8 juin 2016

Visa : Bruxelles nage entre deux eaux

Par admin

La Commission européenne a proposé de lever l’obligation de visa pour les citoyens ukrainiens, géorgiens, kosovars et turcs voyageant vers l’UE. Les États membres doivent à présent confirmer cette décision. Rappelons néanmoins qu’en ce qui concerne la Turquie, les parlements nationaux pourraient cependant avoir leur mot à dire, alors que le Parlement européen suit de près la situation. Les eurodéputés ont déjà déclaré que la Turquie devait remplir toutes les conditions prévues avant que la libéralisation des visas ait lieu.

Après une accélération il y a plusieurs semaines, liée à l’accord passé entre l’UE et Ankara, qui a fait, reconnaissons-le, sensiblement diminuer le nombre de personnes arrivant en Europe depuis les côtes turques, les négociations tournent désormais au vinaigre face au refus de la Turquie de changer ses lois en matière de lutte antiterroriste.

L’immigration est aussi un thème clé du référendum du 23 juin sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE, qui se plaint de l’arrivée d’1,3 million de réfugiés et migrants l’année dernière. Les États de l’UE n’arrivent pas non plus à s’accorder sur la libéralisation des visas pour la Géorgie. La Turquie, le Kosovo et l’Ukraine devraient aussi s’attendre à des retards étant donné que l’Union se montre plus prudente et frileuse, à cause de l’immigration.

Bruxelles assure qu’Ankara progresse sur les 72 critères nécessaires à la libéralisation des visas turcs, alors que le pays risque de ne pas respecter le délai de juin. Or, l’aide de la Turquie est indispensable pour contrôler l’immigration depuis qu’1,3 million de personnes ont atteint l’Europe l’année dernière.

La faible dynamique politique complique aussi la question pour les trois autres pays, ont expliqué les diplomates, le temps étant compté jusqu’aux vacances d’été. Le Parlement européen, où une majorité est nécessaire pour promulguer de tels accords, organisera sa dernière séance plénière du 4 au 7 juillet et ne reprendra que mi-septembre.

Alors que les eurodéputés ont commencé à travailler sur le cas de l’Ukraine et de la Géorgie, le Président du Parlement a déclaré qu’ils n’ouvriraient pas le dossier turc avant qu’Ankara n’ait rempli tous les critères. Certains au Parlement estiment toutefois qu’il s’agit d’une question politique.

Ce n’est pas la première fois que la politique joue un rôle dans le débat normalement très technique des exemptions de visas.

La libéralisation des visas était la condition sine qua non de la Turquie en échange de son aide en matière d’immigration. Pour l’Ukraine et la Géorgie, elle fait partie d’une lutte géopolitique avec la Russie qui considère toujours les ex-républiques soviétiques comme son arrière-cour, alors que ces dernières se tournent vers l’Occident.

Alors que la controverse autour de la libéralisation des visas turcs se concentre sur la situation d’Ankara en matière de droits de l’homme, l’UE a déjà mis en place de tels accords avec 60 autres pays, dont les Émirats arabes unis et le Brunei, où les libertés fondamentales sont régulièrement bafouées.

L’Ukraine fait face à une corruption systémique et Berlin s’inquiète de Tbilissi, puisqu’elle attribue une grande partie du crime organisé en Allemagne à des gangs géorgiens.

L’indépendance d’un autre candidat, le Kosovo, n’est même pas reconnue par cinq des États membres – Grèce, Roumanie, Chypre, Slovaquie, qui assurera la présidence tournante de l’UE à partir de juillet et l’Espagne, ne reconnaît pas les documents officiels délivrés par le Kosovo à ses 1,8 million d’habitants. Selon un responsable européen, cela crée une « ambiguïté juridique » – personne ne sait ce qu’il se passerait si le détenteur d’un tel passeport essaye d’entrer en Espagne.

Libéraliser ou non ? L’UE dit s’efforcer de contrôler l’immigration, et se méfier d’un afflux de personnes de ces quatre pays à cause de leur proximité, mais en a-t-elle les moyens politiques et techniques ?

L’UE peut-elle d’autre part se permettre d’ouvrir ses portes à 130 millions de personnes alors qu’elle affronte actuellement des risques sécuritaires et migratoires d’une ampleur sans précédent ?

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