref, si vous détestiez les quotas, vous vomirez leur abolition.
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